BFMTV
Culture

Le Journal d'Anne Frank entrera-t-il dans le domaine public?

Anne Frank en 1942.

Anne Frank en 1942. - Anne Frank Fonds - AFP

Le Journal d'Anne Frank doit entrer dans le domaine public en janvier 2016. Ce que ses ayants droit tentent d'éviter. Récit d'une bataille de droits, relayée sur Internet.

Sans lui, l'"affaire Anne Frank" n'aurait peut-être pas connu un tel écho. Jeudi, Olivier Ertzcheid, maître de conférence en sciences de l'information et de la communication, poste sur son blog, une lettre à Anne Frank.

"Très chère Anne, écrit-il, je viens d'apprendre que ton éditeur et les gens qui gèrent ton oeuvre, le "fonds Anne Frank", s'opposaient à l'entrée de ton journal dans le domaine public l'année prochaine. Ils ont, chère Anne, toute une série d'arguments juridiques et légaux, qui semblent juridiquement et légalement indiscutables". 

"Dans le domaine public... en 2051"

Le droit européen stipule que l'entrée dans le domaine public d'une oeuvre intervient à l'extinction des droits patrimoniaux, soit 70 ans après la mort de son auteur. Mais les ayants droit de la jeune fille, morte dans le camp de concentration de Bergen Belsen en 1945, invoquent "le régime des œuvres posthumes", arguant que la version intégrale du Journal, n'a été publiée que dans les années 80. Ce qui repousse, selon eux, l'entrée dans le domaine public de l'oeuvre, "bien au-delà de 2015", comme ils le précisent dans un communiqué envoyé à Livres Hebdo.

Par ailleurs, comme l'explique sur son blog Lionel Maurel, juriste et bibliothécaire, spécialiste entre autres du droit d'auteur, "un autre raisonnement, complètement hallucinant, pourrait empêcher l’oeuvre d’entrer dans le domaine public jusqu’en… 2051! Otto Frank, le père d’Anne, a en effet expurgé les écrits de sa fille de certains passages qu’il jugeait choquants pour la morale car trop intimes, notamment ceux où la jeune fille raconte ses premiers émois d’adolescente et son éveil à la sexualité. Sur la base de cet acte – qu’on peut assimiler à une forme de censure patriarcale – la Fondation Anne Frank et l’éditeur du Journal estiment que cette version constitue une "nouvelle oeuvre" sur laquelle ils seraient en mesure de revendiquer des droits d’exploitation pour des décennies, Otto Frank étant mort seulement en 1980…".

"Le Journal d'Anne Frank n'a qu'une seule auteure"

Pour la députée écologiste Isabelle Attard, qui milite pour consacrer et élargir le domaine public, "l’œuvre originale, à savoir le Journal tel qu’Anne Frank l’a écrit en 1942, n’a qu’une seule auteure".

S'adressant sur son blog à ceux craignant avec une entrée du Journal d'Anne Frank dans le domaine public, que l'oeuvre puisse être réutilisée par des négationnistes, la députée, écrit également: "Certains se sont émus que des négationnistes puissent abuser des libertés offertes à chacun de réutiliser les œuvres du domaine public. Je comprends cette inquiétude. Elle est cependant inutile. Seuls les droits patrimoniaux du Journal (original) d’Anne Frank disparaîtront ce 1er janvier. Les droits moraux, eux, sont imprescriptibles en France. (...) Les ayants droit pourront toujours poursuivre en justice ceux qui feraient une adaptation irrespectueuse de l’oeuvre d’Anne Frank"

"Il est probable qu'ils m'envoient leurs avocats"

L'universitaire Olivier Ertzcheid a décidé de publier sur son blog le Journal au format ePub. "Il est probable qu'ils m'envoient leurs avocats, me somment de retirer ce texte, me condamnent à payer une amende", conclut Olivier Ertzcheid. En tout cas, son texte et son action - il se décrit comme un "militant" - ont attiré l'attention des médias et de nombreux internautes, sur l'affaire.

"Le but premier de ce billet était de porter cette question (le domaine public, les ayants droit) sur la place publique. Là au moins ... c'est fait", conclut-t-il dans une mise à jour de son billet.

M. R.