BFMTV
Culture

Pierre de Coubertin a dit qu'aux JO, "l'important c'est de participer": pourquoi c'est faux

Pierre de Coubertin (assis, à gauche), et les membres du premier Comité olympique international.

Pierre de Coubertin (assis, à gauche), et les membres du premier Comité olympique international. - AFP

Cette phrase au firmament du fair-play, mais en réalité bien peu sportive n'a jamais été prononcée par le père des Jeux olympiques modernes. Et elle résume bien mal l'état d'esprit de son soi-disant auteur.

"L'important, c'est de participer". Parlez-en aux sportifs de haut niveau, pour voir ce qu'ils en pensent. En réalité, le ré-inventeur des Jeux olympiques à qui est attribué cette citation n'a jamais prononcé ces mots. L'utilité pédagogique de la maxime apocryphe a sans doute fait son succès, tout en prêtant à son auteur le bénéfice d'une forme d'humanisme de bon aloi. Coubertin, après tout, est français. Et les JO, dont la cérémonie d'ouverture se tient vendredi à Rio, sont devenus, comme il le voulait, un événement planétaire.

En réalité, le baron très influencé par la culture anglo-saxonne de son époque a repris la phrase d'un autre, lors d'un toast porté le 24 juillet 1908 à Londres, en remerciement d'un dîner offert par le gouvernement britannique. 

“Dimanche dernier, lors de la cérémonie organisée à Saint-Paul (la cathédrale londonienne, ndlr) en l’honneur des athlètes, l’évêque de Pennsylvanie l’a rappelé en termes heureux: l’important dans ces olympiades, c’est moins d’y gagner que d’y prendre part. Retenons, Messieurs, cette forte parole, l’important dans la vie, ce n’est point le triomphe mais le combat; l’essentiel ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu”. (Cf, Le vrai Coubertin, Jean Durry, 1997)

Autrement dit, il faut respecter les valeurs sportives universelles du sport, et promouvoir un esprit de saine émulation, plutôt que d'y placer des visées politiques. Le Royaume-Uni voulait alors imposer un jury exclusivement britannique, ce qui contredisait déjà l'idéal d'internationalisation des jeux porté par le Français.

L'attirance du pédagogue pour l'éducation britannique est-elle aussi à l'œuvre? C'est fort possible. Dès 1883, ses nombreux séjours outre-Manche ont formé sa conviction que ce modèle opposé, à celui des tenants de l'éducation physique chère à la IIIe République, est le meilleur. Accessoirement, Coubertin s'initie à divers sports et se distingue dans le tir au pistolet dont il remporte plusieurs fois le championnat de France.

Un idéal humanisme rétrospectivement démystifié

Coubertin, un opportuniste, réactionnaire, colonialiste? Il est facile de juger un homme ayant vécu à cheval sur les 19e et 20e siècles (1863-1937) à l'aune de nos standards sociétaux actuels. D'adopter une vision par trop téléologique de l'Histoire. 

Opportuniste? C'est en partie vrai, mais la rénovation des Jeux olympiques modernes n'a pas été une sinécure. D'autres, avant Coubertin, s'y sont cassé les dents. Citons en France une Olympiade de la République qui s'est tenue pendant trois ans à partir de 1796.

Réactionnaire? Son assentiment à l'organisation des jeux de 1936 à Berlin, qui ont largement servi la propagande nazie, laisse parfois penser que le baron portait un regard complaisant envers ce régime. C'est sans doute aller un peu vite en besogne. Après tout, Charles Maurras, fer de lance de la très antirépublicaine Action française et plus tard soutien actif du régime de Vichy, avait qualifié Coubertin de "jeune aristocrate libéral pacifiste". De quoi le dédouaner. Mais surtout, le baron, qui mourra l'année suivante, est aux abois. A 73 ans, ruiné, malade et avec à charge un fils handicapé mental, il n'est plus alors que l'ombre de lui même.

Colonialiste? La chose ne fait guère de doute. Mais comme bien des hommes de son temps. Il l'a dit lui-même dans ses Mémoires conservées aux archives du Comité olympique international: "Dès les premiers jours, j'étais un colonialiste fanatique". Pire, certains voit en Coubertin un prosélyte de certaines thèses eugénistes proférées à l'époque - voir cet article de Mediapart. Sans avoir ici la prétention de trancher la question, il est certain que son consentement à l'organisation lors des 3e Jeux olympiques de 1904 à Saint-Louis, aux Etats-Unis, de "journées anthropologiques", compétitions réservées "aux représentants des tribus sauvages et non civilisées" ne plaide pas en sa faveur. Mais pour lui, il appartient aux blancs de guider "ces noirs, ces rouges, ces blancs".

Il y aurait encore quantité d'autres controverses à exhumer des prises de position du baron de Coubertin, d'abord porté aux nues puis voué aux gémonies. Sa misogynie et sa défense très nietzschéenne du "fort" qu'il faudrait paradoxalement protéger, car précieux et rare, contre le "faible", en sont des exemples.