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La BD de la semaine: Richard McGuire commente Dessins Séquences

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- - © Richard McGuire - Gallimard -

Un an après avoir reçu le Fauve d’or d’Angoulême pour Ici, l’artiste américain sort un livre réunissant ses dessins pour la prestigieuse revue The New Yorker.

Richard McGuire n’est jamais là où on l’attend. Qu’il soit bassiste pour un groupe de funk rock, auteur pour la jeunesse ou dessinateur de livres illustrés, il ne cesse depuis ses débuts d’expérimenter. Il y a presque deux ans, Ici (Gallimard) avait ébloui la critique et le public. Il y racontait, sur des milliers d’années, la vie d’une parcelle de terre, des temps immémoriaux où celle-ci était recouverte d’arbres au monde contemporain où se dresse une maison. On y découvrait ses habitants successifs, ou comment des actions des années 1920 entraient en résonance avec celles des années 2000. Un tour de force qui lui a valu fin janvier 2016 le Fauve d’or du Festival de la BD d’Angoulême.

11 mois plus tard, il revient avec un nouveau projet, Dessins séquences (Gallimard), petite brique blanche de presque 600 pages réunissant une sélection de dessins réalisée pour The New Yorker. Pendant dix ans, Richard McGuire a dessiné dans les colonnes de la prestigieuse revue américaine des cabochons, ces petites illustrations qui accompagnent un texte. Il en a réalisé des séries de 9 qui, numéro après numéro, formaient des histoires. Des histoires silencieuses dont les héros sont aussi bien des humains que des insectes top-models ou des lampadaires. Un procédé qui n’est pas sans rappeler Le Parti Pris des Choses, où le poète Francis Ponge évoquait la beauté des objets du quotidien.

De passage à Paris début décembre à l’occasion du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, Richard McGuire a accepté de commenter pour BFMTV.com une sélection de dessins issus de ce curieux mais passionnant ouvrage.

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- © © Richard McGuire - Gallimard

Première histoire

"C’est la première séquence que j’ai réalisée. Je l’ai dessinée à Paris. J’y vivais pour travailler sur le film d’animation Peur du Noir. Cela m’a sans doute influencé parce que cette histoire ressemble à un dessin animé. Je ne pense pas en revanche que ces dessins soient de la bande dessinée. La narration est bien plus vague. L’une des raisons pour laquelle j’ai débuté cette série est que The New Yorker utilise ces petits dessins pour décorer ses pages. J’aime travailler avec ces restrictions. La taille, par exemple. Je ne peux réaliser que des séries de neuf dessins. Pour tout mon travail, quel qu’il soit, je m’impose une structure et des limites. Dans Ici, je n’avais le droit qu’à une seule pièce. Après avoir dessiné ces cabochons pendant dix ans, je me suis dit que cela ferait une jolie collection, un ‘best of’. Dans mon esprit, je voyais cette petite brique. J’aime que les dessins soient présentés un par page. C’est ainsi qu’ils sont censés être regardés. C’est en cela qu’ils se distinguent des comics: chaque dessin doit être suffisamment fort pour exister seul sur chaque page. Cela n’a rien à voir avec une case de bande dessinée."

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- © © Richard McGuire - Gallimard

Les insectes mannequins

"J’habite à Manhattan, mais j’ai une petite maison à la campagne. Quand j’y vais les week-ends, il me semble que chaque semaine un nouvel insecte fait son apparition. C’est un dessin très autobiographique! (rires) Plusieurs histoires sont inspirées de ma vie, comme celle sur le bruit. J’avais un voisin qui en faisait beaucoup. La plupart des dessins a été réalisé sur ordinateur, sur le logiciel Illustrator. Comme les dessins sont petits, je voulais qu’ils soient propres. Certains, comme les insectes, ont en revanche été réalisés à la main, avec un crayon. J’aime bien les lignes plus rugueuses. Mais de temps en temps seulement. Le style change à chaque fois: soit il ressemble à un cartoon, soit il est plus réaliste. Le style doit être au service de l’idée. Je ne veux pas créer un univers et en rester prisonnier. C’est aussi ce qui me distingue des dessinateurs de bandes dessinées. La plupart d’entre eux créent un univers et y vivent. Je pense à ce qui sert l’idée. Peu importe que ce ne soit pas de la bande dessinée traditionnelle. Il arrive d’ailleurs dans Dessins Séquences qu’il n’y ait pas d’histoires. Parfois, il s’agit juste d’une succession d’objets. C’est comme un livre de poèmes visuels. On dirait presque aussi des haïkus, ces poèmes japonais qui possèdent une structure et un rythme très précis. Avec le titre 'Dessins Séquences', je voulais indiquer précisément que ce n’était pas de la bande dessinée."

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- © © Richard McGuire - Gallimard

Le métro

"Là aussi, c’est inspiré de ma vie. Quelqu’un me fixait dans le métro. Et c’était à Paris, pas à New York. Je trouvais amusant que ses yeux aillent de chaque côté de la rampe. Les autres dessins de cette série se déroulent à Paris, dans le métro. On s’en rend compte parce les fauteuils n’ont pas la même forme dans le métro newyorkais!"

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- © © Richard McGuire - Gallimard

Visages

"J’adore Ray Johnson. C’était un pop artist. Il connaissait Wahrol. Mais il ne participait pas à cette scène. C’est plus un solitaire. Je le voyais de temps en temps à New York. Je suis un grand fan. Je n’ai pas pensé à lui en faisant ces personnages, mais vous avez peut-être raison. Je suis influencé par tant de personnes… En fait, j’ai pris une balle de ping pong, j’ai peint dessus un visage et je l’ai donnée à un ami pour son anniversaire. C’était celui qui dormait. Vous connaissez les sculptures de Brâncuși [Constantin Brâncuși est un sculpteur roumain né en 1876 et mort en 1957, ndlr]? Il y en a une qui s’appelle Sleeping Muse. C’était cela que je voulais reproduire! (rires) Puis, une de mes amies est tombée enceinte. Je lui rendais visite tous les jours. C’est aussi le sens de cette image, qui a d’ailleurs été publiée le jour où mon amie a accouché. C’était chouette. Au départ, c’était des balles de ping pong, mais pour cette photo j’ai utilisé de l’argile. C’est inhabituel aussi qu’il y ait des photos dans The New Yorker."

Cadres

"Cette séquence - qui s’intitule ‘Framed’ - est une de mes préférées. Quand j’étais à l’école, j’ai étudié la sculpture. Quand j’ai assemblé toutes mes histoires, je me suis rendu compte qu’elle parlait principalement d’espace, de formes et de structures. Je ne me considère pas comme un dessinateur de bande dessinée. J’utilise le médium comme j'utilise n’importe quel autre. Je ne ressens aucune nécessité de bousculer ce médium. Je suis mes propres envies. Ici aurait pu être une bande dessinée classique, mais j’ai été influencé par mon travail sur les livres pour enfants. C’est pour cette raison que j’ai dessiné des doubles pages. Je ne me suis pas dit: ‘tiens, je vais changer la bande dessinée’, mais plutôt: ‘tiens, je peux utiliser ce livre comme un objet architectural’. Je suis un artiste qui joue avec plusieurs médiums. Je veux continuer cette approche. On m’a demandé récemment de participer à un projet de réalité virtuelle inspiré d’Ici. Je n’y connais rien. Mais ça m’intéresse!"

Dessins Séquences: série du New Yorker, Richard McGuire, Gallimard, 583 pages, 23,50 euros.
Jérôme Lachasse