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Quatorze juillet: Bastien Vivès de retour avec une BD sur la France post-attentats

Quatorze Juillet, la nouvelle BD de Bastien Vivès

Quatorze Juillet, la nouvelle BD de Bastien Vivès - Casterman 2020

Le dessinateur travaille pour la première fois avec un scénariste, le journaliste Martin Quenehen. Ensemble, ils publient Quatorze juillet, une BD qui cristallise les peurs de la France post-attentats du 7-Janvier et du 13-Novembre.

Longtemps, Bastien Vivès a imaginé des histoires situées dans des mondes clos et imaginaires. Il y a eu la piscine du Goût du chlore, les salles de danse de Polina, l’île bretonne d’Une sœur et la vallée des rois de Lastman

Depuis Le Chemisier, sorti en 2018, Vivès a commencé à dialoguer avec le monde qui l’entoure, évoquant notamment la menace terroriste dans une France paranoïaque post-attentats. Cette état de fait est le sujet de son nouvel album, Quatorze Juillet, le premier qu’il co-écrit avec un scénariste, le journaliste de France Culture Martin Quenehen. 

Ensemble, ils ont imaginé une BD qui cristallise les peurs de la France post-attentats du 7-Janvier et du 13-Novembre. L’histoire, située dans un petit village de la région d’Echirolles, suit un gendarme, Jimmy, épris de justice, qui rêve de stopper un attentat, croise sur sa route Vincent, un peintre venu s’installer à la campagne après la mort de sa femme dans un attentat mais toujours animé par un désir de vengeance...

Bastien Vivès propose avec sa maestria habituelle une histoire qui explore comme souvent chez lui les zones d’ombre des individus. A l’occasion de la sortie de Quatorze juillet le 11 mars, il raconte avec Martin Quenehen la genèse de cette nouvelle aventure où se croisent Clint Eastwood, Michel Houellebecq et … BFMTV.

Quatorze Juillet, la nouvelle BD de Bastien Vivès.
Quatorze Juillet, la nouvelle BD de Bastien Vivès. © Casterman 2020

Comment est né Quatorze juillet?

Martin Quenehen: Je travaillais à l’époque sur un scénario. Il m'est apparu comme une évidence qu’il était pour Bastien. L’histoire est née dans le contexte post-attentats, où le Front national arrive au second tour [de la présidentielle, NDLR], sur fond d’une France un peu disloquée où les Français se détestent et où nous nous sommes dits: "mais nous, nous nous sentons bien dans ce pays". 
Bastien Vivès: Je ne travaille jamais avec des scénaristes, mais je voulais ouvrir mon terrain de jeu. Même si j’avais commencé à parler des attentats dans Le Chemisier, je me rends compte que Charlie Hebdo m’a vraiment marqué. Avant, j’avais beaucoup de mal avec tout ce qui était sociétal. Je me sens de plus en plus à l’aise. C’est pour moi de plus en plus important d’ancrer mes histoires dans la société, même si je ne veux pas tomber dans le réalisme. La proposition de Martin est aussi arrivée au bon moment: je voulais faire un policier depuis longtemps. 
MQ: Bastien a aussitôt aimé ce personnage du gendarme. C’est lui qui a insisté pour que l’histoire soit vue à travers ses yeux.
BV: Tous les enjeux se cristallisent sur cette personne-là. En cinq ans, les gendarmes sont passés de héros de la nation à ennemi public numéro un. Psychologiquement, il y a quelque chose qui est très dur: tu es là pour défendre des gens qui te détestent. Au cours de la BD, des images sont venues. Je me suis souvenu d'American Sniper [de Clint Eastwood, sur un tireur d’élite de l’armée américaine pendant la 2e guerre d’Irak, NDLR]. Le film m’avait bien marqué. Rapidement, je me suis demandé: est-ce que Charlie Hebdo n’est pas mon 11-Septembre et est-ce qu’on n’a pas envie de faire, avec cette BD, un American Sniper à la française?

Physiquement, le gendarme, Jimmy, fait penser à Bradley Cooper dans American Sniper. Il a les mêmes lunettes.

BV: J’ai toujours cette obsession avec les regards. Il fallait que Vincent ait un regard d’agneau et lui le côté perçant du loup. Il ne fallait pas que l’on voit tout le temps ses yeux. Quand on voit ses yeux, c’est qu’il a un peu d’humanité. Ça aide à la compréhension de l’histoire. Il y a beaucoup de non-dits. Il fallait que la mise en scène soit claire pour faire passer les émotions.
MQ: Ses lunettes lui offrent un côté impénétrable et menaçant tout en le contenant. Je ne suis pas fan de comics, mais j’adore depuis l’enfance Cyclope de X-Men. Il a des lunettes qui canalisent sa vision. Quand Jimmy se défait de son armure de gendarme - gilet pare-balles, uniforme, lunettes -, c’est là qu’il se passe des trucs imprévus. Ces lunettes contiennent l’énergie - ou toute la violence - qu’il a en lui. 
Quatorze Juillet, la nouvelle BD de Bastien Vivès
Quatorze Juillet, la nouvelle BD de Bastien Vivès © Casterman 2020
BV: J’ai refait deux ou trois fois son visage. Il fallait que l’on comprenne qu’il était jeune. Je voulais qu’il ait un visage très français. Je m’étais un peu inspiré au départ de Hugo Lloris [capitaine de l’équipe de France de football, NDLR] et puis au fur et à mesure je l’ai un peu gonflé. Je l’ai rendu un peu plus rond, un peu plus américain. 

Votre gendarme est un personnage complexe, ni bon ni méchant. 

MQ: On a voulu que le personnage reste ambigu, assez ouvert. À travers lui on fait passer plein de contradictions qui pouvaient peut-être être les nôtres et celles de beaucoup de Françaises et de Français. On a voulu montrer autour de lui d’un côté la violence et les détestations et de l’autre côté la beauté de la France. 
BV: Il n’y a que moi qui l’ai trouvé sympa! (rire). C’est un personnage qui nous paraît assez antipathique. L’enjeu est de se demander ce qu’un gendarme de 25 ans a dans la tête aujourd’hui. Il avait 10 ans lors du 11-Septembre, 18-20 ans au moment de Charlie. Il a grandi avec le terrorisme. J’ai regardé pas mal de reportages pour voir comment sont physiquement nos gendarmes. La plupart sont bodybuildés. Ils sont en recherche d’action. Une action qu’on leur vend depuis longtemps en mode: "les terroristes veulent faire sauter ton pays, ta femme, tes gosses..." Les mecs sont super chauds. Quelqu’un qui devient flic ou gendarme aujourd’hui a dans la tête qu’il y a des méchants et des gentils. L’état d’urgence joue beaucoup [sur cet état d’esprit]. 
MQ: Mais ce n’est pas forcément le cas pour tous. On a consulté des flics, des gendarmes pour que les choses se tiennent. Il y en a qui deviennent flic ou gendarme uniquement pour avoir un job de fonctionnaire et assurer les fins de mois. Ils se retrouvent pris dans un job où le cœur du métier est d’être confronté à la violence. Ils doivent l’exercer légalement pour éviter qu’elle explose partout. On avait envie d’avoir un personnage romanesque, qui ait des ambitions… C’est Madame Bovary avec un flingue. Elle voulait le grand amour et lui la grande mission, la grande action. 
Quatorze Juillet, la nouvelle BD de Bastien Vivès
Quatorze Juillet, la nouvelle BD de Bastien Vivès © Casterman 2020

Il dit vouloir sauver "les civils sans défense face à la menace terroriste".

BV: C’est un des dialogues les plus débiles que j’aie pu écrire. C’est vraiment bête, mais il y a de ça. C’est une forme de lubie: personne ne sauve personne. Je trouve ça drôle d’avoir dans un bled où il ne se passe rien ce personnage persuadé qu’il va se passer quelque chose. 
MQ: C’est comme si lui les provoquait. C’est la question de savoir quelle est notre responsabilité dans la catastrophe. A trop la vouloir, à trop la désirer, on finit par en créer les conditions. Et lui à vouloir l’éviter, il semblerait qu’il ait hâte ou que ça se retourne contre lui, que ses efforts sont contre-productifs. Est-ce qu’il n’est pas l’étincelle?

Le personnage du peintre est-il inspiré par Michel Houellebecq?

BV: Oui. Il a un physique assez victimaire. Il incarne très bien le stéréotype de l’artiste parisien. Jimmy et lui sont des stéréotypes. Le musclé de la campagne et l’intellectuel. C’est génial de jouer avec les stéréotypes. Le lecteur peut tout de suite se faire un a priori.
MQ: Bastien a rapidement été amené à créer des disproportions entre la puissance, la grandeur de Jimmy et le côté chétif, voire enfantin de Vincent. 
BV: Il y a une case où on dirait vraiment un enfant. On a l’impression qu’il est en pyjama et qu’il descend du lit. 
MQ: Pour moi, c’est une réminiscence d’Akira [manga culte de Katsuhiro Otomo, NDLR] et des enfants qui ont des super-pouvoirs et sont en même temps des petits vieux malades et dangereux parce qu’ils ont en eux une violence incontrôlable. 
Quatorze Juillet, la nouvelle BD de Bastien Vivès.
Quatorze Juillet, la nouvelle BD de Bastien Vivès. © Casterman 2020

La dernière partie de la BD - sans trop dévoiler l’intrigue - se déroule en partie sur BFMTV - et on voit même une de nos journalistes, Sarah-Lou Cohen, cheffe du service police-justice!

BV: Ce n’est pas moi, c’est Martin qui a fait toutes les captures d’écran! 
MQ: C’était une idée de Bastien. Il avait très envie qu’il puisse y avoir une vraie séquence du traitement médiatique de l’événement, qu’il y ait un climax par la télévision. Ce genre d’événements est avant tout retransmis sur les chaînes d’infos en continu, et donc BFMTV, qui est un peu emblématique. On s’est amusés à voir comment ce serait raconté. On a fait des captures d’écran, on a amassé de la documentation sur la phraséologie, sur la façon dont sont construits les reportages. Et après on a fait notre sauce, qui ne prétend pas être fidèle. Bastien tenait beaucoup à cette scène. Il a fait de BFM, de la chaîne d’info en continu, un personnage. Chacun de nos personnages suit ses propres désirs, ses propres contradictions - et il y a à la fin ce personnage-là qui a aussi sa propre mission: faire du spectacle, faire de l’événement. 
Quatorze Juillet, la nouvelle BD de Bastien Vivès.
Quatorze Juillet, la nouvelle BD de Bastien Vivès. © Casterman 2020

Quelle est la suite? 

BV: On va sûrement réfléchir à une prochaine BD. Mais pas tout de suite. Je suis rincé après celui-là. On va se laisser un peu de temps. Ce ne sera pas forcément un polar. Il y aura sûrement un Lastman Stories [série dérivée de Lastman, NDLR] qui sortira dans deux ans environ. Le livre sur l’histoire de la série sortira en fin d’année, je crois. Et je travaille sur la saison 2 de la série. On a bouclé tous les synopsis et on va commencer à attaquer les scénarios.
Jérôme Lachasse