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Rencontre avec Hermann, Grand Prix du Festival d’Angoulême 2016

Hermann

Hermann - Le Lombard / Charles Robin

ENTRETIEN - Le dessinateur belge était de passage à Paris début décembre. BFMTV.com l’a rencontré pour évoquer avec lui sa foisonnante actualité.

Depuis la création du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême (FIBD), seuls quatre Belges ont reçu le Grand Prix: Franquin (Spirou), Jijé (Jerry Spring), François Schuiten (Les Cités obscures) et Hermann, l’année dernière. "C’est un peu étonnant, hein?", lance malicieusement ce dernier, lors d’une rencontre début décembre dans un café de la place de la Bastille. Hermann connaît bien le FIBD. Il a participé en 1973 à la première édition. Aujourd’hui, le voyage le fatigue. Et le festival a bien changé. "C’est devenu un hypermarché, une grande foire", lance-t-il.

Affiche du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême
Affiche du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême © -

Il s’y rendra tout de même cette année. Sa prolifique oeuvre (plus d’une centaine d’albums en 50 ans de carrière!), dont les titres les plus réputés vont du western Comanche à la série post-apocalyptique Jeremiah, sera célébrée lors d’une grande exposition, Hermann, le naturaliste. L’intéressé n’est guère intrigué par celle-ci: "Mon exposition n’a aucun intérêt pour moi. Il n’y a que la présentation qui peut être intéressante. Voir mes travaux ne m’intéresse pas…", explique-t-il en osant une métaphore: "C’est comme un sauteur à la perche. Tous les jours, il fait 5 mètres 50. Mais ça ne l’intéresse plus. Ce qu’il veut faire maintenant c’est 5 mètres 55."

Hermann est un éternel insatisfait. "C’est de la lucidité", dit-il. "J’arrive rarement au résultat que je poursuis. Cette insatisfaction me motive à continuer. Si vous arrivez au but, il n’y a plus de raison de continuer. Je n’ai pas d’album préféré. Dans chaque album, il y a des trucs qui sont bien et d’autres qui sont moins bien." Alors il travaille d’arrache-pied, sept jours sur sept. Il existe pourtant bien un album qu’il affectionne plus que tous les autres: On a tué Wild Bill, un one-shot publié en 1999. Cet album, très influencé par Little Big Man avec Dustin Hoffman, est selon lui son meilleur western, son "plus plausible": "Il y a de la violence, mais pas d’étalage".

Justement, la violence, son oeuvre tout entière en est imprégnée. A tel point que certains l’ont accusé d’être complaisant, voire réactionnaire. A ces critiques, Hermann préfère rappeler qu’il sonde la noirceur de l’âme humaine: "Je suis politiquement incorrect. Je n’ai pas le temps de me faire aimer par tout le monde." A Angoulême, l’accent sera également placé sur un autre aspect de son oeuvre: son goût pour la nature, les paysages et les animaux. "Je suis un amoureux de la nature", explique-t-il. "Dessiner des histoires qui se passent dans des bâtiments comme celui qui est en face de nous [il désigne l’Opéra Bastille, ndlr] ne m’intéresse pas. Dessiner des bagnoles dans des rues modernes, je peux le faire une ou deux fois, mais ça me fait chier. Il n’y a pas de sensualité. Tandis que dans la nature …"

Une case de Duke, le nouvel album de Hermann
Une case de Duke, le nouvel album de Hermann © Le Lombard - Hermann

A 78 ans, Hermann débute une nouvelle série, Duke, en librairie le 27 janvier. Le Belge y démontre une fois de plus sa facilité pour peindre, à l’aide de teintes grises ou brunes, des scènes nocturnes. Dans le premier tome, il porte une attention toute particulière aux plaines enneigés du Colorado. Coloriant lui-même les planches à l’aquarelle, il cherche à restituer l’atmosphère d’une époque révolue. A propos de la case présentée ci-dessous, il dit avoir "éprouvé de la joie" en la dessinant: "J’avais l’impression d’être dans l’image."

Une case de Duke, le nouvel album de Hermann
Une case de Duke, le nouvel album de Hermann © Le Lombard - Hermann

Pour l’aider dans cette quête, Hermann peut compter sur son fils, Yves H., dessinateur et surtout scénariste de ses derniers albums. "Il m’influence et je l’influence. A tel point que dans le Jeremiah que je suis en train de finir, je suis presque influencé par lui." L'oeuvre et le style de Hermann ne cessent d’évoluer. Rien d’étonnant: "La bande dessinée, c'est du cinéma dessiné", affirme-t-il. La preuve par quatre, avec deux nouveautés, Duke et Le Passeur, et deux rééditions, Le Diable des Sept Mers et Les Tours de Bois-Maury.

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- © Le Lombard - Hermann

Duke, tome 1: La Boue et la sang (2017)

"C’est mon fils qui a eu l’idée de ce western avec ce Marshall. Je n’en suis que le dessinateur. Avec le temps, j'obéis à mon fils. C’est bizarre, hein? Je n’ai rien à voir avec ces pères qui, parce qu’ils ont réussi, regardent leurs progénitures avec une certaine hauteur. Je ne suis pas dominateur, je ne suis pas un général en chef. Je discute avec lui de manière très paisible. Pour le prochain épisode de Duke, je lui ai demandé plus d’espaces pour dessiner des paysages. Je ne peux pas concevoir un western sans paysages. Dans Sans Pardon, il y avait d’authentiques paysages. Mon fils m’avait trouvé un tas de documentations sur le Wyoming. J’ai eu un vrai plaisir physique à dessiner ces paysages. Ici, je n’ai pas vraiment eu ce plaisir. C’était trop court."

Duke t.1: La Boue et la sang, Le Lombard, 56 pages, 14,50 euros.

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- © Dupuis - Hermann

Le Passeur (2016)

"C’est mon fils qui a écrit le bouquin. C’est assez sinistre. Il y a une fin horrible. A tel point que l’on m’a dit: 'Tu devrais dire à ton fils d’être un peu moins sombre'. J’ai une vision un peu pessimiste et je crois qu’il faut que je freine mon fils. Il est pire que moi. Le Passeur, c’est aussi une histoire d’amour, mais malheureusement elle ne finit pas très bien. Le garçon, c’est un connard. Il s’imagine que le paradis existe. Et ils vont se retrouver avec les jambes coupées [Hermann se met à rire, ndlr]. Cet album exprime la brutalité dont l’homme est capable."

Le Passeur, Dupuis, collection “Aire Libre”, 56 pages, 15,45 euros.

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- © Dupuis - Hermann

Le Diable des Sept Mers (2008-2009)

"Mon fils avait envie d’écrire une histoire de pirates. Heureusement que Patrice Pellerin [auteur de la BD L'Épervier, qui raconte l’histoire d’un corsaire au 18ème siècle, ndlr] existe. Je lui ai téléphoné et je lui ai demandé si cela ne le dérangeait pas si j’utilisais ses albums pour dessiner les bateaux à voile. Je n’avais pas de documentation. Mon soucis n’est pas d’être un documentariste, mais je voulais quand même dessiner des bateaux plausibles. Je ne pouvais pas aller dans le détail. Je n’en ai pas la patience. C’est très difficile de dessiner des personnages sur un bateau parce qu’il y a de l’encombrement. Tu deviens fou. Mon fils a voulu faire une autre histoire avec des pirates. J’ai refusé. Je lui ai dit qu’il m’avait fait tellement suer avec ses bateaux…"

Le Diable des Sept Mers, Dupuis, collection “Aire Libre”, 128 pages, 24 euros.

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- © Glénat - Hermann

Les Tours de Bois-Maury (1984-1994)

"Je suis né dans un village des Ardennes. A quelques kilomètres de là, il y avait les ruines d’un château qui avait appartenu à l’homme politique Metternich. Comme tous les châteaux non entretenus, il était devenu une ruine. Avec mes copains, vers 10-11 ans, on allait jouer dans les ruines. Pour moi, les châteaux forts, c’était un rêve. Le Moyen-Âge continue de me fasciner à cause des châteaux, mais aussi des chevaliers, des armures… Les Tours de Bois-Maury, c’est une métaphore. C’est la recherche du Graal que l’on n’atteint jamais. Au début du récit, je n’avais pas prévu dix albums. J’ai eu envie de changer et j’ai trouvé cette pirouette: on ne verra jamais le château. Je me suis rendu compte que c’était la vie de tellement de gens. C’est notre vie: nous espérons que demain, nous allons rencontrer le mec ou la femme de notre vie. Si nous n’avions pas ça, nous arrêterions de vivre."

Les Tours de Bois-Maury, Glénat, 2 volumes, 240 pages, 35 euros.

Jérôme Lachasse