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Lorenzo Mattotti - Guirlanda

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- - ©Mattotti/Kramsky Casterman 2017

LA BD DE LA SEMAINE - Parallèlement à une exposition à la Galerie Martel à Paris, le dessinateur et illustrateur sort une nouvelle BD, Guirlanda, un conte sombre et mordant où son trait apparaît plus libre que jamais.

Difficile de résumer Guirlanda. C’est l’histoire d’un homme qui tente de rejoindre son épouse et leur enfant pendant un cataclysme. C’est aussi leurs aventures pour tenter de réparer leur monde. C’est enfin la nouvelle bande dessinée de Lorenzo Mattotti, l’illustrateur italien connu pour ses dessins publiés dans Le Monde, Vanity Fair et le New Yorker et des BD comme Feux ou Murmures, qui ont marqué les années 1980 et 1990. Il est de retour, avec son compère Jerry Kramsky.

Ensemble, ils ont écrit un conte drôle et sombre situé à la croisée de l’Odyssée d’Homère et des Moumines, doublé d’une ode à la beauté du trait. BFMTV.com a rencontré dans son atelier Mattotti, qui planche actuellement sur une adaptation en dessin animé de La Fameuse invasion de la Sicile par les ours de Dino Buzzati. Il commente une sélection de planches de son nouvel album, qui sont exposées, ainsi qu’une série de dessins inédits, à la Galerie Martel à Paris du 17 mars jusqu’au 13 mai.

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- © ©Mattotti/Kramsky Casterman 2017

La genèse

"Cela fait quatorze ans que je n’avais pas sorti un vrai album de BD. J’avais très peur de commencer un nouveau projet tant que je n’avais pas terminé Guirlanda. J’ai dit non à plusieurs projets. Je n’ai pas pu continuer Le laveur de vitres [série de six histoires publiées chaque semaine dans le Corriere Del Sierra, NDLR], parce que je n’arrivais pas à tout gérer. Mais je n’ai pas passé quatorze ans sur Guirlanda: je l’ai réalisé petit à petit au cours de cette période. L’idée de Guirlanda vient de mes carnets. J’ai commencé à dessiner des personnages étranges, barbus. On peut voir ces dessins à la fin du livre. J’ai eu envie de développer ces personnages, qui me faisait un peu penser aux Moumines [les petits trolls hippopotames inventés par la finlandaise Tove Jansson, NDLR]. Lorsque l’on était jeune, Kramsky et moi adorions cette façon naïve et douce de raconter des aventures. Je venais de terminer Docteur Jekyll et Mister Hyde. Je n’en pouvais plus de la couleur, des drames. Avec Kramsky, on a commencé à penser à des situations: l’ouverture du rideau, les Guirs qui dorment... C’est comme l’ouverture d’un opéra symphonique. L’idée de raconter l’histoire d’une famille me plaisait beaucoup. A un moment on a pensé à utiliser des encres colorées. Mais la mise en couleur commençait à être trop compliquée à gérer, elle risquait de devenir trop virtuose, trop démonstrative. Les mélanges de langage m’intéressent, mais pour Guirlanda je devais conserver la pureté du noir et blanc. Je n’ai jamais colorié les Guirs. Je ne les vois pas en couleur."

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- © ©Mattotti/Kramsky Casterman 2017

Un dessin libre

"C’est une image phare de Guirlanda. On s’est inspiré d’un dessin libre que j’avais réalisé pour composer ce rituel. J’avais dessiné un visage qui devenait une fumée. Cette idée m’a permis de développer le dessin d’une façon très libre, très improvisée, pour créer de nouvelles formes. La BD est un ensemble de traits qui évoque le mouvement, un monde. C’est toujours un langage de synthèse. Dans cette scène, on passe des personnages à des situations, à des arbres, à des feuilles, à des poissons et au cycle de la fécondation. C’est musical. Le scénario se développe au fur et à mesure. On commence la situation, on la développe, puis, pendant le développement, on tente des idées. Le scénario est un work in progress, jusqu’à la dernière page. Avec Kramsky, on connaissait la fin, mais on ne connaissait pas le voyage pour y arriver. On aurait pu écrire mille pages comme deux cents."

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- © ©Mattotti/Kramsky Casterman 2017

Créer des mondes

"Je préfère dessiner la nature à la ville. C’était le contraire il y a quelques années. J’avais l’impression que je n’étais pas capable de dessiner la nature. J’ai voulu apprendre à la dessiner. Le plaisir de la bande dessinée, sa force, c’est la possibilité d’inventer ses propres mondes. C’est valable aussi en littérature: 100 ans de solitude [de Gabriel Garcia Marquez, NDLR], L’Odyssée… Eux, ils ont les mots. Nous, on a aussi le dessin. On peut inventer les personnages, les arbres, les lacs, la mer. La difficulté, cependant, c’est que cela doit être un monde personnel, qui doit aider les autres à imaginer. Si les dessinateurs dessinent toujours le même monde, il cesse d’être merveilleux."

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- © ©Mattotti/Kramsky Casterman 2017

Des visages neutres et morbides

"Quand j’ai dessiné ce personnage, j’ai beaucoup pensé à la bande dessinée underground américaine, un peu morbide, à Charles Burns. On dirait que ce personnage arrive d’un autre imaginaire. J’ai donc dû le dessiner à la manière du monde de Guirlanda. C’est un mec silencieux et en même temps c’est un con: à la page suivante, il se fait avoir par une baleine géante! Quand j’étais jeune, je dessinais beaucoup de grimaces. Je me suis rendu compte que c’était un peu élémentaire de transmettre ainsi le caractère des personnages. J’ai cherché à raconter les émotions par d’autres biais. C’est les couleurs, la composition, la situation qui procurent l’émotion. Je préfère conserver un mystère dans les visages pour éviter de basculer dans le cartoon ou dans l’humour et que ce soit au lecteur d’imaginer ses propres grimaces."

Guirlanda, Lorenzo Mattotti (dessin et scénario) et Jerry Kramsky (scénario et dialogue), Casterman, 400 pages, 35 euros.

lorenzo mattotti - guirlanda

Exposition du 17 mars au 13 mai 2017. Dédicace le samedi 18 mars à partir de 15h. Galerie Martel 17, rue Martel - 75010 Paris contact@galeriemartel.fr/01.42.46.35.09 14h30-19 heures du mardi au samedi.

Jérôme Lachasse