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La BD de la semaine: Les Praticiens de l’infernal vol. 2 de Pierre la Police

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- - © Pierre La Police / Cornélius 2017

LA BD DE LA SEMAINE - Le mystérieux dessinateur fait également l’objet d’une exposition à Aix-en-Provence.

Connu pour ses illustrations dans Les Inrockuptibles et So Film, Pierre La Police est pourtant un illustre inconnu: ni son véritable nom, ni son visage ne sont connus. Maître d’orchestre d’un univers dessiné à nul autre pareil, Pierre La Police préfère s’effacer derrière ses albums. Son dernier, Les Praticiens de l’infernal vol. 2: Miracles nuisibles et malveillances célestes (quel titre!), vient de paraître aux éditions Cornélius. Il y retrouve ses mythiques personnages, les jumeaux Thémistecle et Fongor, qui enquêtent sur des raisins responsables de décapitation. Difficile de résumer les histoires de Pierre La Police. Mieux vaut le lire:

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de la BD?

J’ai commencé enfant car je m’ennuyais beaucoup. De nombreuses activités et sorties m’étaient interdites car je suis atteint du syndrome de la tête de velours. Pour occuper mon temps, je fabriquais toutes sortes de petits objets et je dessinais. Ces dessins, pour la plupart accompagnés de textes, se sont naturellement orientés vers des formes de bande dessinée.
Mes modèles étaient les BD que je lisais à l'époque et que j'essayais tant bien que mal de recopier: Mandrake le magicien, Gotlib, les éditions Marvel, DC Comics sans oublier ces publications italiennes crapuleuses qu’un libraire voulait bien me vendre alors que j’étais loin d’avoir l'âge légal pour les acheter.

Comment définiriez-vous Les Praticiens de l’infernal vol.2? Est-ce une BD ou un livre d’illustrations?

Le format est quelque peu singulier, chaque page est occupée par une seule et unique vignette dont le format est toujours identique, cela afin d’occulter l’aspect séquentiel de la narration. Les héros sont stupides et parfois vilains, la narration et le langage subissent de nombreuses turbulences, mais pour autant ceci reste de la bande dessinée et je m’applique à ce que le lecteur retombe toujours sur ses pieds malgré les nombreux trous d’air.

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- © © Pierre La Police / Cornélius 2016

Pour quelles raisons avez-vous choisi de publier dans un premier temps cet album sur l’application iBooks? Quels avantages offrent l’édition numérique?

Lorsqu’est née ma série des Praticiens de l’Infernal, il y a bientôt 30 ans, j’avais imaginé un format de lecture particulier dans lequel il se passerait quelque chose dans chaque case et chaque case pourrait être lue individuellement, sans être parasitée par la présence des autres vignettes. J’avais abandonné cette idée mais elle est revenue avec l’apparition des premiers Smartphones puisque ceux-ci se prêtent idéalement à ce type de lecture : un écran = une vignette. C’est cette adéquation qui m’a donné envie de ressusciter mes personnages de Fongor et des Frères Thémistecle.
Je trouve également séduisante l’idée d’avoir en poche un livre de plusieurs centaines de pages, libéré de la gravité et facilement lisible dans les creux de la vie de tous les jours. C’est un dispositif qui se prête bien à la légèreté de mes récits. Ce mode de diffusion me permet également de renouer avec l’auto-édition que je pratiquais à mes débuts, cette fois à une échelle plus importante puisque ces ouvrages sont disponibles dans plus de 50 pays. C’est une expérience différente de l’édition papier et je crois que ces deux supports peuvent tout à fait se compléter et se valoriser mutuellement.

Travaillez-vous sur du papier ou sur une tablette graphique? Quelle est votre méthode de travail? Comment choisissez-vous vos couleurs?

Le dessin original est réalisé sur du papier, je reste attaché à ce support qui donne au travail une vibration particulière que ni l’impression ni la représentation numérique ne peuvent retranscrire. L’image imprimée de façon courante témoigne du dessin original, elle en est le reflet mais peut difficilement le remplacer. La mise en couleurs est faite sur ordinateur à partir d’un choix limité de 14 couleurs plus le noir et le blanc. Ces couleurs sont choisies et calibrées pour pouvoir couvrir un maximum d’options de coloriage avec une palette minimale.
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- © © Pierre La Police / Cornélius 2017

Comment écrivez-vous votre scénario? Quelle place est laissée à l’improvisation?

Je dresse des listes de mots, idées et documents divers que je laisse macérer pendant des années dans des bacs contenant une solution aqueuse rendue active par un ferment soluble. Tout cela est stocké dans des caves un peu similaires à des caves à champignons. Après avoir enlevé la couche de moisi qui s’est développée avec le temps, il faut affiner et assembler les mots et idées dans un certain ordre pour obtenir le goût souhaité.
Quand je commence à dessiner une aventure des Praticiens de l’Infernal, l’histoire est déjà précisément écrite jusqu’au point final et j’ai en tête une image précise de ce que représentera chaque vignette. Ces images se forment à mesure de l’avancée de l’écriture, presque à mon insu. Au fil de la réalisation je m’efforce de les retranscrire le plus précisément possible.

Les personnages des Praticiens de l’infernal, les jumeaux Thémistecle et Fongor, vous accompagnent depuis la fin des années 1980. Comment sont-ils nés?

C’est parti d’une photo de série américaine découpée dans un magazine télé - c’était la série Magnum je crois et le document était à peine plus grand qu’un timbre-poste. Sans but précis et avec une marge d’interprétation assez importante j’avais reproduit les trois personnages figurant sur cette photo. Une fois terminé, il émanait de ce portrait de groupe quelque chose de particulier, les personnages avaient une certaine contenance qui appelait un développement. Je me suis laissé guider par ce qu’ils évoquaient pour moi et assez vite leurs noms sont arrivés ainsi que le goût étrange de leurs récits d’aventures – un mélange de fantastique, de mystère et de rigolade qui s’avance sans jamais dire son nom ainsi qu’une défaillance de syntaxe et d’exécution érigée comme composante du récit.
Pour asseoir la folie de la narration, je l’ai placée dans un cadre assez rigide: des cases de taille égale, pas de phylactères, mais un bandeau de texte court positionné au bas de chaque vignette et agissant comme une voix-off. Leurs premières aventures ont été auto-éditées, imprimées en photocopies et tirées à moins d’une centaine d’exemplaires. Ces fascicules étaient diffusés à la librairie parisienne Un Regard Moderne par l’unique Jacques Noël qui les a faits connaître au monde.
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- © © Pierre La Police / Cornélius 2017

Votre humour privilégie l’absurde, des associations d’idées inattendues. Quelles sont vos influences, graphiques comme cinématographiques?

J’ai été nourri de mauvaise télévision, littérature de bidasses, cinéma d’exploitation et de tout ce que la culture populaire peut offrir de moins recommandable en apparence. C’est peut être la fréquentation assidue de cette indigence qui a éveillé mon goût pour les clichés, les genres et mon envie de les déculotter. Un jeu sur les codes narratifs s’est mis en place à travers mes dessins et ce jeu s’est très rapidement étendu au langage, celui des médias, de la publicité, de la science, de l’entreprise, des religions, etc.
Pour entretenir cela, j’ai dû me documenter, accumuler des brochures spécialisées, fréquenter des sectes, rencontrer des acteurs majeurs de la filière bois, à une époque j’ai même été obligé de porter des perruques. Mes influences ne proviennent pas directement d’artistes, auteurs ou réalisateurs en particulier, mais davantage de la banalité du monde.

Une nouvelle aventure des Praticiens de l’infernal est-elle prévue? Quels sont vos projets?

D’autres aventures des Praticiens suivront mais ce n’est pas pour tout de suite. Il me faut généralement plusieurs années pour écrire et dessiner un album car je travaille lentement et le plus souvent sur plusieurs projets à la fois. Certains de ces projets aboutissent, d’autres se perdent, c’est pourquoi il m’est difficile d’en parler avant leur sortie.
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- © © Pierre La Police / Cornélius 2017

Pierre la police, Les Praticiens de l’infernal, vol. 2, Cornélius, collection Raoul, 19,50 euros.

Jérôme Lachasse