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Silex and the city: Jul croque Macron en homme de "Cro-Macron"

Macron dessiné par Jul dans Silex and the City

Macron dessiné par Jul dans Silex and the City - Dargaud

Le dessinateur Jul revient avec un huitième tome de Silex and the City notamment consacré à Emmanuel Macron.

Comment dessiner Emmanuel Macron? La question agite les dessinateurs depuis l’irruption sur la scène politique du président de la République. Si certains le trouvent difficile à représenter, le dessinateur Jul a décidé de prendre à bras le corps ce problème en lui consacrant le huitième tome de Silex and the City, en librairie depuis mi-septembre. L’album précédent se terminait sur la victoire du Front Néandertalien. Le nouveau s’ouvre donc sur la victoire d’Emmanuel Macron, baptisé l’Homme de Cro-Macron.

Jusqu’à présent, Emmanuel Macron a été peu traité par le 9e Art. Ces derniers mois sont sortis Le Petit Macron illustré de Jean-Louis Festjens et Jean-Claude Morchoisne (L’Archipel), Macron, l’An 1 de Zef, Kak et Degreff (Florent Massot Eds.), ainsi qu’un recueil de dessins de presse de Willem, Macron, l’amour fou (Les Requins Marteaux). Hervé Bourhis a enfin sorti début septembre Team Méluche, évocation drolatique d’un séminaire "En Marche".

"Se marrer avec ce qui se passe"

Comment expliquer ce léger "retard" de la bande dessinée, souvent si réactive à l’actualité? "Normalement, les bandes dessinées politiques sont en flux continu", commente Jul. "Dès qu’il se passe quelque chose, il y a une BD qui sort. Le moindre personnage politique, et pas forcément les plus importants - je pense à Rachida Dati -, a des BD qui lui sont consacrées. On avait commencé le mouvement il y a longtemps avec Pétillon, qui avait fait des BD sur la politique, comme L’Enquête corse". Il poursuit:

"Puis j’ai fait Il faut tuer José Bové. Il n’y avait pas la mise en scène d’un personnage en particulier. Il faut tuer José Bové avait très bien marché et puis il y a eu La Face karchée de Sarkozy de Malka, Cohen et Riss. A partir de là, il y en a eu plusieurs, mais je m’en suis éloigné. Avec Silex and The City, j’y suis revenu. Et là, c’est vrai, il a bien fallu deux ans pour se remettre à avoir suffisamment de recul pour pouvoir raconter Macron et se marrer avec ce qui se passe."
Jul
Jul © Dargaud

Un recul nécessaire pour comprendre vers quelle direction se dirigeait Emmanuel Macron:

"Si on le tirait d’un côté, on pouvait très bien se tromper. Il avait déjà son côté un peu prophétique et sa novlangue, qui se sont complètement développés et creusés depuis. Son côté hermétique à autre chose que lui s’est aussi vraiment affirmé. C’était drôle à mettre en scène. L’opposition, comme le Front de Gauche ou le Parti Communiste, a pratiquement disparu. Il y a aussi l’importance prise par Les Insoumis, que l’on n’avait pas vu venir à ce point. Macron n’est pas tout seul dans l’espace politique: c’est l’écosystème qui est changé."

Un prisme déformant

Pour évoquer cet écosystème, Jul s’inspire non seulement de ce qui l’entoure et surtout de tout ce qui soit l’indigne, l’écœure et l’agace. En particulier le traitement médiatique de Johnny Hallyday, dont la mort ouvre le huitième album de Silex and the City: "Silex est un prisme déformant qui offre pas mal de liberté".

Une fois le contexte défini et assimilé, reste à dessiner Macron. "Plus on vieillit, plus on est facile à dessiner, parce que les traits se creusent. Quelqu’un de jeune, dès que l’on accentue quelque chose ça devient grotesque", note Jul. Pour Macron, il ne s’est pas appuyé sur les traits de son visage, "qui sont finalement assez banals, même s’il a un nez pointu", mais sur son regard:

"Ça m’a beaucoup aidé de me retrouver embarqué avec lui en Chine (ndlr: le dessinateur a participé à un voyage présidentiel en janvier 2018), parce que je me suis frotté à lui. J’ai réfléchi à ce qui faisait sa singularité. Pour moi, c’était la fixité de son regard. Il a à la fois les yeux très fixes et très perçants - et en même temps cette immobilité est inquiétante. J’ai fixé ma façon de le dessiner dans son regard. Il y avait ça et autre chose qui était assez peu dessiné: je me suis rendu compte à quel point il avait les dents du bonheur. Ça a été très peu mis en scène par les dessinateurs et les caricaturistes dans les journaux. Son regard était tellement accaparant qu’on a oublié de regarder le reste."
Jul
Jul © Dargaud

Un nouveau Lucky Luke en novembre

Sur la couverture, le regard est attiré par la présence de Brigitte Macron, qu'Emmanuel Macron tire par les cheveux, image d’Epinal de la préhistoire. "Je me suis dit que ça allait faire marrer les gens. C’est quelque chose qu’ils retiennent en lisant l’album. Mais peut-être que Brigitte Macron sera moins enchantée de se voir dessiner comme ça, parce qu’elle fait beaucoup plus attention à son image", se contente de dire Jul à propos de cette unique apparition dans son album de la Première dame.

Le dessinateur, qui prépare pour 2020 un film Silex and the City, sortira en novembre un nouvel album de Lucky Luke, dessiné par Achdé. Celui-ci se déroulera à Paris: Lucky Luke: "Je me suis bien marré à le faire." Jul est en train d'écrire le scénario de Rabbi Jacqueline, suite de Rabbi Jacob de Gérard Oury annoncée en 2016. Le fill doit raconter l’histoire des enfants et petits-enfants des protagonistes de la comédie culte:

"C’est toujours dans les tuyaux", confirme-t-il. "Je bosse avec Danièle Thompson et on a tous les deux un carnet de bal bien rempli. C’est très difficile, ça met du temps. on a écrit un truc, puis on a détricoté, puis réécrit une autre version, puis on a détricoté à nouveau. C’est un peu un travail de Sisyphe qui j’espère aboutira. Il faut accepter que ça prenne du temps."

enki bilal, invité surprise du nouveau album de silex and the city

"Il fallait que je dessine un personnage très beau et très différent de mon style habituel", nous indique Jul. "Je me suis dit que j’allais galérer. Puis j’ai eu un flash: je devais demander à quelqu’un d’autre [de le dessiner]. J’ai réfléchi au dessinateur le plus éloigné de ce que je fais. Bilal est très loin de mon univers et en même temps très familier, car je m’en suis nourri et nourri. C’est la BD que j’empruntais le plus quand j’étais petit."

Jérôme Lachasse