BFM Business
Conso

"C'est moins prise de tête": avec leurs listes de cadeaux, les adultes tuent-ils l'esprit de Noël?

La magie de Noël n'opère pas toujours. Pour bon nombre de Français, l'échange de cadeaux pendant les fêtes est source de stress et d'anxiété. Alors pour échapper au casse-tête, de plus en plus d'adultes confectionnent des listes - parfois très précises - de cadeaux, qu'ils envoient ensuite à leur entourage avant Noël. Une pratique qui ne fait pas l'unanimité.

Qui a dit que les enfants étaient les seuls à pouvoir rédiger leur liste au père Noël? Ces dernières années, de plus en plus de jeunes adultes distribuent une wishlist - une liste de suggestions de présents - à leurs proches. Car à l'heure où le budget des Français pour Noël est plutôt à la baisse, tout est bon pour éviter les cadeaux ratés.

"Si tu es ici, c'est que tu veux m'offrir un cadeau mais que tu n'as pas d'idées", peut-on lire en introduction du fichier partagé par Angélina à ses proches. Dans ce document, cette auto-entrepreneuse de 29 ans, qui travaille à Paris, liste ses envies du moment, triées par catégories: cosmétiques, vêtements, décoration, culture... Avec même une petite étoile accolée aux "petits trucs qui (lui) feraient vraiment très plaisir".

Un exemple de la wishlist réalisée par Angélina sur un document partagé à ses proches en ligne à l'approche de Noël.
Un exemple de la wishlist réalisée par Angélina sur un document partagé à ses proches en ligne à l'approche de Noël. © BFMTV

À l'approche de Noël, elle n'a plus qu'à envoyer à ses proches le lien. Depuis qu'elle a mis en place ce système il y a deux ans, son frère, ses parents ou son petit-ami se disent "soulagés": ils n'ont plus qu'à piocher dans cette liste pour être sûrs de "viser juste" et de lui offrir quelque chose qui lui fasse véritablement plaisir.

"C'est beaucoup moins prise de tête", défend cette auto-entrepreneuse de 29 ans, qui travaille à Paris.

"Auparavant je n'avais jamais trop d'idées quand on me demandait ce dont j'aurais besoin", explique-t-elle. "À ce moment précis de l'année, rien ne me venait en tête et j'avais déjà oublié les choses sur lesquelles j'avaient pu flasher ou dont j'avais eu l'idée plus tôt dans l'année."

"Éviter le gachis"

La famille de Delphine, elle aussi, est "très organisée mais pas du tout romantique". Tous les ans dès le mois d'octobre, chaque membre de la fratrie envoie sa liste dans un groupe Whatsapp baptisé "idées cadeaux", avec les liens des cadeaux qu'il souhaite. "Ça nous permet d’éviter le gâchis", affirme cette trentenaire parisienne. "On a trop longtemps reçu des trucs à côté de la plaque que soit on échangeait, soit on n’utilisait jamais!"

Cette année, la jeune femme a poussé le vice un peu plus loin. "C'est un peu la honte", confesse-t-elle, mais "c’est moi qui ai acheté mon cadeau de Noël de la part de ma sœur, je l’ai emballé et elle m’a envoyé un virement!"

Ces dernières années, confectionner sa wishlist en ligne est devenu un jeu d'enfant. Milirose, Mesenvies.fr, Listy, Whisupon, Boonjy, The Good List... Les sites et applications de création de listes de vœux se multiplient.

Des exemples de wishlists sous formats différents: vidéo, plateforme web, "vision board".
Des exemples de wishlists sous formats différents: vidéo, plateforme web, "vision board". © Captures d'écran Pinterest et Tiktok

Sur Pinterest ou Tiktok, certains utilisateurs vont même jusqu'à confectionner des vidéos ou des diaporamas ultra léchés qu'ils envoient ensuite à leurs proches, accompagnés des prix et des références des articles en question.

À vous, désormais, de trouver votre propre cadeau

Le mois dernier, Isabelle ne cache pas avoir été "quelque peu destabilisée" quand sa sœur l'a poussée à lui envoyer une liste de cadeaux via l'un de ces sites - avant le 8 décembre. "J'étais un peu génée sur le coup", confie cette développeuse web de 29 ans, "élevée dans une famille où on (lui) a appris à ne pas réclamer".

"Nos parents nous ont toujours incité à la modestie, insistant sur l'importance de ne pas quémander", relate-t-elle. "Là, ça bouscule un peu tout ça".

Isabelle reconnaît néanmoins que "l'idée n'est pas complètement stupide" et "facilite la vie, c'est certain": "Ça permet une meilleure organisation, ça évite les ratés ou les doublons..." Toutefois, cette Parisienne n'est pas totalement à l'aise avec l'idée: selon elle, cette pratique "change la dynamique" lors de l'échange de cadeaux.

"C'est maintenant à nous d'endosser la charge de nous trouver un cadeau, et plus aux autres", analyse-t-elle.

"D'un côté, ça laisse plus de chances de viser juste, mais c'est vrai que ça enlève le côté surprise... Alors que bon Noël initialement, c'était aussi le plaisir de ne pas savoir ce qu'on allait recevoir. La part d'inconnue du soir ou du matin de Noël."

La fainéantise aura-t-elle raison de la magie de Noël?

"Jusqu'alors, c'était l'enfant qui faisait sa liste au père Noël, et encore ça ne s'est pas toujours fait", rappelle Martyne Perrot, sociologue au CNRS. Autrice du Cadeau de Noël: histoire d'une invention (éd. Autrement), elle rappelle que les enfants des familles modestes d'après-guerre avaient l'habitude de recevoir une orange.

Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour voir apparaître les cadeaux sous la forme que nous leur connaissons, "avec l'avènement de la bourgeoisie en Europe occientale, l'essor de l'industrie du jouet et des grands magasins tels que le Bon Marché en France ou Harrod's en Angleterre".

À cette époque, c'est l'enfant qui "est au centre de cette fête religieuse et familiale: on lui offre des étrennes, puis des cadeaux comme s'il était le divin enfant Jésus". Puis ce rite religieux va petit à petit devenir une fête familiale - et surtout commerciale. Poussé par l'essor de la société de consommation, l'échange de cadeaux va progressivement gagner les adultes.

"Ça obéit à des règles implicites qui ne sont écrites nulle part mais que tout le monde respecte", poursuit Martyne Perrot. "La beauté du cadeau, c'est que c'est un don, un geste offert gratuitement à autrui."

Pour cette spécialiste, le développement des wishlists a quelque chose de "fainéant". Elle regrette d'entendre le même "double discours" chaque année: "D'un côté, les gens qui se plaignent de la corvée de 'faire ses cadeaux' et cette tradition qui perdure puisque l'immense majorité des gens continuent de s'y plier." "C'est l'une des traditions les plus respectées dans le monde entier", rappelle la sociologue.

"Aujourd'hui, on a tellement peur de se tromper, de commettre un impair qu'on ne choisit plus, on ose moins surprendre l'autre ou se casser la tête pour trouver le cadeau adéquat. Pourtant initialement, l'effort de recherche fait partie de l'attention qu'on porte à la personne."

C'est la raison pour laquelle Isabelle refuse de se sentir obligée de choisir un cadeau présent sur la liste de ses proches. "J'y jette un œil et j'essaie évidement de faire plaisir mais je ne me sens absolument pas obligée de quoi que ce soit. C'est moi qui paie donc c'est moi qui décide!", conclut-elle en riant.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV