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La BD de la semaine: Mathieu Bablet commente Shangri-La

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- - Ankama - Mathieu Bablet

LA BD DE LA SEMAINE - A 27 ans, ce dessinateur signe un récit de SF inspiré par Akira, le manga culte de Katsuhiro Otomo, et le cinéma de John Carpenter.

Il était l’un des favoris du dernier Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême (FIBD). Il est pourtant reparti bredouille. Mathieu Bablet, 27 ans, a néanmoins rencontré un important succès critique depuis la sortie fin août de son deuxième album, Shangri-La, un récit de science-fiction foisonnant convoquant des thématiques comme le racisme, le spécisme et la mondialisation.

Très influencé par le Japonais Katsuhiro Otomo, l’auteur d’Akira et de Dômu et par les Américains Mike Mignolia, le créateur de Hellboy, et John Carpenter, le réalisateur de The Thing, Mathieu Bablet raconte dans les quelque 200 pages de Shangri-La l’histoire d’une galaxie, de sa création à sa destruction. Croisé au FIBD, il a accepté de commenter pour BFMTV.com trois planches de son album.

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- © Ankama - Mathieu Bablet

L’espace

"C’est une planche qui synthétise le propos de Shangri-La: le rapport de l’homme à l’univers, la petitesse de son existence par rapport à l’infini et la vacuité potentielle - et avérée dans l’histoire - de ses actions par rapport à la création. Ce genre de planche de contemplation est là comme une respiration dans la narration. Elle permet aussi de happer le lecteur. Il y a cinq-six planches comme celle-là dans l’histoire. J’utilise le numérique pour mes couleurs. Là, en l’occurrence, je voulais que l’espace et les planètes soient colorisés d’une manière différente des cases avec les personnages. Je voulais qu’il y ait un aspect presque photographique. Ici, c’est de la peinture numérique avec des pinceaux un peu spéciaux qui simulent la gouache, l’aquarelle, etc. J’ai travaillé avec des photos de référence prises sur le site de la NASA. Pour obtenir ce bleu très particulier, j’ai poussé la saturation. J’ai peint digitalement la Terre et par-dessus j’ai ajouté des filtres pour rehausser le bleu et pour qu’il soit le plus pétant possible. D’autant plus qu’entre le résultat à l’écran et à l’impression, on n’a pas la même luminosité."

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- © Ankama - Mathieu Bablet

Spécisme et film d’horreur

"Grâce à ce quadrillage, je peux montrer une succession d’actions comme des flashes, ce qui me permet de donner plus d’impact à chaque case. Il m’importait que dans toutes les scènes en intérieur l’éclairage soit artificiel, contrairement aux scènes dans l’espace avec une lumière naturelle. D’où ce jaune. Cette planche évoque aussi la question du spécisme, qui est un des thèmes du livre. La race des Animoïdes, inventée pour les besoins de ce livre, cristallise beaucoup d’idées: le racisme ordinaire sur les communautés minoritaires, le travail dans les usines délocalisées qui nous permettent d’avoir un confort technologique et la question du spécisme. A savoir: on est au sommet de la chaîne alimentaire. Ce n’est peut-être pas pour pouvoir bouffer toutes les espèces en-dessous, mais pour se dire: 'On a la responsabilité et la conscience de se dire que l’on peut se passer de la maltraitance voire de la consommation des animaux.' Je suis également très attaché au cinéma de genre et au cinéma d’horreur. J’aime beaucoup John Carpenter. J’avais en tête quelques passages de The Thing, où c’est très organique, très dégoulinant. Ça imprègne mon travail de manière évidente. C’est la planche la plus violente de l’album. Elle était voulue en tant que telle, parce qu’elle représente le pinacle de la tension dans l’album."

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- © Ankama - Mathieu Bablet

L’importance des couleurs

"C’est une de mes planches préférées de l’album. Ce dégradé, c’est quelque chose que je n’arrive pas à retranscrire dans toutes les cases: la luminescence dans les ombres, ce côté presque impressionniste où l’on trouve partout, même dans les ombres, de la couleur. Sur cette case, ça marche plutôt bien. Le personnage monte vers la plus haute tour de la station pour faire face aux dirigeants. Cette planche est importante parce qu’elle ouvre le dernier acte. Elle suit une planche violente. Il y a un contraste entre ce qui se passe en bas de la station, où il y a une révolution, et ce moment où lui est seul et monte doucement, sans bruit, en haut de la station. Ce parallèle-là est important. C’est une scène d’apaisement pour mieux préparer le lecteur avant le déchaînement qui va suivre. Ces couleurs, c’est aussi le crépuscule. On approche de la fin de l’aventure. C’est une technique de narration assez courante, notamment dans les séries B et les films d’horreur: la fin de l’aventure, lorsque les deux survivants ont échappé au monstre ou au tueur, se déroule toujours au petit matin. Ça symbolise le renouveau, l’ouverture du champ des possibles, etc. J’essaye, lorsque je travaille, que le dessin, le scénario et la couleur soient à part égale. La couleur n’est pas là pour coloriser le dessin terminé. Sur un album aussi long que Shangri-La, je ne voulais pas perdre non plus le lecteur avec quelque chose de monotone. Je voulais raviver son intérêt en changeant régulièrement d’ambiance colorée."

Shangri-La, Mathieu Bablet, Ankama éditions, Collection Label 619, 224 pages, 19,90 euros.
Jérôme Lachasse