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Culture

Zep: "Paris dans 100 ans ne sera pas très différent de celui d’aujourd’hui"

Paris 2119 par Zep et Bertail

Paris 2119 par Zep et Bertail - Zep Bertail Rue de Sèvres 2019

Zep signe le scénario de Paris 2119, une BD dessinée par Dominique Bertail qui sort mercredi 23 janvier. Il y décrit une société futuriste où chacun sera fiché et prédit que les individus cesseront bientôt de voyager dans le monde pour se replier sur eux-mêmes.

Dans The End, sorti au printemps 2018, Zep racontait la fin du monde. Paradoxalement, sa nouvelle BD, Paris 2119, dont il est cette fois uniquement le scénariste, se révèle plus pessimiste, plus sombre, plus désespérée.

Situé comme son titre l’indique à Paris en 2119, cet album dessiné par Dominique Bertail décrit une société futuriste où chacun est fiché. Si le métro existe encore, utilisé principalement par des junkies et des nostalgiques, la société préfère se téléporter grâce aux cabines "Transcore". Le héros, Tristan, rejette cette modernité. Un jour, il constate des comportements anormaux chez les utilisateurs des "Transcore"…

"L’anticipation est rarement optimiste"

"C’est vrai que cet album est un tout petit peu plus sombre [que The End], car on ne résout rien du tout", répond Zep. "On suit juste le destin de deux personnages qui s’échappent de cette histoire. Ils sont face à quelque chose d’implacable. C’est le genre: l’anticipation est rarement optimiste. J’aime bien ce genre qui nous met face à des peurs. C’est le rôle de la SF de se manifester comme un signal de l’avenir que l’on est en train de préparer." "A la première lecture, je n’avais pas vraiment réalisé à quel point c’était pessimiste", renchérit Dominique Bertail. "Je me suis fait un peu avoir par la fausse happy end."

Le métro dans le futur
Le métro dans le futur © Zep Bertail Rue de Sèvres 2019

Le Paris du futur imaginé par les deux auteurs est replié sur lui-même. Zep et Bertail en ont accentué l’aspect ville musée: "Paris dans 100 ans ne sera pas très différent de celui d’aujourd’hui, qui n’est pas très différent d’il y a cent ans", commente le scénariste. "Même si la société évolue, se transforme, on ne peut pas toucher à grand chose. C’est plus la manière dont on va investir les lieux. Dominique a donc eu l’idée d’avoir des zones où il fait beau, d’autres où il pleut. C’est une ville que tout le monde connaît. On peut jouer avec des codes."

"Une caricature de ce que Paris est devenu"

Dominique Bertail, qui a quitté Paris depuis plusieurs années, a eu envie de la dessiner "un petit peu par nostalgie", mais aussi pour y ajouter "des couches pseudo-futuristes qui permettent de faire une caricature de ce que la ville est devenue", dit-il:

"J’avais la sensation, en revenant, que Paris était de plus en plus dur, de plus en plus sombre. Il y avait plus de gens dans la rue, avec une grosse séparation de strates sociales entre les beaux quartiers branchés et ceux à l’abandon. D’où cette volonté de les séparer graphiquement par la météo. Toutes les décisions graphiques dressent un portrait du Paris d’aujourd’hui, plus qu’un portrait de ce que sera Paris, puisqu’on n’en sait rien."

Hormis une référence au mélancolique Voyage à deux de Stanley Donen avec Audrey Hepburn, Dominique Bertail a privilégié une ambiance années 1980 inspirée à la fois de la Cold Wave (des posters de Sonic Youth sont cachés dans les décors) et des chefs d’œuvre de la BD d’anticipation de ces années-là: La Foire aux immortels d’Enki Bilal et Métro Châtelet Direction Cassiopée, une aventure de Valerian et Laureline de Mézières et Christin. "J’adorais cet album, parce qu’il montre la SF par le quotidien. Il y avait le même effet dans La Foire aux immortels", s’enthousiasme Dominique Bertail, qui a aussi puisé l’inspiration chez Moebius en reproduisant presque inconsciemment le casque de son personnage Arzach.
Paris 2119 de Zep et Dominique Bertail
Paris 2119 de Zep et Dominique Bertail © Zep Bertail Rue de Sèvres 2019

"C’est terrible le métro"

Pour dessiner le métro parisien des années 2110, Bertail n’a pas eu besoin de chercher l’inspiration très loin: "C’est terrible le métro, surtout lorsque l’on se balade ailleurs et que l’on voit que d’autres villes ont de très beaux métros. C’est un peu la honte. Je n’ai pas eu envie de le changer. Je me suis dit que c’était suffisant tel quel." "Si on imagine qu’il n’est quasi plus utilisé, il ne doit pas y avoir une grosse énergie déployée pour le nettoyer", complète Zep.

Dans le Paris de Bertail et Zep, des pyramides luminescentes et des constructions constructivistes côtoient les monuments historiques et la grande roue de la Concorde, encore présente une siècle après. Une statue, située place des Victoires, est traversée de piques:

"J’ai imaginé un espèce de Buren qui aurait fait des commandes publiques en 2050, qui soient des espèces de virus métalliques qui s’approprient des lieux publics. Les colonnes de Buren m’ont inspiré ça. Les colonnes de Buren, c’est de l’art qui s’est imposé très fortement dans l’espace public. Je voulais faire une caricature de cet art qui s’empare de l’espace public sous forme de virus."

Le métro de Paris dans le futur
Le métro de Paris dans le futur © Zep Bertail Rue de Sèvres 2019

"On vit aujourd’hui le cauchemar d’Orwell"

Symboles de ce Paris futuriste déshumanisé, les personnages, que Dominique Bertail a voulu rendre le plus beau possible, ont "un jeu très dur", note Zep: "J’adore ce genre de dessin, parce qu’il n’y a aucune intention affichée tout de suite. Souvent le dessin affiche un jeu assez clair. On sait où on va, si ça va être de la rigolade, de la baston, de l’aventure." Dans Paris 2119, impossible de savoir de quoi l’avenir sera fait.

Le dessin réaliste de Bertail souligne la froideur de ce monde où les aliments sont sans cesse dupliqués (les œufs à la coque en sont à leur trilliardième reproduction) et où les individus absorbent du NMH, une drogue qui branche le cerveau sur des films.

Au-delà de la vision d’un futur angoissant, ce Paris 2119 où tout est fiché parle avant tout de dérives bien contemporaines. "On vit aujourd’hui le cauchemar d’Orwell [l’auteur de 1984, NDLR]. Même si on paye pour cela et que l’on est tout content d’être abonné à Apple, c’est complètement cela. On est tous fichés. Il y a des big datas qui savent absolument tout ce que l’on fait en temps réel", explique Zep. Il ajoute:

"On peut imaginer que cette dynamique va continuer et qu’il y aura forcément de plus en plus d’individualités fortes avec des gens qui auront envie de se réfugier dans telle ou telle époque, puisque l’on a accès à tout et que la réalité virtuelle permet de recréer de plus en plus quelque chose qui convient dans un espace très limité. On pourra se recréer le monde dans lequel on aura envie de vivre."

Paris 2119 de Zep et Dominique Bertail
Paris 2119 de Zep et Dominique Bertail © Zep Bertail Rue de Sèvres 2019

"Les gens ne se déplaceront plus beaucoup"

L’idée centrale de l’album, la téléportation, est moins utopique qu’elle n’y apparaît. Il s’agit, pour Zep, d’une métaphore de la fin, à venir, des déplacements:

"Le fait de devoir déplacer les foules, les masses laborieuses, est quelque chose qui va disparaître et qui n’a déjà plus de sens aujourd’hui. Je pense que les gens ne se déplaceront plus beaucoup. C’est une charnière intéressante. On vit les dernières années de ces déplacements. Il y a eu trente ans où tout le monde a pu visiter le monde. Je pense que dans les années qui viennent on va retaxer à mort le CO2 et qu’il n’y aura plus de low cost. Ça va de nouveau coûter dix mille euros pour aller en avion quelque part. Les gens ne vont plus bouger, il n’y aura de nouveau plus que la classe riche qui va pouvoir voyager. Ça va aussi créer une manière de vivre différente. On va apprendre à se déplacer beaucoup moins."

Une vision certes pessimiste mais que Zep et Bercail devraient a priori laisser de côté dans leurs prochaines aventures. Le premier sortira en septembre la suite de Happy Sex chez Delcourt et le second le deuxième tome de Mondo Reverso, western où les femmes occupent la place des hommes.

Paris 2119, Dominique Bertail et Zep, Rue de Sèvres, 80 pages 17 euros (une édition luxe au lavis de 88 pages est également disponible à 25 euros).

Jérôme Lachasse