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La BD de la semaine: Nine Antico commente Autel California: Face B- Blue Moon

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- - © Nine Antico / L'Association 2016

LA BD DE LA SEMAINE - La dessinatrice, qui poursuit sa relecture onirique de la scène musicale américaine des années 1960 et 1970, a accepté de commenter pour BFMTV.com une sélection de planches de son nouvel album.

En 2014 sortait chez L’Association Autel California: Face A- Treat me nice, relecture onirique de la scène musicale américaine des années 1960. Nine Antico y racontait le parcours de Bouclette, une adolescente fan des Beatles, des Beach Boys ou encore d’Elvis. Une récit inspirée d’une histoire vraie, les mémoires de la reine des groupies, Pamela des Barres, qui forma en compagnie de six autres fans de musique le groupe des GTO. Ensemble, elles sortirent un disque, Permanent Damage, produit par Frank Zappa.

Nine Antico a sorti début octobre Autel California: Face B- Blue Moon, suite et fin de ce trip où se côtoient les Rolling Stones, Jim Morrison et Charles Manson. Le trait est plus spontané, plus dur, plus sombre aussi. Des visages connus défilent: Brian Wilson, Frank Zappa, Jim Morrison… Nine Antico les dessine usés par la vie, comme des fantômes. La fin approche diraient les Doors.

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- © © Nine Antico / L'Association 2016

"This is the end, beautiful friend"

"Avant Manson, le festival de Monterey est considéré comme un des premiers signes d’un changement d’air. La musique devenait plus commerciale. Les gros labels s’y intéressaient, ce qui tuait un peu la spontanéité des groupes qui circulaient juste sur le Sunset Strip. Autel California s’ouvre sur le festival et dévoile l’envers du décor, une fois que Bouclette est passée de l’autre côté du miroir. Est-ce la réalité ou le rêve qui domine dans le livre? C’est une bonne question. J’essaye de trouver le bon équilibre entre les événements emblématiques, qui racontent l’époque, et ceux que j’ai trouvés touchants. C’est vraiment de la couture. J’essaye de raccorder en patchwork ces deux envies et de ne pas trahir la réalité tout en brodant. J’ai eu envie de dessiner plus vite cet album parce que j’ai été très pressée d’arriver au bout. Entre mon voyage là-bas et mes recherches, j’ai travaillé en tout sept ans sur le sujet. L’espace entre les tomes 1 et 2 a été trop long. Je voulais que le 2 sorte pour donner de la densité au premier. Le premier est assez éthéré. C’est vraiment une entrée en matière dans la musique. Il n’y avait pas vraiment de climax."

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- © © Nine Antico / L'Association 2016

Dessiner la musique

"J’ai dessiné plus rapidement que d’habitude. Le feutre Posca m’a permis d’obtenir cet aspect gratté, moins appliqué. C’est un effet que je me suis permis et que je ne pensais pas garder. Comme souvent, c’est la pratique qui conditionne le dessin et devient un geste artistique. Je garde chez moi plein de feutres Posca à des niveaux d’hydratation différents. Même ceux qui sont secs, je les conserve. Pour rendre la gestuelle de ces groupes pendant les scènes de concert, le trait jeté du feutre Posca est idéal. L’idée est d’essayer de caractériser en un mouvement la personnalité d’un musicien. Les mots qui circulent dans les cases permettent aussi de rythmer la planche. Quand on dessine une scène d’action, on sait comment circulera l’oeil, où il s’arrêtera. Le dessin, c’est une affaire sensorielle. Les plans où il y a du mouvement ne sont pas les plus durs. Il n’y a pas de décors. Je suis beaucoup plus à l’aise à dessiner les corps et les gens que les perspectives, les décors. J’ai dans ma tête comme une petite bibliothèque de gestuelles. Pour les musiciens, je m’inspire de photos. C’est les faire entrer dans un décor qui est compliqué, comme se demander si on fignole ou pas les arrière-plans dans les scènes où il y a beaucoup de mouvement."

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- © © Nine Antico / L'Association 2016

Dessiner les visages

"J’ai l’impression d’avoir un dessin mi-réaliste mi-symboliste. Je ne vais pas dans le détail pour aider à la lecture. Et justement cette évanescence et cette absence permettent de finir soi-même le dessin. En dessin, si on représente exactement la réalité, elle paraît laide. On est obligé de la transformer. C’est une projection. Je n’avais pas sans arrêt des photos des personnages devant moi. Je me les suis appropriés. Elvis, par exemple, est très dur à dessiner. Et Bob Dylan aussi. J’en ai chié pour le dessiner! Il est assez diaphane et ses ombres sont assez marquées. Le moindre trait en trop change complètement son visage."

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- © © Nine Antico / L'Association 2016

Manson

"Le premier chapitre de Helter Skelter [Helter Skelter: The True Story of the Manson Murders, livre-enquête écrit par Vincent Bugliosi et Curt Gentry publié en 1974, ndlr] commence avec des témoignages des gens qui ont entendu les meurtres. Comme procédé narratif, c’est super flippant. Cet événement a été comme une déflagration, mais il n’a concerné en réalité que très peu de gens. À l’époque, ça n’a étonné personne, comme le dit le texte de Joan Didion que j’ai placé au début du livre [Requiem pour les années 60, extrait du livre L’Amérique, ndlr]. Pamela des Barres n’en parle même pas dans ses mémoires. A cette époque, elle était en tournée avec Led Zeppelin. Ce que je trouve intéressant à travers Autel California, c’est de montrer comment le mal peut vite prendre le pas sur quelque chose de beau, comment une émancipation peut aussi être nocive." Autel California: Face B- Blue Moon, Nine Antico, L’Association, Ciboulette, 212 pages, 19 euros.

Depuis le 23 novembre, Nine Antico participe également avec Atak, Nathalie Choux, Véronique Dorey et Jean Lecointre au Winter Show de la galerie Arts Factory. La dessinatrice y expose des dessins de pom-pom girls réalisés pour un fanzine.
Jérôme Lachasse