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La BD de la semaine: Isabel Greenberg commente Les 100 nuits de Héro

Détail de la couverture des 100 nuits de Héro

Détail de la couverture des 100 nuits de Héro - Isabel Greenberg & Casterman 2017

LA BD DE LA SEMAINE - La dessinatrice britannique sort un deuxième livre qui évoque aussi bien Les Mille et Une Nuits que les contes des frères Grimm.

L’action des 100 nuits de Héro (Casterman), d’Isabel Greenberg, se déroule dans un monde où les femmes n’ont pas le droit de lire, où l’accès à la culture leur est interdit. Deux femmes, Cherry et Héro, s’aiment, mais, pour survivre, elles doivent s’aimer en cachette. Cherry est mariée de force à un barbon. Celui-ci fait le pari avec une de ses connaissances que sa femme lui restera fidèle pendant 100 jours, tandis que l’autre se donne 100 jours pour la séduire. Les deux femmes ne l’entendent pas de cette oreille et conspirent pour se sauver. Comme dans Les Mille et Une Nuits, Héro va raconter des fables et des contes pour endormir ces hommes maléfiques et s’enfuir de leurs griffes. Le récit imaginé par Isabel Greenberg multiplie les récits enchâssés à l’aide de dessins évoquant des gravures du Moyen-Âge. Pour BFMTV.com, elle raconte son processus créatif.

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- © Isabel Greenberg & Casterman 2017

La genèse

"Je me suis appuyée sur de nombreuses idées que j’avais déjà commencé à traiter dans mon premier livre L'Encyclopédie des débuts de la Terre. Je connaissais donc le monde dans lequel se déroule l’action, les dieux et une partie de la mythologie. Ce qui est intéressant avec ce type d’histoires [qui empruntent aux mythes et aux légendes], c’est qu’elles sont intemporelles. C’est une des raisons pour lesquelles je les aime tant. Je pense qu’il existe certaines histoires et certaines thématiques qui peuvent avoir un effet sur n’importe qui, peu importe d’où l’on vient. Des thématiques comme les relations avec les parents, entre frères et sœurs, la jalousie, la rivalité et bien entendu l’amour sont fondamentalement humaines. Et elles sont suffisamment malléables et larges pour me permettre de jouer avec et d’en proposer ma propre interprétation."

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- © Isabel Greenberg & Casterman 2017

Techniques graphiques

"Je mêle dessins à la main et numérique. Toutes les lignes sont réalisées à l’encre à l’aide de pinceaux et de calames en bambou [un roseau taillé en pointe que l'on trempe dans l'encre, NDLR]. La couleur est ensuite principalement ajoutée numériquement, à l’aide d’une tablette graphique et de Photoshop. Le numérique offre de nombreuses possibilités, mais je trouve que mon travail devient monotone si j’utilise uniquement le numérique. C’est pour cette raison que je préfère le mêler avec du dessin fait à la main. J’adore dessiner et utiliser du matériel physique. Pour moi, le numérique est un outil de plus que l’on doit utiliser en accompagnement des autres, comme les pinceaux et les calames, que j’adore parce que les lignes sont toujours imprévisibles. Si j’utilise principalement une palette monochrome dans le livre, c’est parce que je ne me fais pas confiance avec une mise en couleur totale! Je pense que j’ai une tendance à aller trop loin et je préfère me limiter à trois ou quatre couleurs à chaque fois. Mais j’aime aussi utiliser les différentes couleurs pour indiquer l’atmosphère et le tempérament des différentes histoires, pour aider à les différencier les unes des autres."

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- © Isabel Greenberg & Casterman 2017

L’influence des ballades anglaises, écossaises et irlandaises

"Même si je savais que j’allais utiliser la structure des récits enchâssés, je voulais que l’intrigue qui les relient soient très fortes. Je suis donc allé cherché le meilleur exemple de récits enchâssés: Les Mille et Une Nuits . J’aime l’idée de personnes (Sheherazade) contraintes de raconter des histoires pour sauver leur vie, donc j’ai emprunté cet aspect. Je me suis aussi beaucoup inspirée de la mythologie, d’éléments de folklore, de contes de fées et d’histoires traditionnelles. Pour L'Encyclopédie des débuts de la Terre, je m’étais inspirée de la mythologie grecque, de l’Ancien Testament de contes de fées et de mythes provenant de cultures très différentes. C’est incroyable les correspondances que l’on peut trouver d’un récit à l’autre, j’adore. Pour Les 100 nuits de Héro, je me suis appuyée sur des ballades populaires d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande. Elles sont très sombres, très étranges et très belles."

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- © Isabel Greenberg & Casterman 2017

Un point de vue féministe

"J’aime écrire des personnages féminins et j’aime lire des histoires mettant en scène des personnages féminins. Je trouve intéressant le nombre de questions qu’il m’a été posé à ce sujet. Je suppose que le fait que les gens se demandent toujours pourquoi il est important de mettre en scène des personnages féminins et évoquent les “personnages féminins forts” montrent qu’il est important de le faire. Ce n’est pas quelque chose qui doit être remarqué. Je voulais raconter une bonne histoire, et prolonger le monde que j’avais déjà créé. Je voulais créé des personnages intéressants en train d’accomplir des choses intéressantes. Je voulais que le livre adopte un point de vue féministe. Mais il n’est en aucun cas envisagé comme une manière de lutter contre la bande dessinée grand public qui met souvent en scène les femmes comme des damoiselles à peine vêtue."

Les 100 nuits de Héro, Isabel Greenberg, Casterman, 232 pages, 29 euros (À retrouver sur Amazon.fr et sur Fnac.com)
Jérôme Lachasse