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Un stand de bovins à la veille de la journée d'ouverture du salon de l'Agriculture, le 24 février 2023 à Paris (photo d'illustration).

STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

"C'est vraiment très dur": la crise du bio s'invite au Salon de l'agriculture

Chahutée par l'inflation, l'agriculture bio traverse une mauvaise passe. Dans les allées du Salon de l'agriculture, à Paris, certains producteurs assurent craindre des "déconversions".

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"Pour être honnête, c'est très compliqué". Après avoir enchaîné les années de croissance à deux chiffres, l'agriculture biologique trébuche sur l'inflation. Un coup dur pour les milliers d'agriculteurs français qui ont quitté l'agriculture conventionnelle, pris en tenaille entre une demande en berne et la flambée des coûts de production. Dans les allées du Salon de l'agriculture, qui se tient jusqu’à ce dimanche à Paris, la crise du bio s'invite comme l'un des sujets incontournables des discussions. Comme le rappelle la banderole "Bio méprisée. Bio enterrée" déployée sur le stand de l'Agence bio.

"C'est vraiment très dur", confie Pascale Vuylsteke, éleveuse de porcs gascons et de porcs culs noirs, près de Limoges.

Des prix des aliments en hausse de 45%

L'éleveuse limousine, qui a amené l'un de ses animaux pour concourir sur le ring porcin, s'inquiète de la forte augmentation du prix des aliments pour ses animaux, qui a grimpé de près de 45% en quelques mois –l'alimentation représente 80% des charges pour un cochon. "On a dû fermer certains projets ou en mettre d'autres en attente parce que ça nous inquiète terriblement", explique Pascale Vuylsteke, qui s'est récemment reconvertie dans l'agriculture bio après plusieurs années de formation.

"Beaucoup d'éleveurs autour de moi font maintenant des "déconversions", parce qu'ils sont étranglés par les charges", regrette Pascale Vuylsteke.

Une équation d'autant plus compliquée à résoudre qu'au même moment les consommateurs, eux, se détournent des produits bio. Selon les derniers chiffres du panéliste NielsenIQ, les ventes de produits bio ont dégringolé de plus de 7% dans les grandes surfaces l'année passée, et la chute est encore plus sévère dans le réseau spécialisé, où elles diminuent de 12%. L'inflation est venue percuter la croissance de la filière: même s'ils sont moins inflationnistes que les produits conventionnels, les produits bio font les frais des arbitrages sur le budget alimentaire, pâtissant de leur image de cherté.

Une désaffection des consommateurs

L'engouement pour le bio pendant la crise sanitaire "a peut-être masqué le comportement réel" des consommateurs, s'interroge Étienne Gangneron, éleveur de vaches charolaises et de poules pondeuses dans le Cher.

Une partie de sa production de viande bovine était jusqu'alors vendue dans un magasin de producteurs à côté de la ferme. Mais "on a vu une désaffection des consommateurs", avance-t-il, évoquant une baisse de 20% du chiffre d'affaires. "Ça nous a fait revoir notre position: on a arrêté la viande bovine dans le magasin", poursuit Étienne Gangneron, également vice-président de la FNSEA.

"On a arrêté la vente directe, on est reparti uniquement sur la vente en gros à notre coopérative", explique l'éleveur berrichon.

Le consommateur s'est aussi perdu au milieu de tous les labels qui ont poussé dans le sillage du bio. Des labels comme "sans résidus de pesticides", "haute valeur environnementale" ou encore "producteurs engagés" ont fragmenté le marché. Et ces labels, moins chers que le bio car moins contraignant pour les producteurs, lui ont grignoté des parts de marché. "Les gens partent vers de nouvelles appellations, certainement formidables mais qui ne correspondent pas du tout à notre cahier des charges, qui est exigeant et nous demande de plus en plus de contraintes", souligne Pascale Vuylsteke.

"Un secteur de niche"

Les distributeurs, sentant le vent tourner, réduisent la voilure: dans les rayons, les produits bio sont bien moins nombreux qu'auparavant. Pour écouler ses glaces, Ludovic Poupart a justement choisi d'éviter les supermarchés en se tournant vers les revendeurs professionnels. "On n'est pas du tout touché par la crise" parce qu'on "n'est pas référencé en grande distribution", confirme l'éleveur-glacier charentais, qui propose ses produits aux visiteurs du pavillon 7. "C'est un secteur de niche, le long des plages, où le consommateur ne regarde pas que le mot 'bio' mais aussi la qualité ou le visuel du produit", note-t-il.

"Bio ou pas bio, les gens consommeront de la glace dans tous les cas", avance Ludovic Poupart.

Cela fait treize ans qu'il transforme en glace une partie du lait de ses soixante vaches, mais il ne s'est converti au bio qu'en 2019. Une manière de "se démarquer" et de "développer de nouvelles parts de marché", indique Ludovic Poupart, qui s'était lancé dans la production de glace pour contrer la crise du lait dans les années 2000. Et l'éleveur-glacier voit l'avenir avec sérénité.

"On a une croissance à deux chiffres devant nous pour quelques années", assure-t-il.

Une quiétude inhabituelle dans la filière bio qui, dans sa grande majorité, appelle à une aide publique pour garder la tête hors de l'eau.

Mais malgré les remous, ces agriculteurs tiennent la barre en attendant des jours meilleurs. "Il y a un peu de ralentissements aujourd'hui qui réinterroge, mais le choix, s'il était à refaire, je le referais", estime Étienne Gangneron, pionnier du bio dès 1997. Tous espèrent un retour des consommateurs, lorsque l'on aura traversé les temps inflationnistes.

"J'ai foi dans le bio", soutient Pascale Vuylsteke, qui espère "de tout cœur" un retournement de la situation.

Quoi qu'il en soit, "ça ne me fera pas changer de ligne", assure l'éleveuse porcine. "On fonce et on avance".

Le bio s'essouffle et les Français s'en méfient

En interrogeant les Français sur l'évolution de leurs habitudes alimentaires, 40% d'entre eux déclaraient avoir acheté davantage de produits bio en 2021. Ils ne sont plus que 23% à répondre la même chose en 2022, soit une chute de 17 points, selon une étude* de l'Agence bio. Par ailleurs, seuls 16% des Français déclarent avoir acheté plus de produits en vrac en 2022 (-14 points par rapport à 2021) et seuls 12% avoir acheté plus de produits avec un label (-8 points). Réduction des emballages, circuits courts et respect de l'environnement font aussi les frais des arbitrages des consommateurs.

Le nombre de consommateurs réguliers se restreint: 60% des Français indiquent avoir consommé des produits alimentaires bio au moins une fois par mois en 2021, en baisse de 16 points par rapport à 2021. D'autant que les consommateurs français se montrent de plus en plus méfiants à l'égard du bio: 57% des personnes interrogées déclarent avoir des doutes sur le fait que les produits bio soient totalement bio, contre 40% l'année précédente. Et près de six Français sur dix (59%) ne trouvent pas normal qu'un produit bio coûte plus cher qu'un produit conventionnel, en hausse de 6 points par rapport à 2021.

*Enquête auto-administrée en ligne du 21 novembre au 1er décembre 2022, sur un échantillon de 4000 personnes représentatif de la population de France métropolitaine âgée de 18 à 75 ans, menée par l'Observatoire société et consommation (ObSoCo) pour l'Agence bio.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV