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Pourquoi il faut fêter la Saint-Valentin malgré tout

En Inde, où est prise cette photographie, le 13 février 2017, des mouvements de droite estiment que la Saint Valentin va à l'encontre de la culture traditionnelle indienne.

En Inde, où est prise cette photographie, le 13 février 2017, des mouvements de droite estiment que la Saint Valentin va à l'encontre de la culture traditionnelle indienne. - Narinder Nanu - AFP

La Saint-Valentin ne passera pas par vous. Trop commercial, trop niais, trop tout. Et si c'était faux? Le sociologue Jean-Claude Kaufmann nous livre son plaidoyer pour la fête des amoureux.

C’est gnangnan, cul-cul, commercial. Non décidément, la Saint-Valentin, très peu pour nous. Après tout, on peut s’aimer toute l’année. Alors pourquoi céder au marketing, pourquoi se fendre d’un bouquet, aller dîner à côté d’autres couples alignés en rangs d'oignons et se regardant dans le blanc des yeux, le 14 février.

C'est un peu ce que pensait le sociologue Jean-Claude Kaufmann, avant d'explorer le sujet en profondeur pour son ouvrage Saint-Valentin mon amour! (Les liens qui libèrent). Nous avons rencontré ce spécialiste des questions du couple, qui nous a expliqué comment il avait changé d'avis sur la Saint-Valentin. Et pourquoi on serait bien bêtes de passer à côté.

> Une histoire passionnante

L’histoire de Saint Valentin, "patron des amoureux, tombé amoureux de la fille de son geôlier, aveugle, qu'il a guérie, et qui lui a écrit des lettres d’amour enflammées sur des papiers découpés en forme de cœur", ressemblait beaucoup trop à une légende. Le mythe communément admis pour expliquer l’origine de la fête des amoureux est en effet à côté de la plaque.

Il y a certes bien eu un Saint Valentin au IIIe siècle, et même plusieurs, mais sa légende bien trop belle et bien trop lisse a été forgée a posteriori et "partiellement inventée" et "auto-alimentée", assure Jean-Claude Kaufmann.

Il faut plutôt situer la naissance de la fête des amoureux au temps des Romains, qui célébraient les Lupercales, cérémonies de purification, au IIIe siècle. Les femmes y étaient fouettées, parfois fessées, par des hommes nus, car la purification était "censée les rendre fécondes".

Le Moyen-Age est ensuite passé par là avec sa tradition du Carnaval et son esprit "libertaire et vaguement transgressif", mais aussi chargé d'érotisme. L'époque est à la frustration sexuelle et l'explosion du carnaval donne lieu a des manifestations violentes et sauvages qui peuvent aller jusqu'au viol collectif. 

Il faudra ainsi des siècles pour que la Saint-Valentin devienne le doux rituel que l'on connaît. L'amour courtois et le tournant poétique du XIIe siècle en posent les premières pierres. Vient ensuite un long sommeil, dont la Saint-Valentin ne ressortira, de l'autre côté de l'Atlantique, que grâce aux motivations mercantiles de fabricants de cartes de vœux. Bienvenue dans une ère qui fleure bon le romantisme de commande? Pas seulement. Cette Saint-Valentin est "une nouveauté totale semblant surgir de nulle part au moment précis où les hommes et les femmes cherchaient à exalter les sentiments dans leurs relations", écrit ainsi Jean-Claude Kaufmann. "L’histoire de la Saint-Valentin, c’est l’histoire de l’adoucissement des mœurs amoureuses", nous précise-t-il. 

> Certains doivent se cacher pour célébrer la Saint-Valentin

Alors que nous sommes en train de râler contre les sollicitations commerciales diverses et variées, dans certains pays au contraire, on doit se cacher pour célébrer l'amour le jour de la Saint-Valentin, parfois au péril de sa vie.

"Il n'y a qu'en France qu’on est un peu récalcitrants et blasés. Dans tous les pays jeunes, les pays du Sud, la fête explose. Elle est parfois un des ferments révolutionnaires d’expression des libertés", constate Jean-Claude Kaufmann.

"Dans les sociétés où la tradition est encore forte, les autorités religieuses sont sur la défensive. Elles vont s'opposer au risque de liberté sexuelle et ont peur aussi de l'expression sentimentale, qui risque de déstabiliser la société tout entière. Pour certains, c'est l'amorce d'un changement de fonctionnement social", souligne-t-il.

Ainsi, les Iraniens doivent-ils ruser pour afficher des nounours, symbole pour eux de la fête des amoureux. Les vitrines des magasins se parent donc d'ours en peluche en couples mariés, vêtus de rose pour contourner les interdits: le rouge, couleur de l'amour, n'est pas toléré.

En Arabie Saoudite, 3.500 agents de la police religieuse arpentent les rues à la recherche de roses et de nounours. Le Bureau des prêches de Riyad a émis une fatwa sur cette fête "païenne chrétienne" - et commerciale - qu'est la Saint-Valentin.

Au Pakistan, une manifestation des pro-Saint-Valentin, armés de ballons rouges et de gâteaux, organisée en réaction à une "Journée de la décence", a dégénéré et des manifestants ont été blessés par balles. "Qui croirait, en Occident, que l'on puisse risquer sa vie pour défendre la Saint-Valentin?", écrit Jean-Claude Kaufmann.

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> Amour, argent... et politique

"Les grands critiques de la Saint-Valentin, ce sont des hommes âgés qui votent FN. C'est toujours les mêmes critiques passe-partout, 'moi je ne fête pas l'amour sur commande'. Très souvent, ceux qui disent cela pour ne pas fêter la Saint-Valentin ne célèbrent pas l'amour le reste de l'année non plus", détaille Jean-Claude Kaufmann. 

Le problème de la Saint-Valentin repose certes sur ce mélange des genres entre l'amour et l'argent, depuis le XIXe siècle, lorsque les Etats-Unis se sont appropriés la fête. Sauf que, pour le sociologue, "dans le moindre bouquet de fleurs se joue un peu l'avenir de la planète".

> Et la tendresse, bordel!

Il ne suffit donc pas d'acheter un bouquet pour s'estimer libéré. "Les femmes sont en demande, parfois silencieuse et secrète. Il y a une vague insatisfaction par rapport au couple. Et un manque de moments plus intenses, de communication, d'attention à l'autre, de bulle amoureuse". Elles attendent donc, plus qu'un bouquet de fleurs, une "occasion pour essayer d'exprimer quelque chose", estime Jean-Claude Kaufmann.

"La Saint-Valentin re-dynamise la logique d'expression amoureuse. Exprimer l'amour, ça veut dire sortir de soi, sortir des routines et sortir de la carapace habituelle".

Libre à vous de vous inspirer des Romains et de leurs lupercales, ou plus simplement de vous confier vos tendres sentiments autour d'un dîner au chandelles, ou même de choisir une autre date pour célébrer votre amour, mais ne vous privez pas de fêter la Saint-Valentin. 

Ce n'est pas seulement une bague en or 24-carats ou une boîte de chocolats en forme de cœur, c'est "le rêve d'un autre type de société, plus humaine, plus chaleureuse", conclut Jean-Claude Kaufmann, "et la Saint-Valentin fait partie de ce rêve-là".

Magali Rangin
https://twitter.com/Radegonde Magali Rangin Cheffe de service culture et people BFMTV