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Pourquoi le salaire de plus en plus de Français se limite au Smic

Calé sur l'inflation, le Smic augmente plus vite que l'ensemble des salaires depuis le retour de la hausse des prix. Alors qu'un nombre record de salariés est désormais au salaire minimum, le décalage entre l'évolution du Smic et la baisse de la productivité en France pose question.

C'était attendu mais cette fois c'est officiel: jamais autant de Français n'avaient été au Smic depuis plusieurs décennies. Avec 17,3% des salariés qui touchaient le salaire minimum au 1er janvier 2023 selon le groupe d'experts sur le Smic, le ratio dépasse son précédent niveau record sur la période récente qui datait de 2005 (16,5%).

Avec les évolutions du salaire minimum du 1er mai (+2,22%) et celle attendue pour le 1er janvier prochain (qui devrait être de 1,7%), la proportion pourrait même encore augmenter. Début 2024, ce serait près d'un salarié français sur cinq qui pourrait être payé au Smic.

Nicolas Doze face à Jean-Marc Daniel : Demain tous au Smic ? - 01/12
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Peut-on pour autant en conclure que la France est en voie de smicardisation? Si la part des salariés au salaire minimum a connu une progression inédite et fulgurante en deux ans en passant de 12% en 2021 à 17% en 2023, il faut rappeler que ce ratio était auparavant en baisse depuis deux ans.

De plus, dans les années 2000, cette part était en moyenne bien plus élevée sur l'ensemble de la décennie avec notamment une hausse continue entre 1998 et 2005. Dans cette période comme dans la nôtre, l'augmentation de ce ratio s'explique par la hausse très rapide du salaire minimum.

Dans les années 2000, c'était le passage aux 35 heures qui en était la cause. L'instauration de la Garantie mensuelle de rémunération (GMR) pour permettre aux personnes payées au Smic de ne pas perdre de rémunération avec la réduction du temps de travail avait entraîné une hausse brutale du Smic horaire.

Deux visions de l'économie s'opposent

Depuis deux ans, c'est l'inflation sur laquelle le Smic est indexé en France qui explique les sept revalorisations successives entre 2021 et 2023 pour une hausse totale de 13,5%. Or c'est mécanique, quand le Smic augmente rapidement, un nombre croissant de salariés "tombent" au salaire minimum, le temps que les grilles se mettent à niveau via les négociations de branche.

Pour sortir de ce que certains économistes appellent le "plancher collant" des bas salaires, deux visions de l'économie s'opposent. D'abord une conception plutôt microéconomique de la situation qui considère que les entreprises et les branches professionnelles sont responsables de cette situation en ne renégociant pas suffisamment vite les minima de branche après chaque augmentation. C'est notamment celle des syndicats de salariés ou de certains groupes de réflexion comme Terra Nova qui réclament des sanctions pour les branches récalcitrantes.

Le gouvernement qui brandit une menace de sanctions financières (réduction des allègements de charge) pour les entreprises des branches retardataires a opté pour l'heure pour le "name and shame", c’est-à-dire désigner les branches qui ne sont pas dans les clous en proposant des salaires minium inférieurs au Smic.

39 branches récalcitrantes

C'est ce qui a été fait cette semaine. Le ministère du Travail a notamment cité le secteur de l'hospitalisation privé qui regroupe près de 280.000 salariés, celui des industries chimiques (230.000 salariés), celui des bureaux d'études techniques (1,2 million de salariés) ou encore le secteur des casinos (15.000 salariés) dans le collimateur depuis deux ans avec ses cinq échelons de salaires en dessous du Smic.

Au total, ce sont 39 branches sur les 171 qui comptent plus de 5000 salariés qui ne sont pas en conformité à fin novembre. Rappelons qu'elles étaient une soixantaine en octobre au moment de la conférence sociale. Les menaces ont semble-t-il un effet sur l'accélération du rythme des négociations.

Mais à cette conception microéconomique qui voit le salaire comme un rapport de force entre salariés et employeurs s'oppose une autre plus macroéconomique selon laquelle les salaires suivent l'évolution de la productivité des salariés. Or cette productivité augmente moins vite que les salaires (et a fortiori que le Smic) depuis plusieurs années et recule même assez nettement depuis la fin de crise du Covid.

"Le Smic a une évolution qui est calée sur l'inflation alors que les salaires évoluent comme la productivité marginale, rappelle Jean-Marc Daniel, économiste et éditorialiste sur BFM Business. Le Smic a été revalorisé de 13,5% depuis deux ans alors qu'il n'avait été revalorisé que de 4% les trois années précédentes. Mais on a problème c'est que la productivité n'étant pas au rendez-vous, les autres salaires ont du mal à décoller. La vraie question qu'on doit se poser c'est de savoir si on peut garder des salaires en bas de l'échelle qui sont totalement déconnectés de la réalité économique."

Le risque d'un Smic qui augmente trop vite est qu'il génère à terme du chômage et crée des frictions dans les grilles salariales en perturbant les rémunérations des salariés qui se retrouvent rattrapés par le salaire minimal.

Pour contrer le premier effet, les pouvoirs publics ont mis en place depuis 1993 des allègements de charges dégressifs afin d'inciter les employeurs à embaucher des personnes moins productives. Mais ces exonérations sont coûteuses pour les finances publiques et génèrent d'autre part des effets de seuil (on n'augmente pas un salarié pour ne pas payer plus de charges). Surtout, les allègements sont déjà nombreux sur les bas salaires et les pouvoirs publics ne peuvent plus les baisser davantage pour contrer les effets de la hausse du Smic.

"À long terme il est difficile pour la croissance des salaires réels d’excéder l’augmentation de la productivité, car cela réduirait la rentabilité des entreprises jusqu’à leur causer des pertes, rappelle Eric Dor, directeur des études économiques à l'école de commerce IESEG. Donc la baisse de la productivité, sauf retournement à la hausse, va exiger de la modération salariale."
Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco