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Culture

Largo Winch est de retour et s’attaque au shadow banking

Le nouveau Largo Winch

Le nouveau Largo Winch - Dupuis

La série aux plus de 11 millions d’exemplaires vendus revient avec une nouvelle aventure. Philippe Francq, son co-créateur, y explore avec son scénariste Eric Giacometti les dessous du shadow banking.

L’Étoile du matin, la première aventure de Largo Winch sans son co-créateur Jean Van Hamme, commençait comme un conte russe. La seconde, Les Voiles écarlates, sortie le 15 novembre dernier, s’ouvre sur un clip publié sur YouTube. Entre-temps, Largo, le milliardaire en jean dont les albums se sont vendus à plus de onze millions d’exemplaires, est entré dans la modernité. 

Internet, smartphones, réseaux sociaux… la folie du monde contemporain semble s’être emparée de Largo. D’autant que ses albums, qui baignaient autrefois dans des ambiances bleues, vertes et jaunes, s’appuient désormais principalement sur un rose teinté d’orange, comme un symbole de l’aube nouvelle qui s’ouvre sur la série. "Vous l’interpréterez comme vous voulez", s’amuse Philippe Francq, qui dessine Largo Winch depuis 1990.

Débutée en novembre 2017 avec L’Etoile du matin, cette nouvelle aventure de Largo Winch clôt un arc narratif débuté en 2014 avec Chassé-croisé. "Je suis très soulagé", concède Philippe Francq, qui a insisté pour revenir, le temps des tomes 21 et 22, à l’économie pure: "Ça faisait longtemps qu’on l’avait quittée, depuis Le Prix de l’argent / La Loi du dollar (2004-2005)."

Les dessous du shadow banking

Dans ce nouveau diptyque, le duo raconte comme la Bourse peut être manipulée par des algorithmes. "Le trading haute fréquence, qui est dans le premier album, passe par des ordinateurs qui émettent en boucle des ordres d’achat et de vente. Ce sont des algorithmes qui sont programmés pour prendre les décisions à la place des êtres humains - d’où le flash crash ("krach éclair") du premier", explique le romancier Eric Giacometti, nouveau scénariste de Largo Winch depuis le départ de Jean Van Hamme. Il ajoute: 

Le dessinateur Philippe Francq et le scénariste Eric Giacometti, les auteurs de Largo Winch.
Le dessinateur Philippe Francq et le scénariste Eric Giacometti, les auteurs de Largo Winch. © Dupuis - ©Chloé Vollmer Lo
"L’autre partie, que l’on découvre dans le deuxième tome, c’est le shadow banking ("finance de l'ombre"): tout le système financier qui est hors du système bancaire traditionnel et où on échange des produits dérivés. Ces produits dérivés financiers pèsent actuellement 500.000 milliards de dollars. C’est-à-dire cinq fois le PIB mondial. C’est très opaque. On ne sait pas tout ce qui s’y passe. J’ai donc imaginé ce shadow banking qui pourrait aller vers une bourse fantôme - que j’ai complètement inventée." 

Références à James Bond

L’action colle toujours aux basques de Largo Winch, qui n'a pas les traits de Kurt Russell pour rien: "C’est très habilement organisé de telle manière que l’album n’est jamais monotone et qu’on a régulièrement des scènes d’action mélangées à des scènes d’explication", précise Francq. Le dessinateur et son scénariste se sont d’ailleurs amusés à glisser plusieurs références à James Bond, dont un clin d’œil à L’Espion qui m’aimait (1977) et à sa fameuse Lotus Esprit amphibie. 

Pour la première fois en vingt-neuf ans d’existence, Largo Winch se rend à Saint-Pétersbourg. Il s’y frotte à une nouvelle génération d’oligarques, fascinée par la Russie soviétique et obligée de composer avec le pouvoir fort de Vladimir Poutine. Largo explore de fond en comble la ville, recouverte par la neige et reconstituée dans ses moindres détails par Philippe Francq, au sommet de son art. Pour en capter les spécificités, il s’y est rendu en … été: "J’ai voulu éviter les problèmes liés au froid. L’année dernière, il a neigé dix mètres de neige! À un moment, on ne voit plus rien! Et j’aime bien choisir où je mets les paquets de neige pour éviter de me retrouver avec des prises de vue que je n’ai pas choisies." 

"Largo ne suit pas la mode"

Russie oblige, Francq et Giacometti s’inspirent des poupées russes pour la structure narrative et livrent un récit construit selon un système d’histoires enchâssées, avec beaucoup de révélations: "C’est pour cette raison que l’histoire de L’Etoile du matin était un peu incompréhensible", précise Philippe Francq. "Plusieurs histoires avançaient de front et vous ne pouviez pas en soupçonner les ramifications." 

Un extrait des Voiles écarlates, le nouveau Largo Winch
Un extrait des Voiles écarlates, le nouveau Largo Winch © Dupuis

Le duo s’était amusé à glisser, dès la première page de L’Étoile du matin, des indices qui prennent désormais tout leur sens, deux ans après. Des personnages en apparence anodins révèlent leurs noirs desseins. Un véritable plaisir, s’amuse Eric Giacometti: "Ce sont des techniques de narration. Vous plantez [un indice] au tout début, puis vous l’oubliez et ensuite vous y revenez." "Si on ne le faisait pas, vous auriez l’impression que l’on tire un méchant de notre chapeau et cela vous énerverait profondément", ajoute Philippe Francq. 

Depuis 29 ans, Largo Winch a 30 ans. Le milliardaire en jean n’a pas changé et ni le temps ni la mode n’ont de prise sur lui. "Quand je le dessine, j’essaye que ce soit cohérent. Largo ne suit pas la mode, il met juste les vêtements qui lui vont", lance Philippe Francq, qui n’a jamais ressenti la moindre lassitude à dessiner son personnage fétiche: "C’est à chaque fois une histoire différente qui me plonge dans un monde totalement différent du précédent. Je ne vois pas ce que je pourrais espérer de mieux." 

Et pour cause: un nouveau diptyque est déjà en préparation, avec des titres intrigants (La Frontière de la Nuit / Le Centile d'Or) et la promesse d’une histoire dans la veine des premières, avec plus d’aventures et moins de finance. En attendant, Philippe Francq fêtera le trentième anniversaire de son Largo avec une grande exposition organisée à l’automne 2020 à la Cité de l’économie à Paris.

Jérôme Lachasse