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La BD de la semaine: Serge Clerc commente son Intégrale Science-Fiction

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- - © Serge Clerc / Dupuis -

LA BD DE LA SEMAINE - Serge Clerc a imaginé avec Philippe Manoeuvre dans les années 1970 plusieurs récits de SF. Le cadeau idéal pour les nostalgiques des années Métal Hurlant.

Serge Clerc a marqué les années 1980 avec son graphisme mêlant cubisme et art moderne. Avec notamment Moebius, Druillet, Yves Chaland et Philippe Manoeuvre, celui qui se faisait appeler dans sa jeunesse le "dessinateur espion" a collaboré au mythique magazine Métal Hurlant qui influença aussi bien Star Wars, Alien que Mad Max. Depuis le début des années 1990, Serge Clerc multiplie les projets de BD qui restent inachevés et se consacre à l’illustration. Il a publié deux albums: Le Journal, son parcours au sein de Métal Hurlant, et Spirou vers la modernité, une variation sur le célèbre groom.

Ces dernières années, il a rassemblé dans des intégrales l’ensemble de ses travaux, depuis ses débuts à l’âge de 17 ans dans les pages de Rock & Folk, de L’Echo des Savanes et de Métal Hurlant. Relire Serge Clerc aujourd’hui, c’est replonger dans l’effervescence créative des années 1970-1980. La dernière intégrale de Serge Clerc, sortie début novembre chez Dupuis, est consacrée à son amour pour la science-fiction.

BFMTV.com l’a rencontré à son domicile parisien. Âgé aujourd’hui de 59 ans, il regarde amusé des histoires dessinées il y a maintenant quarante ans. Il s’étonne d’avoir conçu "sans s’en rendre compte" quelques histoires steampunk. Il redécouvre des détails qu’il n’avait pas perçus à l’époque. Cette Intégrale Science-Fiction est aussi un précieux document sur un dessinateur qui apprend, mois après mois, son métier. "C’est vrai", acquiesce Serge Clerc. "Trois mois, après le dessin n’était plus le même. Je ne connaissais pas encore mon métier. Je ne savais pas, par exemple, que l’on ne devait pas mettre énormément de textes dans les cases. J’utilisais un rotring [stylo à plume à encre de Chine, ndlr] sans savoir m’en servir." Il a accepté de commenter une sélections de planches, témoin de son évolution graphique.

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- © © Serge Clerc / Dupuis

"Ça me rappelle un rêve idiot"

"C’est une case de Captain Futur (1979). Manoeuvre était alors le secrétaire de rédaction de Métal Hurlant. Avec lui, j’ai dessiné quelques histoires de SF et sur le Rock. Il me livrait les pages sans savoir ce qu’il y aurait le mois d’après. Et en plus il s’occupait de Rock & Folk et aller aux concerts. Il devait dormir 4 heures par nuit! À l’époque, on était fougueux. Cette case est réalisée à la plume. Avant, j’avais tenté le rotring. La plume est plus souple. Ces dessins, c’était de la formation continue. J’apprenais le métier. Dans Captain Futur, je passe de la plume au pinceau. J’étais alors influencé par Will Eisner. J’étais très fan du Spirit et aussi de la manière dont les Américains posaient leurs aplats. Pourquoi est-ce que je suis passé au pinceau? Je ne sais pas. Dans le pinceau, il y avait peut-être plus de nervosité. Il y avait un champ à conquérir. Il fallait apprendre à le manier et à le simplifier. Ce que j’ai réussi, bien plus tard."

Détail de la couverture du livre "Le Monde du Lignus" de Michel Jeury, éd. Robert Laffont.
Détail de la couverture du livre "Le Monde du Lignus" de Michel Jeury, éd. Robert Laffont. © © Serge Clerc / Dupuis

Le jour où le créateur de Valérian lui a commandé des dessins

"Je bossais pour un journal de SF dont il était le rédac' chef. Il m’avait demandé des dessins. Longtemps je me suis demandé pourquoi il m’avait fait mes couleurs sur mes originaux. Quel culot j’ai eu de lui demander ça! Mézières, c’était une de mes idoles. J’ai dévoré Valérian pendant mon adolescence! Plus tard, je l’ai revu pendant un cocktail et il m’a dit: 'Comme tu ne savais pas faire les couleurs à l’époque, je te les ai faites!' Il avait raison. J’ai commencé à faire mes couleurs vers 1980. J’y suis allé en renâclant. Comme je n’étais pas formé, je n’ai pas pris de risques et j’ai utilisé des gammes très basses de couleurs. Ce qui a fait ma force, c’était que je ne savais pas les créer. Je me suis donc orienté vers des teintes sans risque: couleurs chair, puis des camaïeux."

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- © © Serge Clerc / Dupuis

Exterminateur 17 - L’Etoile de Vega

"Je n’y suis pour rien dans ce travelling arrière! C’est Dionnet [Jean-Pierre de son prénom. Il s’agit d’un des co-fondateurs de Métal Hurlant, ndlr]. J’ai dessiné, certes, mais la mise en scène c’est entièrement lui. Elle aurait été de moi, j’aurais été très fier, mais bon… Là, j’ai simplement exécuté. Les scénaristes sont rarement aussi précis. Mais l’histoire ne s’est jamais faite. Dionnet bossait plein de trucs en même temps. À l’époque, j’utilisais toute la gamme des noirs. Ainsi que la trame: c’était un moyen d’obtenir une profondeur avec peu de moyens. Surtout que dans Métal, au début, ce n’était que du noir et blanc. Avec la trame, on pouvait faire des éclairages facilement. C’était comme du cinéma, mais avec beaucoup moins de moyens."

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- © © Serge Clerc / Dupuis

Sam Bronx et les Robots

"Les lecteurs ont beaucoup aimé cette histoire. Là, j’arrive à une synthèse dans mon style. C’était le premier livre de la collection Atonium 58 [de la défunte maison d’édition Magic Strip, ndlr]. Chaland a sorti le deuxième [Le Testament de Godefroid de Bouillon, en 1981, ndlr]. Je ne voulais pas 40 cases par page mais des splash pages, soit deux cases par page maxi pour qu’il y ait une plus grande puissance du trait. Dans l’intégrale, c’est une reproduction un peu agrandie de l’album original. Ce sont des histoires courtes. Je n’allais pas partir de Métal pour dessiner une histoire longue pour Magic Strip! Sinon ça m’aurait pris un an! Cette histoire, c’était surtout le moyen de publier une novella tout en ayant un objet bouquin. On était des esthètes. Pour nous, la BD c’était de l’Art. Moebius et Druillet étaient considérés comme des génies. La BD n’était pas une honte, alors que c’était le cas avant. Je cherchais avant tout à m’amuser et à me faire rêver. C’est ce que disait Chaland: on était là parce qu’on le voulait. On s’en foutait de ne pas être très bien payé. Même si j’ai eu des personnages récurrents, je n’ai jamais dessiné de séries. Je n’en avais pas envie. Je suis plus axé sur la recherche du style. Le champ/contrechamp m’ennuie. J’essaye de résoudre ça en essayant d’être plus cut d’une case à l’autre, ce qui parfois est un peu trop cut. Dans mes histoires, les cases sont figées et doivent raconter le maximum de choses."

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- © © Serge Clerc / Dupuis

Paris est une fête

"Cette histoire date de 1989. J’avais arrêté la SF depuis 1981 et Sam Bronx et les Robots... Il y a eu une commande pour une expo italienne et une revue m’a demandé des pages. Chaque dessinateur de chaque pays devait représenter sa ville. Pourquoi est-ce que je l’ai dessinée en SF? Je n’en sais fichtrement rien mais j’aime bien cette histoire où Paris est devenu une ville musée. Je crois que pour cette histoire je suis revenu au rotring, que je maîtrisais alors mieux. Mais là où je suis fort, c’est pour les aplats noirs. Et là je n’en ai mis aucun… C’est vraiment dommage. A chaque fois que je relis cette histoire, j’ai envie d’en mettre. Mais je n’ai pas eu envie de trahir l’original pour l’intégrale."

Intégrale Science-Fiction, Serge Clerc, Dupuis, "Patrimoine", 384 pages, 45 euros . 

Jérôme Lachasse