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10 ans après Fukushima, qu'est-ce qui a changé dans le nucléaire français?

La doyenne des centrales nucléaires françaises fermera bien lorsque l'EPR de Flamanville sera mis en service.

La doyenne des centrales nucléaires françaises fermera bien lorsque l'EPR de Flamanville sera mis en service. - Sébastien Bozon - AFP

Après la catastrophe, l'Agence de sûreté nucléaire a imposé à EDF une série de mesures à mettre en place dans chaque centrale. Dix ans plus tard, le travail est loin d'être achevé.

11 mars 2011, après un violent séisme au Japon, un tsunami s'abat sur la côte Est de l'archipel. Des vagues de 15 mètres de haut submergent les digues de la centrale nucléaire de Fukushima et provoquent des dégâts considérables. Il s'agit de la plus grande catastrophe nucléaire depuis l'explosion de la centrale de Tchernobyl en 1986.

L'accident agit évidemment comme un électrochoc dans le monde et France qui compte à l'époque 58 réacteurs en activité. Très vite, l'ASN (l'Autorité de sûreté nucléaire) envisage de mettre en place de nouvelles mesures de sécurité pour le parc français même si le risque de tsunami sous nos latitudes est faible.

Néanmoins, il s'agit désormais de se protéger de phénomènes météorologiques extrêmes, des phénomènes qui ont tendance à se multiplier à cause du dérèglement climatique mais aussi des tremblements de terre.

Noyau dur

Un an après la catastrophe, tous les niveaux de sûreté ont été réévalués en prenant en compte des situations exceptionnelles jamais envisagées jusque-là, imaginer l'inimaginable en fait.

Concrètement, de nouvelles mesures à appliquer en deux temps ont été imposées aux exploitants par l'Agence de sûreté du nucléaire avec la mise en place de nouveaux équipements censés résister à ces événements exceptionnels.

Il a s'agit d'abord de prendre des mesures d'urgence en renforçant la résistance des installations en cas de coupure des alimentations électriques et en eau froide: les deux conséquences directes du tsunami qui a frappé la centrale japonaise, mais aussi renforcer les équipements qui permettent de prendre le relai comme les batteries et les groupes électrogènes. EDF a mené ces améliorations ponctuelles qui se sont achevées en 2015.

Dans un second temps, l'ASN a encore élevé le niveau en exigeant la mise en place d'un "noyau dur" de dispositions matérielles et organisationnelles, soit des "mesures structurantes" avec des "dispositifs lourds" toujours dans l'objectif d'empêcher toute rupture d'alimentation électrique ou en eau froide.

Principale mesure demandée, la réalisation d'un "Diesel d'ultime secours" (DUS) pour chaque réacteur français. Soit des bâtiments en béton de 25 mètres de haut construits sur des plots parasismiques, capables d'alimenter un réacteur pendant trois jours. Du lourd. Mais aussi la mise en place de sources d'eau "ultimes" pour refroidir chaque réacteur.

Force d'action rapide

Autres mesures imposées par l'ASN, la possibilité d'éteindre automatiquement un réacteur en cas de séisme et la création dans chaque centrale de centres de gestion de crise bunkerisés.

Dans le même temps, une Force d'action rapide du nucléaire (FARN) forte de 300 personnes a été mise en place. Son rôle, pouvoir intervenir en moins de 24 heures en cas d'incident ou de catastrophe. Des exercices en grandeur nature sont régulièrement réalisés comme au début de cette année dans la centrale de Paluel (Seine-Maritime).

Il a également fallu prendre des mesures spécifiques pour certaines centrales comme renforcer la digue de la centrale du Tricastin jugée insuffisante en cas de séisme violent. Des travaux qui ont provoqué l'extinction de ses quatre réacteurs.

Toutes ces mesures sont-elles aujourd'hui déployées? Pas vraiment. Ces travaux titanesques, notamment les DUS, ont pris beaucoup de retard, les derniers bâtiments ont été finalisés seulement cette année, deux après la date butoir fixée par l'ASN...

Même constat du côté des sources d'eau "ultimes" dont le déploiement devrait être finalisé l'an prochain, EDF évoquant des difficultés techniques et administratives.

Quant aux bunkers de gestion de crise, on en compte pour le moment qu'un seul, installé à Flamanville dans la Manche. Pour les autres sites, les travaux dureront encore jusqu'en 2026.

De quoi inquiéter de nombreuses associations comme Greenpeace. "Dix ans après la catastrophe, sur 23 mesures structurantes identifiées, seules 12 ont été mises en place sur l'ensemble du parc", conclut l'ONG hostile au nucléaire dans un rapport.

Des retards et des risques qui perdurent

L'arrêt automatique du réacteur en cas de séisme "ne sera pas achevé avant 2035 au mieux", selon elle. Certains réacteurs devront en effet attendre leur quatrième visite décennale à cette date pour bénéficier de cette amélioration.

"Pire, au rythme actuellement prévu, il faudrait attendre 2039 pour que les normes post Fukushima soient enfin respectées sur l'ensemble des réacteurs français", selon Greenpeace.

"Greenpeace demande à l'ASN et au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour accélérer le calendrier des travaux post Fukushima et d'en finir avec ce laxisme dangereux à l'endroit d'une filière nucléaire très loin de l'excellence", a déclaré Roger Spautz, chargé de campagne chez Greenpeace.

D'autant plus que des risques concrets existent toujours malgré le relèvement des niveaux de sécurité et les mesures déjà déployées.

Dans un rapport publié en janvier dernier, l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), une entité officielle qui est associée à l'ASN, déplore des anomalies dans les modèles calculés par EDF ou encore "des écarts de conformité" susceptibles de "perdurer". Il y a donc encore pas mal de pain sur la planche pour qu'EDF atteigne le niveau de sécurité exigé par les autorités.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business