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"En 1998, nous avions vendu 20 fois plus de maillots que ce que nous pensions"

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Directeur général d'Adidas France en 1998 et actuel patron de la marque Hungaria, Pierre Arcens raconte les coulisses de l'événement de 1998 côté business.

BFM Business: Vous avez dirigé Adidas en France en 1998 au moment de la victoire en Coupe du monde. Comment le business des maillots de foot a évolué?

Pierre Arcens: Il a explosé ces dernières années. Aujourd'hui un club comme le PSG peut vendre 500.000 maillots alors qu'en 1998 un club qui en vendait 100.000 c'était déjà énorme. En fait c'est cette époque-là, cette victoire en Coupe du monde qui a transformé ce marché des articles de sport. Le sponsoring d'une équipe nationale qui était alors perçu comme un poste de dépense économique pouvait alors devenir un business juteux.

BFM Business: Parce que la vente de maillots de foot est si importante pour les marques?

P.A.: Oui cela représente 70% je dirais du chiffre d'affaires généré par une Coupe du Monde pour un équipementier comme Nike ou Adidas.

BFM Business: Et en 1998, les ventes de maillots ont explosé grâce à la Coupe du Monde?

P.A.: Oui mais ça a été très long. Il faut savoir qu'un maillot ça se conçoit 18 mois à l'avance à peu près. C'est à ce moment-là que l'on fait les prévisions de commandes. En 1996, nous avions vendu pour l'Euro en Angleterre 8.000 maillots de l'équipe de France. C'était ça les chiffres de l'époque! Mon responsable commercial passe donc commande de 40.000 maillots pour 1998. Moi je vois ça à l'époque et je passe derrière en lui disant: "Non prends en 200.000". Cela faisait 25 fois plus qu'en 1996! Tout le monde me traite de fou!

BFM Business: Et vous avez immédiatement tout vendu?

P.A.: Mais pas du tout! Le début a été un flop. Sur les 200.000 que nous avions en stock, la distribution nous en avait pris 120.000 en avril 1998. il m'en restait 80.000 sur les bras. Là on a eu peur. Parce qu'en plus les magasins en vendaient très peu et commençaient à casser les prix. Et puis la Coupe du Monde démarre et toujours rien ne se passe... Et arrive le match contre le Paraguay en huitième de finale. La France se qualifie et là les ventes décollent enfin et très vite. Nous avons rapidement demandé un réassort à nos usines en Asie et aussi en Tunisie pour livrer plus vite. Mais il fallait un mois et demi, deux mois à l'époque pour recevoir les commandes. Résultat: la veille de la finale nous n'avions absolument plus rien. Les gens commençaient à en acheter au marché noir 10 fois le prix! 

BFM Business: Pourtant tout le monde était en bleu dans le stade lors de la finale.

P.A.: Oui mais je peux vous le dire maintenant, les VIP comme Obispo, Johnny et les autres portaient des maillots non conformes ce soir-là. Jean-Claude Darmon, le financier du foot français à l'époque, m'avait appelé pour avoir des maillots pour ses VIP au stade. Nous avons dû récupérer des maillots qui étaient partis au pilon car ils étaient non conformes. Ce sont ceux-là que portaient les stars dans les tribunes.

BFM Business: Et les maillots avec la première étoile étaient arrivés quand en magasin?

P.A.: Il a fallu attendre début août pour des petites quantités et mi-août pour de vrais stocks. Et c'est là que les ventes ont atteint les sommets. Tous les gamins voulaient le maillot pour Noël. Au total nous en avons vendu finalement 800.000 sur l'ensemble de l'année, soit 20 fois plus que nos premières estimations! Nous avons réalisé cette année-là 450 millions de francs (70 millions d'euros) de chiffres d'affaires avec les maillots alors que notre contrat de sponsoring avec la FFF nous avait coûté 100 millions de francs (15 millions d'euros).

BFM Business: C'est difficile d'anticiper la demande pour ces produits?

P.A.: Oui d'abord parce que ça dépend de la performance de l'équipe. Et ensuite parce que les délais de fabrication et de transport sont longs. Il faut compter 45 jours de bateau pour acheminer des stocks de Chine. Il faut donc anticiper. Et le plus compliqué dans la production ce sont les accessoires. Car un maillot c'est du tissu et surtout des accessoires comme le coq en silicone, l'étoile, le petit drapeau etc. Or ça, à la différence du tissus qu'on a en grande quantité, il faut le produire à la demande. Le maillot de l'équipe de France, beaucoup d'usines peuvent le faire: il suffit d'avoir le tissus et de le teinter ce qui prend cinq jours. Mais pour les accessoires c'est plus compliqué; il faut en refabriquer très vite. C'est pour cela que tout est centralisé sur un seul site, en l'occurrence en Thaïlande pour le maillot Nike actuel.

BFM Business: Adidas a vendu 800.000 maillots en 1998, Nike va-t-elle faire mieux cette année?

P.A.: C'est fort probable oui. Je pense que Nike va en vendre au moins le double, je dirais aux alentours de 1,6 million. L'époque a changé, les Français achètent plus de maillots aujourd'hui.

BFM Business: Finalement c'est une business très rentable les ventes de maillots pour les équipementiers.

P.A.: C'est difficile à dire. Parce que Nike verse 50 millions d'euros par an à la FFF pour équiper les Bleus. Dans les faits ça lui coûte moins cher car la marque paie 38 millions en cash, le reste -les 12 autres millions- ce sont des équipements qu'elle fournit et qui lui coûtent moins cher puisque c'est elle qui les produit. Mais pour rentabiliser cet investissement -à savoir dégager 40 millions d'euros de marge nette- il faut vendre beaucoup de maillots. En année régulière, c'est à dire hors Euro ou Coupe du monde, c'est absolument impossible. Et même cette année ce sera difficile. Pour dégager 40 millions de marge nette, Nike devra faire 200 millions de chiffres d'affaires à peu près, ce qui représente peu ou prou 400 millions de ventes de maillots dans les magasins. À 100 euros en moyenne le maillot, cela fait 4 millions de ventes. Pas facile. Alors Nike ne vend pas que des maillots et bénéficie de l'exposition incroyable de la Coupe du monde mais même pour les grandes marques, les contrat de sponsoring du foot sont difficilement rentabilisables.

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Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco