BFMTV
Culture

Doit-on écrire "pass" ou "passe" sanitaire? Choix de vocabulaire et querelle des origines

Une personne fait valider son pass sanitaire sur son téléphone à Amnéville, le 22 juillet 2021

Une personne fait valider son pass sanitaire sur son téléphone à Amnéville, le 22 juillet 2021 - JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN © 2019 AFP

Tandis que le gouvernement et une partie des médias écrivent "pass" sanitaire depuis qu'il est question du sésame, d'autres lui préfèrent la graphie plus française "passe". Un duel sémantique à distance qui invite à examiner deux trajectoires parallèles.

En France, une polémique, un débat public ou un échange politique n'est jamais complet tant qu'il n'a pas trouvé son volet littéraire ou sémantique. La crise ouverte par le virus y a amené ou ramené les lecteurs vers La Peste d'Albert Camus ; on s'est demandé - sans jamais trancher tout à fait - s'il fallait dire le Covid-19 ou le désigner au féminin ; dans un autre registre mais tout aussi récemment, les esprits ont turbiné autour du terme "séparatisme", comme du concept d'"ensauvagement" dont on a tenté de démêler le parcours chaotique.

Ce mardi, et depuis quelques jours déjà, un autre clivage lexical s'impose à nous: "sanitaire", nous sommes tous d'accord, mais doit-on écrire le "pass" ou le "passe"?

BFMTV a décidé de ne pas déroger à l'orthographe qui régnait en maîtresse jusqu'alors: pour nous, c'est "pass". Mais force est de constater que "passe sanitaire" prend une place médiatique de plus en plus importante. Pour ne prendre que deux exemples, Le Monde l'utilise depuis belle lurette, tandis que le JDD l'a plus récemment adopté. On pourrait se sentir confortés par le choix des institutions. Ainsi, sur son site, le gouvernement parle de "pass" sanitaire, or, après tout, l'outil qu'il définit est sa créature.

L'Académie veut proscrire

Sauf que l'arbitre des élégances en la matière, l'Académie française, désavoue les tenants du "pass". Et vertement. Dans sa fiche consacrée à la question, en date du 1er juillet dernier et parue dans la rubrique "néologismes et anglicismes" (ce qui est rarement bon signe sur le site des Immortels), il est écrit:

"Le nom pass est un anglicisme à proscrire. Il pourrait en français être remplacé par le mot féminin passe, qui peut désigner un permis de passage, un laissez-passer". Viennent ensuite les créances chargées d'établir une filiation déjà solide dans l'univers des belles lettres: "On lit ainsi dans les Mémoires d’un touriste, de Stendhal (1838): 'Le sous-préfet […] m’a donné une passe pour l’extrême frontière' et dans Le Martyr calviniste, de Balzac (1841): 'Nul ne quitte la ville sans une passe de monsieur de Cypierre, fût-il, comme moi, membre des États.'"

Toutefois, comme le féminin semble ici vieilli, l'Académie devine qu'elle a besoin d'un tour de passe-passe. "Au sens de laissez-passer, la passe, d’emploi un peu désuet, pourrait avantageusement être remplacée par un masculin: le passe, abréviation de 'passe-partout'. L’une comme l’autre de ces formes rendraient facilement le sens contenu aujourd’hui dans l’anglicisme pass".

L'anglais baptise, le latin réconcilie

C'est peut-être là le noeud du problème. "Au sens de laissez-passer", le "passe" passe après le "pass" qui a ouvert la voie. Si le verbe "passer" existe en français depuis le Moyen-Âge, dérivé du bas latin "passare" ("traverser"), c'est en Angleterre qu'on en fait en premier un "nom" pour baptiser le titre ou document permettant le passage d'un point A à un point B, et l'accession à un lieu sans ça interdit. Mais la frontière est de toute façon poreuse entre ces deux histoires, dans la mesure où l'ancien français a beaucoup influencé ce qu'on a appelé le moyen anglais dont est directement issu "pass".

"Passe" et "pass" ont en tout cas un ancêtre commun, comme l'assure le Littré, à travers "passare" donc et auparavant "passum", supin (c'est-à-dire, en grammaire latine, la forme nominale d'un verbe) de "pando" qui signifie, selon le Gaffiot, "étendre" ou "déployer".

Ainsi, si "passe sanitaire" a tendance à "s'étendre" désormais par rapport à l'emploi de "pass", il revient seulement à franciser un brin tardivement une idée qui a d'abord germé dans la langue anglaise avant que cette manière de dire le "laissez-passer" s'exporte en France. Pas de quoi, toutefois, déployer la polémique: le latin est là, comme bien souvent, pour réconcilier ces deux possibilités d'égale valeur.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV