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Comment Les Nouveaux Fermiers veulent imposer la très controversée "viande" végétale

Face aux nouveaux géants de l'agroalimentaire, comme Beyond Meat, la startup française affiche une pleine croissance mais doit faire face aux critiques des éleveurs et des associations de consommateurs.

Que serait une startup sans un bon storytelling? Celui des Nouveaux Fermiers, jeune pousse de la "viande" végétale, passe par la cuisine d'Eric Bouchenoire, éternel binôme de Joël Robuchon. "Votre produit, c'est de la merde" avait prévenu d'emblée le Meilleur Ouvrier de France aux deux jeunes cofondateurs qui lui téléphonent, il y a un an et demi. Bouchenoire a déjà goûté les steaks végétaux des marques américaines et avait une idée bien ancrée sur la question avant même d'essayer les produits tricolores.

Un rendez-vous est tout de même arraché. "Il nous attendait les bras croisés avec un sac à dos 'fan de viande' à ses côtés" se marre Cédric Meston, co-fondateur avec Guillaume Dubois des Nouveaux Fermiers. "Il a goûté et adoré". Depuis, tous les nouveaux produits de la startup passent par les papilles exigeantes du chef qui utilise par les exemples les aiguillettes de "poulet végétal" à sa carte.

Voilà pour la jolie histoire. Mais les Nouveaux Fermiers, c'est aussi un départ en trombe sur le marché français et un culte du secret pour exister face aux géants qui inondent déjà le marché très controversé de la viande végétale.

Les anti-Beyond Meat

La viande végétale? L'idée de se rapprocher le plus de la protéine animale en matière de goût et texture mais en utilisant que des graines, des farines, des épices. Un produit qui n'est plus vraiment de niche, en témoigne le poids de l'Américain Beyond Meat qui pèse désormais 8 milliards de dollars à Wall Street.

Pour l'été, les Nouveaux fermiers se lancent dans le barbecue avec des chipolatas aux herbes et des merguez. Evidemment pas une once de chair animale mais un mélange savant de pois, de fèves, d'épices mais aussi d'eau et d'huile. Le tout accompagné de gélifiants, antioxydants et colorants tous d'origine naturelle. Plus courte, la liste des ingrédients de leurs aiguillettes aux aspects de poulet (Eau, concentré de protéine de soja, huile de tournesol, arôme naturel, sel, épices, vinaigre, acide lactique) est censée faire référence pour l'avenir. "Réduire la liste des ingrédients, c'est quelque chose sur lequel nous travaillons" jure Cédric Meston.

Plutôt que de surfer sur une mode, l'entreprise lancée en 2019 veut jouer les anti-Beyond Meat, critiqué notamment à ses débuts pour ses compositions chargées en gras saturés. "Les acteurs américains sont très en retard sur les questions nutritionnelles," explique Cédric Meston. "En France, on a Yuka, le nutriscore…" Pas question de flancher sur la nutrition, ni sur le goût.

Les deux compères voulaient (comme les autres) "faire un projet qui ait un impact": les voici donc avec l'idée en tête de remplacer toutes les viandes par une alternative végétale, justement pour faire baisser la consommation de protéines animales, souvent pointée du doigt par les écologistes.

Les clients semblent au rendez-vous puisque les steaks et autres nuggets sont distribués dans un millier de points de vente en France, sur internet ("un gros succès" assure Cédric Meston) mais aussi chez Transgourmet, géant des produits frais destinés à la restauration. Outre le restaurant d'Eric Bouchenoire, des chaînes comme l'Artisan du burger ont mis le steak sur leur carte.

Levée de boucliers contre la startup

En septembre dernier, une ligne de production est ouverte en France, l'objectif est alors de réaliser 5 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2021. Depuis, c'est le silence radio: les chiffres de ventes ou de croissance sont jalousement gardés secrets même si Cédric Meston n'est jamais loin, dans son enthousiasme, de vendre la mèche. Clairement, les perspectives sont bonnes.

L'entreprise a d'ailleurs déjà réalisé une première levée de fonds de 2 millions d'euros en mai 2020 auprès d'entrepreneurs bien rodés comme Adrien de Schompré (ex-DG de Sushi Shop) et Philippe Cantet (ex-DG d’Innocent). BPI France soutient aussi l'entreprise tout comme Xavier Niel via son fonds Kima Ventures.

Puis, c'est le temps de la polémique. En septembre dernier, des éleveurs, menés par leurs représentants et notamment la Confération payasanne, attaquent l'entreprise en justice, critiquant l'utilisation des termes "viande végétale" et "fermiers" pour des produits végétaux transformés. La loi relative à la transparence de l’information sur les produits alimentaires, adoptée en mai 2020, est claire sur le sujet : pas question d'utiliser des appellations "steaks" ou "saucisses" pour le végétal. Mais le juge des référés ne peut que constater le flou juridique puisque le décret d'application se fait toujours attendre et les Nouveaux Fermiers passent (pour le moment) entre les gouttes. Une plainte, au fond cette fois, a donc été déposée le 5 juillet dernier.

"Comme le gouvernement se refuse à protéger et valoriser ce que les paysannes et les paysans produisent sur leurs fermes, comme la loi l'y oblige depuis u an, nous allons demander à la justice de le faire" indique la Confédération paysanne dans un communiqué.

"Ce décret est en cours de finalisation avec la Commission européenne" affirmait pourtant en janvier dernier le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie dans un entretien aux médias agricoles. Il faut dire que les Européens sont moins tranchés que le ministre sur la question. En octobre dernier, un amendement censé interdire ces dénominations a été retoqué par le Parlement européen.

Concurrencer le prix de la viande

Les associations de consommateurs ne sont pas non plus très emballées par ces produits faussement fermiers et vraiment industriels, voire "ultratransformés" comme l'affirme UFC-Que Choisir. 60 millions de consommateurs, sans avoir directement testé la marque, se montre très critique envers les imitations végétariennes là encore "ultratransformées". Du côté des Nouveaux fermiers, on vante un sourcing français des ingrédients et la volonté de toujours s'améliorer sur le plan nutritionnel.

Mieux, les deux cofondateurs cherchent à faire baisser la facture, franchement élevée. "Nous avons amorcé pour cette semaine une baisse des prix de ventes conseillés de l'ordre de 50 centimes à 1 euro par produit soit 20% des prix" se félicite Cédric Meston. Une petite prouesse permise par les économies d'échelles, afin de se positionner à terme sous le prix de la viande traditionnelle. Pour y arriver, de futures levées de fonds pour financer la R&D sont probablement à prévoir, même si l'entreprise se veut aussi totalement mutique sur la question.

Par leur concept, Les Nouveaux Fermiers se sont engagés dans un marché aussi prometteur que polémique. En attendant de nouvelles batailles judiciaires, de nouveaux retournements de règlementations ou de nouvelles critiques contre cette industrialisation du végétal... de nouveaux produits arriveront en août prochain.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business