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Rencontre avec Don Rosa, l'homme qui a révolutionné Picsou et Donald

Don Rosa au Festival d'Angoulême en janvier 2016

Don Rosa au Festival d'Angoulême en janvier 2016 - GEORGES GOBET / AFP

Le dessinateur américain, auteur de la célèbre Jeunesse de Picsou, était l'invité du ComicCon de Paris. Il a accepté de répondre aux questions de BFM Paris et de revenir sur son parcours, ses histoires et les raisons qui l’ont poussé à arrêter le dessin.

Entre 1992 et 2006, l’Américain Don Rosa a publié dix-neuf histoires racontant la Jeunesse de Picsou, le célèbre canard multimilliardaire dont on célèbre en 2017 le 70ème anniversaire. Intitulé La Jeunesse de Picsou, cet ensemble mêlant gags burlesques, aventures aussi mouvementées qu’un Indiana Jones et séquences émouvantes a remporté un immense succès en Europe. Aux Etats-Unis, Don Rosa s’est pourtant heurté à l’incompréhension de ses éditeurs. Incompréhension qui a précipité sa décision d'interrompre sa carrière. Rencontré lors du ComicCon de Paris, il en parle sans détour.

Couverture des intégrales Don Rosa publiées par Glénat
Couverture des intégrales Don Rosa publiées par Glénat © Glénat 2017

Pouvez-vous nous parler de Pertwillaby Papers et de Captain Kentucky, les premières BD que vous avez réalisées avant Donald et Picsou?

Peu de gens les ont appréciées. J'ai fait ça pour m’amuser. J’étais payé 25 dollars par semaine. Ça me prenait tellement de temps à dessiner... J’aurais gagné beaucoup plus en vendant du soda au bord d’une route! Ces BD, c’était une manière de libérer ma créativité. Je me fichais de savoir si quelqu'un me lisait - comme pour mes histoires de Donald. Que les lecteurs les apprécient ou non, je les ai avant tout dessinées pour moi.

Pour quelles raisons les récits mythologiques, comme l’épopée finnoise du Kalevala, occupent-ils une place si importante dans vos histoires?

Lors d’une visite en Finlande, où les canards de Carl Barks sont les plus populaires - je ne sais pas pourquoi d’ailleurs -, des gens ont commencé à me parler du Kalevala. Ces personnes m’ont expliqué que si je combinais les deux aspects les plus populaires de la culture finnoise, le Kalevala et Donald Duck, je pourrais devenir le président de la Finlande! Je me suis dit que ça pouvait être intéressant (rires) L’histoire va d’ailleurs être rééditée cette année pour le 100ème anniversaire de la Finlande.

"Je ne sais pas pourquoi Donald et Picsou sont les plus populaires en Finlande"

Goldie O’Gilt, la fiancée de Picsou, est votre personnage préféré. Pourquoi?

J’aime Picsou et Goldie ensemble. On me demande souvent quelle est mon histoire préférée. La plupart du temps, je ne les aime pas tant que ça. Certaines sont intéressantes, mais si je devais choisir mes préférées, ce sont celles sur Goldie et sur Teddy Roosevelt [le 26ème président des Etats-Unis apparaît dans trois histoires de La Jeunesse de Piscou, NDLR]. Si j’avais pu continuer à raconter mes histoires - mais on ne me l’a pas permis - je n’aurais raconté que deux types d’histoires: Picsou dans le Yukon, et Picsou et Teddy Roosevelt voyageant à travers le monde. Ils forment un bon duo.

Arbre généalogique de la famille de Picsou, par Don Rosa
Arbre généalogique de la famille de Picsou, par Don Rosa © Glénat 2017

Raconter des histoires vous manque-t-il?

On pourrait le penser. Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été obsédé par l’idée de raconter des histoires. Au lieu de sortir, je dessinais toute la journée. Au collège, j’inventais des histoires que je montrais à mes amis. A l’université, je me suis battu chaque jour pour dessiner un strip d’aventure. Puis, j’ai travaillé pour des fanzines que personne n’a lus. On me dit que je suis un raconteur d’histoires invétéré, que ça doit forcément me manquer. Aussi étrange que cela puisse paraître, cela ne me manque pas du tout. Ce système a détruit mon enthousiasme. Je ne le referai plus jamais. Mais je ne me lasse jamais de parler avec mes fans européens qui m’ont témoigné une telle reconnaissance et une telle gentillesse. Sans eux, j’aurais arrêté de faire de la BD quinze ou seize ans avant. C’est grâce à eux que j’ai pu travailler pendant aussi longtemps.

"Je ne dessinerai plus jamais"

Pour quelles raisons votre éditeur Egmont vous a-t-il interdit de raconter l’histoire de Della, la mère de Riri, Fifi et Loulou?

Les lecteurs semblaient apprécier les histoires où je raconte la genèse de l’univers de Picsou et m’ont demandé l’histoire des parents de Riri, Fifi et Loulou. J’y ai beaucoup pensé. Cette histoire ne peut se terminer que de quatre manières différentes: première solution, ils ne trouvent pas leurs parents - ce qui n’est pas très intéressant; seconde solution, ils découvrent que leurs parents sont morts -ce qui n’est pas très intéressant non plus; troisième solution, ils retrouvent leurs parents et vont vivre avec eux- impossible, ils doivent rester avec Donald; dernière solution, ils retrouvent leurs parents, mais ils restent avec Donald -impossible, je ne peux pas faire ça. Cette histoire n’avait pas de fin, alors j’ai abandonné.

Auriez-vous pu raconter cette histoire en y ajoutant les différentes fins?

Cela aurait été trop sophistiqué pour eux. Ils ne respectaient pas beaucoup leurs lecteurs. Au début des années 1990, je parlais avec un éditeur des lettres de fans que je recevais. Il m’a dit de ne pas écouter ces “dingos” et ces “ringards”. Ces propos m’ont beaucoup surpris. Comme eux, je suis un fan et il était en train de me traiter de dingo. Depuis, ils ont beaucoup appris. Les jeunes ne lisent plus de comics. Ils s’adressent désormais aux lecteurs plus âgés. Egmont n’est pas dirigé par des gens qui s’y connaissent en comics, contrairement à Glénat et à Fantagraphics [les éditeurs français et américains de ses histoires, NDLR]. Ils ignorent comment imprimer les couleurs ou s’occuper du lettrage, mais avaient le pouvoir décisionnaire. Voilà une de mes frustrations.

Picsou et ses pièces
Picsou et ses pièces © Glénat 2017

Dans Le Prix du “sou”-venir, quelques pages sont racontées depuis le point de vue d’une pièce. Ce gag a-t-il été difficile à imposer?

Cette histoire a d’abord été refusée par Egmont, parce que le personnage principal était justement la pièce. On m’a dit que je ne pouvais pas raconter une histoire dont le personnage principal n’était pas Donald ou Picsou. Elle a été refusée aux Etats-Unis, mais je l’ai faite pour la France, où elle a été publiée dans Picsou Magazine. Egmont voulait aussi que j’arrête La Jeunesse de Picsou, parce que les lecteurs n’aimaient pas ces histoires. Je trouvais ça étrange, parce qu’à cette époque, je recevais beaucoup de lettres de fans. Toutes commençaient en disant: "j’adore La Jeunesse de Picsou". Comme j’aimais raconter ces histoires aussi, j’ai proposé notamment La Harpie de la percée de la Culebra [épisode 10 bis de La Jeunesse de Picsou, NDLR] à Picsou Magazine. Et Egmont l’a utilisé aussitôt.

De quelle couleur sont censées être les pièces du coffre de Picsou? Argentée ou dorée?

Sûrement pas dorée. C'est l’une des pires choses dans les versions européennes. On perd le sens de la blague. La blague, c’est que ce type est si riche qu’il a “trois acres cubiques” de petite monnaie! Ce ne sont pas des pièces en or. Dans toute l’Europe, ces pièces sont en or, mais pourquoi? Il n’y a pas autant d’or dans le monde.

"Je n’ai jamais voulu donner l’impression que j’essayais de faire mieux que Carl Barks"

Vous dessinez rarement Picsou en train de nager dans ses pièces. Pourquoi?

Carl Barks en a eu l’idée. Pourquoi aurais-je envie de le copier? Je n’ai jamais voulu lui voler ses idées. Quand j’ai dessiné ma première histoire des Rapetou, j’en ai dessiné huit ou neuf dans chaque case. Je me suis rendu compte - ou quelqu’un me l’a indiqué - que Barks n’en avait jamais dessiné plus de sept dans la même case. J’ai donc effacé les Rapetou en trop, parce que je n’ai jamais voulu donner l’impression que j’essayais de faire mieux que Carl Barks. Je ne peux pas l’être. C’est lui qui a créé cet univers. J’ai d’ailleurs imaginé des histoires que Barks n’aurait sans doute pas appréciées. Et certains fans détestent mes histoires. Je ne sais pas pourquoi. Il y a sans doute trop d’émotions ou de complexités et ils veulent des histoires aussi simples que celles qu’ils lisaient dans leur enfance. Ils détestent qu’une personne s’empare de leurs héros d’enfance et les rendent plus sophistiqués. Je peux le comprendre. Mon conseil est simple: ne lisez pas mes histoires. Je ne veux pas vous rendre malheureux.

La grande épopée de Picsou, Don Rosa (dessin et scénario), Glénat, 7 tomes de 304 pages (29,50 euros)

Jérôme Lachasse