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Pline: l’Antiquité rêvée des mangakas Mari Yamazaki et Tori Miki

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- - Mari Yamazaki - Tori Miki - Casterman - 2017

ENTRETIEN - Mari Yamazaki, auteure de la série Thermae Romae, écoulée à 12 millions d’exemplaires, s’allie au dessinateur Tori Miki pour raconter la vie du célèbre naturaliste romain Pline.

Publié au Japon entre 2008 et 2013, le manga Thermae Romae, tribulations d’un architecte de la Rome antique dans le Japon moderne, a rencontré un succès considérable à travers le monde. La série, traduite en français par Casterman en 2012, s’est écoulée à plus de 12 millions d’exemplaires. Son auteure, la dessinatrice et romancière Mari Yamazaki, replonge dans l’antiquité avec sa nouvelle série, Pline. Pour raconter cette histoire, elle s’est alliée au dessinateur Tori Miki, qui s’est chargé des décors et des effets spéciaux.

Fascinée par la Rome antique, Mari Yamazaki retrace la vie du naturaliste romain et auteur de l’encyclopédie Histoire naturelle. Une histoire qui la passionne en raison des points communs qu’elle ne cesse de déceler entre l’histoire antique et celle de notre société contemporaine, comme elle l’a raconté à BFMTV.com, qui l’a rencontrée avec Miki Tori fin janvier dernier avant son départ pour le festival d’Angoulême: "Rome est le symbole d’une ville qui accueille les étrangers. Des gens de toutes origines et de toutes religions s’y croisaient. Ils acceptaient tout le monde. Les Romains ne vous demandaient de changer et de vous conformer à leur mode de vie." Selon Mari Yamazaki, Pline pourrait être un modèle pour les jeunes générations.

Les deux premiers tomes viennent de sortir chez Casterman. Un troisième est prévu pour l’automne. Au Japon, le cinquième est déjà disponible. Donald Trump et Hillary Clinton y sont représentés. "C’était très spontané", raconte la dessinatrice, avant d’ajouter: "J’ai dessiné Trump parce que pour le lecteur, c’est peut être plus simple pour pénétrer dans l’histoire." Un peu comme faisait Albert Uderzo et René Goscinny dans les aventures d’Astérix, qu’elle a dévorées lors de ses études en Italie. Elle poursuit: "Quand on voit Trump, on a envie de le dessiner. Ce n’est pas parce qu’on le trouve sympathique mais il possède un visage très particulier!"

Mari Yamazaki et Tori Miki ignorent exactement combien de temps durera la série. "Au minimum 10 livres, peut-être 15 ou 20", estime Mari Yamazaki, avant d’ajouter dans un éclat de rires: "Pas plus. Maintenant, au Japon, les auteurs se lancent dans des séries interminables. Ils dessinent jusqu’à 100 volumes! Nous n’avons pas l’intention d’aller aussi loin! C’est assez!" Pour l’heure, le duo a accepté de commenter trois planches extraites de premier tome de leur nouvelle série.

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- © Mari Yamazaki - Tori Miki - Casterman - 2017

Une histoire sérieuse

Mari Yamazaki: "Dans Thermae Romae, nous voulions raconter les similitudes de culture entre le Japon et la Rome antique, comme prendre un bain pour se relaxer et pas uniquement pour se laver. Dans Pline, je voulais montrer que nous avons également les mêmes problèmes que l’Italie antique avec les volcans et les tremblements de terre. Le Japon a toujours vécu avec le risque des catastrophes naturelles. J’ai beaucoup étudié la Rome antique pour Thermae Romae, mais je n’avais pas pu tout expliquer dans cette série! C’était une comédie. Mon éditeur m’a dit: ‘Ne fais pas d’histoires plus profondes qui se déroulent à cette époque. Ces histoires doivent faire rire, pas servir à étudier la Rome antique’. Alors j’ai décidé cette fois de faire une nouvelle histoire qui ne serait pas humoristique, mais sérieuse. Les artistes comme Miki Tori ou moi-même sommes très flexibles. Nous nous adaptons à tout type d’histoire, des drames comme des comédies. Cette image est bien sûr connectée à ce qui s’est produit au Japon en 2011. Nous avons toujours eu peur des tremblements de terre et des volcans..." Tori Miki: "Nous en avons l’habitude aussi..." Mari Yamazaki: "J’écris l’histoire, après avoir étudié l’époque. Puis je dessine pour m’aider à construire l’histoire. Puis je l’envoie à Tori Miki pour connaître son avis. Et je modifie en fonction de ses remarques. Je lui envoie enfin mes dessins avec les personnages et lui s’occupe des arrière-plans et ajoute des effets spéciaux. C’est un procédé très long, mais en quinze jours une histoire est bouclée. Tori Miki adore dessiner des choses très complexes et très minutieuses. Il est très fort pour dessiner les bâtiments - il a lu beaucoup de livres qui lui ont permis de dessiner parfaitement ces bâtiments. Nous voulons que les décors soient aussi proches de la réalité que possible." Tori Miki: "Les personnages que je dessine sont souvent très simples. C’est pour cela que je prends beaucoup de plaisir à dessiner des bâtiments aussi réalistes."

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- © Mari Yamazaki - Tori Miki - Casterman - 2017

Un Pline sexy

Mari Yamazaki: "[On fait remarquer aux auteurs que Pline ressemble un peu à un chevalier Jedi de Star Wars…] C’est vrai qu’il ressemble à un Jedi! (rires) Pline n’a peur de rien. Il est toujours calme, concentré. Pline est un personnage très pragmatique. Je crois qu’aujourd’hui il est possible de trouver des gens comme lui dans les sphères élevées, chez les hommes politiques. Pour moi, Pline est un exemple à suivre pour les jeunes générations. Il était curieux de tout. Peu de personnes sont comme lui de nos jours." Tori Miki: "Pour la pluie, je dessine d’abord beaucoup de lignes avec mon stylo. Puis je travaille sur Photoshop." Mari Yamazaki: "Son traitement de la pluie est très réaliste. On peut vraiment la sentir sur le manteau de Pline. Je crois que Tori Miki adore créer ce genre d’effets."

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- © Mari Yamazaki - Tori Miki - Casterman - 2017

Un yokai antique

Mari Yamazaki: "C’est une créature créée par Tori Miki! Je n’étais pas au courant! Il me l’a envoyée un jour. Ce n’est pas le genre de créature que l’on trouve dans les livres d’histoire naturelle. Tori Miki a été beaucoup influencé par les films de monstres, mais il a voulu créer un monstre qui lui soit propre, que personne n’avait jamais dessiné avant lui." Tori Miki: "C’est un Yokai, un être spirituel." Mari Yamazaki: "Pline parle d’une créature sous-marine similaire dans ses écrits. Cette créature peut être vue comme un hommage à Mizuki Shigeru. C’est très proche des créatures qu’il dessinait. Mais en même temps Tori Miki ne pensait pas ce dessin comme un hommage à Shigeru Mizuki." Tori Miki: "Oui. C’est un hommage envers un autre dessinateur: Yoshiharu Tsuge. La page qui suit celle-là est une référence à l’une des images les plus célèbres de Tsuge, tirée d’une histoire qui s’appelle Neji-Shiki (1969), l’histoire d’un jeune homme blessé à l’épaule par une méduse. Son artère est coupée et il cherche en vain dans un village désert un médecin."

Pline, tome 1 & 2, Tori Miki et Mari Yamazaki, traduit du japonais par Ryoko Sekiguchi et Wladimir Labaere, Casterman, collection Sakka, 200 pages chacun, 8,45 euros chacun.
Jérôme Lachasse