BFM Business
Hashtag Paris a plus de 300 maillots vintage en vente physique

Louis Tellier

Comment le maillot de football vintage devient un objet de spéculation

Le marché du maillot de foot de seconde main connaît un essor depuis une dizaine d'années poussé à la fois par la mode, et la nostalgie. Il est aussi devenu un placement financier à part entière.

Le

Environ 250 euros pour un Cantona de l'époque Manchester United, pas moins de 200 euros pour un Zidane de la Juventus...Pareil pour une tunique Ronaldinho du PSG. Les prix des maillots vintage de football connaissent une flambée depuis 2 - 3 ans en France. Le maillot de football vintage n’est plus simplement une affaire de "beauf",

"C’est un objet de mode à part entière aujourd’hui", constate Pascal Monfort, responsable de l’innovation et de la culture consommateur de 2004 à 2012 chez Nike, à la tête aujourd’hui de REC trends marketing, cabinet qu’il a lui-même fondé.

Pascal Monfort a travaillé de 2004 à 2012 avec la marque Nike
Pascal Monfort a travaillé de 2004 à 2012 avec la marque Nike © Louis Tellier

Il n’existe pas de chiffres précis pour ce marché de seconde main, mais pour s’apercevoir de l’ampleur du phénomène, il suffit de traverser La Manche et s’intéresser à Classic Football Shirts, la référence en la matière.

Fondée en 2006 par deux Mancuniens, Matt Dale et Doug Bierton, l’entreprise est passée en l’espace de 15 ans d’une maison d’étudiants encombrée de dizaines de maillots à une centaine d’employés. Elle revendique aujourd’hui 1 million de vente annuelles. Sur le papier, pas étonnant pour le pays du football, mais ce phénomène gagne la France depuis deux à trois ans.

Un marché en pleine structuration

VintageFootballArea, Line-up, The Football Market... les sites de reventes fleurissent. Entendons-nous bien, les collectionneurs ont toujours existé mais le marché se structure petit à petit. En juin 2020, Julien Bernard et Sébastien Barge ont lancé Your Football Shirt, une plateforme de revente entre particuliers.

"L’idée était de sortir de l’entre-soi des collectionneurs qui verrouillaient le marché en s’échangeant les plus belles pièces via des groupes Facebook", explique Julien Bernard.

Le succès a été immédiat et les deux associés sont rapidement passés de 50 à 200 commandes par mois, ce qui est conséquent lorsque l’on sait qu’ils ont chacun un autre emploi à côté et promettent de vérifier l’authenticité de tous les maillots postés sur le site.

Sébastien Barge et Julien Bernard, les fondateurs de Your Football Shirts
Sébastien Barge et Julien Bernard, les fondateurs de Your Football Shirts © Louis Tellier

"On est souvent débordés", reconnaît Sébastien Barge. Car la promesse de l’authenticité, c’est presque la raison d’être de ces sites et plateformes, le nombre de contrefaçons ayant explosé ces dernières années…en même temps que les prix. Autres signes d’un marché en pleine expansion.

La nostalgie d’un "football d’avant"

"Ces maillots trop larges, floqués de sponsor comme Sega, JVC ou Carlsberg, rappellent une époque. Celui qui le porte affiche d’une certaine façon son opposition au football actuel, une sorte de c’était mieux avant", explique Pascal Monfort.

Cette nostalgie se combine aussi à un effet de mode: porter un maillot de football comme un vêtement de tous les jours gagne du terrain. Pour lui, il y a eu un basculement en 2011 quand la marque à la virgule a pris le contrat de l’équipe de France à Adidas. "L’idée était de concevoir un maillot de football qui plaise autant aux femmes, qu’aux hommes et qui puisse se porter comme un vêtement de Streetwear et pas seulement sur un terrain de football", rapelle Pascal Monfort.

Ce concept fera naître le fameux "maillot marinière" dont la campagne de publicité sera photographiée par Karl Lagarfeld lui-même. Porter un maillot de football au quotidien est devenu plus communément accepté.

Ce phénomène s’est même amplifié en France avec la collaboration entre l’équipementier Jordan et le Paris Saint-Germain. "Le PSG a très vite compris que donner un côté mode à son maillot allait avoir une valeur ajoutée pour se vendre en tant que marque à l’international", analyse Pascal Monfort. Mais attention, porter un maillot actuel, même avec un design régulièrement renouvelé, s'avère un peu trop facile, "fashionistiquement" parlant.

Karl Chenaf et son fils Gabriel ont ouvert Hashtag Paris en janvier 2020 sur les Champs-Élysées
Karl Chenaf et son fils Gabriel ont ouvert Hashtag Paris en janvier 2020 sur les Champs-Élysées © Louis Tellier

Karl Chenaf et son fils Gabriel ont lancé en janvier 2020 Hashtag Paris, une boutique physique sur les Champs-Elysées. Un des plus fidèles clients? Dj Snake lui-même fan du PSG.

"Les artistes comme lui veulent se différencier en portant des pièces uniques difficiles à trouver", explique Karl Chenaf. "Beaucoup de jeunes d’une vingtaine d’années comme moi, fans de football, veulent se différencier en n’achetant pas des maillots faciles à trouver comme les plus récents", poursuit son fils Gabriel. Ils constatent aussi que leurs clients font de plus en plus attention à quoi ils vont pouvoir associer le maillot.

Maillot (au centre de la photo) de la saison 1994/1995 du Paris Saint-Germain
Maillot (au centre de la photo) de la saison 1994/1995 du Paris Saint-Germain © Louis Tellier

"On constate de plus en plus de clients qui cherchent à les associer avec des baskets ou à leur style de tous les jours", note Karl.

"De mon temps, c’était moins le cas, on n’osait pas sortir en boîte avec un maillot par exemple. Aujourd’hui, c’est vu comme un élément original de style, vous pouvez même espérer que le videur vous laissera plus facilement rentrer s’il est fan du club dont vous portez le maillot", plaisante-il.

Une manière originale de se démarquer et qui parle à tout le monde, le football étant le sport le plus populaire en Europe.

"On est complétement sur un marché qui fait appel à l’émotion"

Alors comment évaluer le prix pour ne pas se faire avoir? "Certains mettent des prix exorbitants sur notre site parce que le maillot a été porté par un joueur, ou juste parce que le maillot est ancien", ironise Sébastien Barge.

En réalité, établir un prix est plus compliqué. Les maillots les plus prisés sont en général ceux du championnat anglais "parce que ça parle à tout le monde. Liverpool, Manchester United, Arsenal sont les plus demandés parce qu’ils sont connus à travers le monde", analyse Pierre-Alain Perennou.

Pierre-Alain Perennou est journaliste spécialisé dans les maillots de football
Pierre-Alain Perennou est journaliste spécialisé dans les maillots de football © Louis Tellier

"Vous avez ensuite ceux du championnat italien, spécialement de la Juventus, du Milan AC, de l’Inter ou de Parme", poursuit ce journaliste spécialisé dans les maillots de football. Le design caractéristique des années 90, combiné à la nostalgie renvoyée par le maillot, fait indéniablement monter les prix. "On est complétement sur un marché qui fait appel à l’émotion" pour Pierre-Alain Perennou.

Près de 2000 euros pour un maillot de Ronaldinho au PSG

Maillot appartenant à la collection de Sébastien Barge. La tunique aurait été portée ou préparée pour le Brésilien.
Maillot appartenant à la collection de Sébastien Barge. La tunique aurait été portée ou préparée pour le Brésilien. © Louis Tellier

Une autre équipe a commencé à voir ses prix décoller: ceux du Paris Saint-Germain. Les tuniques du club de la capitale ont parfois doublé de valeur en à peine cinq ans. Comptez en moyenne 150 euros pour un maillot authentique basic des années 1990.

"La demande a explosé, parce que le PSG est devenu une marque mondiale. Les maillots des années 1990 avec la fameuse ‘bande Hechter‘ partent très vite", expliquent Karl et Gabriel Chenaf.

Le plus? Que le maillot comporte un flocage d’origine de Zidane, Henry, Bergkamp, Beckham, Maldini, Ronaldinho, Raï, Ronaldo…dans ce cas, les prix peuvent s’envoler si le maillot est dans un état irréprochable, sans trou ni tache. Les patches de la Ligue des champions ou des championnats collés sur les manches font aussi monter le prix. L’ultime détail, c’est que le maillot ait été porté ou préparé par/pour un joueur.

"Par exemple, j’ai un maillot extérieur du Paris Saint-Germain de la saison 2002 – 2003 en manches longues porté ou préparé par/pour Ronaldinho. Il ne s’échange pas à moins de 2.000 euros", explique Sébastien Barge.

Le prix pourrait doubler si Sébastien pouvait entièrement prouver qu’il a été porté par l’iconique brésilien. Car c’est souvent ce genre de polémique qui anime les sujets de discussion entre collectionneurs. Alors comment reconnaître un maillot qui aurait pu être porté par un joueur?

"Il y a des étiquettes spécifiques à l’intérieur du maillot. Certains détails ne trompent pas comme la doublure qui est présente à l’intérieur de la tunique", enchaîne Julien Bernard.

Des preuves supplémentaires sont souvent apportées par les collectionneurs comme la photo avec le joueur au moment de la remise du maillot en fin de match. Mais parfois, pas besoin de tous ces détails: un maillot RTL du PSG ou Manu France de Saint-Etienne des années 1980, porté ou pas et en parfait état atteignent facilement les 1000 euros.

Maillots du Paris Saint-Germain des années 70 - 80 avec la fameuse "bande Hechter"
Maillots du Paris Saint-Germain des années 70 - 80 avec la fameuse "bande Hechter" © Louis Tellier

Et le maillot fonctionne un peu comme le bon vin: plus le temps passe, plus la valeur grimpe. A la fois collectionneur et fan du PSG, Karl Chenaf reconnaît qu’il y a cinq ou six ans, il lui est arrivé de vendre des pièces du PSG pour 250 euros, ce qui lui paraissait déjà énorme. "Aujourd’hui, il est impossible de trouver ces pièces à moins de 1000 euros…et encore, lorsqu’elles sont mises en vente", résume-t-il.

Reflocage et retapage: de la restauration des maillots

À Hashtag Paris, plus de 300 maillots sont disponibles à la vente. Alors la question qui vient à l’esprit du premier passionné à franchir le seuil, c’est souvent: ‘Comment font-ils pour se procurer tous ces maillots?’ Il y a bien sûr les contacts entre collectionneurs qui parfois veulent changer de cycle et font des prix pour un ensemble de maillots. Mais il y a surtout internet et les friperies.

Pour Karl Chenaf, ce maillot de l'équipe de France de 1980 a été porté par Michel Platini.
Pour Karl Chenaf, ce maillot de l'équipe de France de 1980 a été porté par Michel Platini. © Louis Tellier

La friperie, c’est un petit peu le royaume de Karl Chenaf. "J’y ai fait beaucoup de bonnes affaires. Une fois, j’y ai même trouvé un maillot de l’équipe de France, porté par Platini de 1980 pour 150 euros…aujourd’hui, je ne pense même pas à le vendre, sa valeur est inestimable", poursuit le spécialiste. Mais ce petit jeu de connaisseur peut aller encore plus loin car le maillot de football revêt parfois la qualité de simple matière première qu’il conviendra de valoriser.

"On trouve parfois des maillots dans un piteux état avec des taches complètement boulochés. Tenez ce maillot [il montre la tunique du Paris Saint-Germain de 1986 - 1998, ndlr], on l’a eu pour rien du tout, on l’a complètement remis en état", nous confie-t-il. Aujourd’hui, le t-shirt blanc floqué Canal+ vaudrait plus de 1000 euros à la vente.

Les Chenaf en font d’ailleurs une marque de fabrique: restaurer les maillots pour qu’ils paraissent presque neuf, sans perdre ce petit côté vintage. "On peut parfois passer une heure sur un maillot. On va le traiter, le repasser", explique Gabriel.

Maillot 1986 - 88 du Paris Saint-Germain que les Chenaf ont entièrement restauré.
Maillot 1986 - 88 du Paris Saint-Germain que les Chenaf ont entièrement restauré. © Louis Tellier

Autre astuce et c’est souvent l’occasion de polémiques entre collectionneurs: le flocage des maillots. "Sur ce point, il y a plusieurs écoles: ceux que ça ne gêne pas et les puristes", détaille Pierre-Alain Perrennou. En théorie, les flocages non utilisés sont détruits en fin de saison, en pratique, ils sont souvent récupérés et se retrouvent sur internet ou dans les circuits de collectionneur: des Zidane de la Juventus, des lettres du championnat anglais par cartons entiers.

Et c’est là que l’œil d’expert joue plus que jamais puisqu’il n’est pas rare que les faussaires floquent sur d’authentiques maillots des flocages contrefaits. La police fait parfois la même taille et à la même forme mais le révélateur, c’est la matière. Les flocages des années 1990 sont très difficiles à contrefaire car ils sont dans des matières épaisses comme la feutrine par exemple.

"Avec l’expérience, un collectionneur avisé qui connaît tous les maillots d’un seul club saura le reconnaître, mais un acheteur lambda se fera très certainement avoir. C’est pour cela qu’il faut parfois privilégier le main à main", conseille Sébastien Barge.

De nombreux flocages contrefaits proviennent notamment d’Asie et particulièrement de Hong-Kong où le maillot vintage à la cote. D’ailleurs avant la pandémie, de nombreux touristes asiatiques dévalisaient la boutique des Chenaf avant de repartir.

"Si on avait su la valeur que ça aurait aujourd’hui"

Avec ces possibilités de plus-value financière, le maillot de football vintage est devenu un objet de spéculation à part entière. "Si vous ne détériorez pas le maillot, il prendra forcément de la valeur, fait remarquer Gabriel puisque par définition, on n’en fabrique plus et que certaines personnes les abimeront en jouant notamment avec".

Placé dans la penderie, à l’abri de la poussière, c’est l’investissement le plus sûr.

"Aujourd’hui, de nombreux jeunes font du patrimoine de maillots parce que c’est plus accessible. Avec la flambée des prix, imaginez: un maillot de 250 euros qui en vaudra 1.000 dans cinq ou six ans, ce n’est pas négligeable et en même temps, on investit dans sa passion. Il y a aussi un côté écoresponsable en achetant de la seconde main qui pour moi sera l’avenir du textile dans les prochaines années", anticipe Karl Chenaf.

Un phénomène qui peut être assimilé à du "resell", le fait d’acheter un objet, en l’occurrence ici un vêtement, et espérer faire une plus-value à la revente hors des circuits classiques. Un phénomène connu ces derniers temps pour avoir envahi le marché des baskets sneakers.

Ce maillot aurait été porté par Ronaldo lors de la Coupe du monde 2002.
Ce maillot aurait été porté par Ronaldo lors de la Coupe du monde 2002. © Louis Tellier

"Le gros enjeu, c’est de trouver des stocks de maillots, il n’y en a nulle part dans le monde, précise Karl Chenaf. Avant, j’avais ma boutique dans les années 1990 vers le Moulin Rouge, j’avais des centaines de stocks de maillots…que je n’ai pas gardé. Si on avait su la valeur que ça prendrait aujourd’hui...".

Par Louis Tellier