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Festival d’Angoulême 2017: 3 expos pour comprendre la BD, les comics et le manga

Détail de l'affiche "Will Eisner, génie de la bande dessinée américaine"

Détail de l'affiche "Will Eisner, génie de la bande dessinée américaine" - Will Eisner - FIBD

Visite guidée en compagnie de deux spécialistes du 9e Art, Stéphane Beaujean, directeur artistique du Festival et Jean-Pierre Mercier, fin connaisseur de la BD américaine.

A l’occasion de sa 44ème édition, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême (FIBD) a choisi de concilier manga, BD franco-belge et comic books. Trois expositions, consacrées à trois piliers de ces cultures, consacre la diversité du 9ème Art: "Hermann, le naturaliste" célèbre l’œuvre du Grand Prix 2016 ; "Kazuo Kamimura: l'estampiste du manga" met en lumière la carrière d’un mangaka qui a notamment influencé Quentin Tarantino pour Kill Bill ; "Will Eisner, génie de la bande dessinée américaineprésente, enfin, le parcours de l’homme qui est aujourd’hui considéré comme l’inventeur du roman graphique.

"Plus que jamais aujourd’hui, il faut permettre aux différents genres et cultures de BD de communiquer", explique Stéphane Beaujean, directeur artistique du FIBD, à BFMTV. "La BD a un véritable retard dans sa mondialisation par rapport aux autres formes d’expression. L’Europe commence à peine à envoyer quelques-uns de ses livres au Japon et dans le reste du monde. Si Angoulême, qui est le premier festival de BD, peut devenir la plate-forme de croisement de toutes les tendances de BD, cela serait superbe. La France est le seul pays au monde dans lequel sont publiées toutes les cultures de BD. Autant en profiter pour devenir la caisse de résonance de ce médium."

Comanche  de Hermann
Comanche de Hermann © Hermann - Le Lombard

"Hermann, le naturaliste", Espace Franquin, 1 boulevard Berthelot, du 26 au 29 janvier 2017.

Comme le veut la coutume du FIBD, une grande rétrospective est consacrée au Grand Prix de l’édition précédente. Cette année, c’est Hermann qui reçoit les honneurs (retrouvez ici notre interview avec lui). Ce prolifique auteur (plus de cent albums en cinquante ans de carrière!) a débuté sous l’égide de Michel Greg, le créateur d’Achille Talon, qui a bouleversé le 9e Art en s'inspirant des série B américaines pour glisser plus d'action et de violence dans la tranquille BD franco-belge.

Hermann s'est ensuite émancipé de son maître. "Il est devenu un auteur complet et a créé une épopée de science-fiction apocalyptique, Jeremiah, qui est une oeuvre fondatrice de la BD de cette époque-là", note Stéphane Beaujean, qui la conseille à tous ceux qui désirent plonger dans l’univers foisonnant du Grand Prix. "Dans Jeremiah, il y a tout ce qui fait l’identité d’Hermann: la peinture d’une humanité qui n’est pas romantique, mais plutôt naturaliste, assez proche de la réalité: les héros ne sont pas beaux, ils leur manquent des dents, ils ont le nez un peu abîmé. On lui a souvent reproché d’être pessimiste. Pour moi, il ne l’est pas: il essaye d’être juste." 

Hermann "possède aussi un sens de la mise en scène brillant, avec des longues plages de silence", poursuit Stéphane Beaujean. "Il change d’outils régulièrement et travaille ses matières, son encrage et ses couleurs pour créer des atmosphères très enveloppantes, très sensuelles. Il s’est renouvelé toute sa vie." Rien n’arrête Hermann. A 78 ans, il vient de commencer Duke, une nouvelle série. 

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- © Kazuo Kamimura

"Kazuo Kamimura: l'estampiste du manga", Musée d'Angoulême, du 26 au 29 janvier 2017.

Kazuo Kamimura est notamment connu pour avoir dessiné Lady Snowblood, une histoire de vengeance dont Quentin Tarantino s'est fortement inspiré pour créer le personnage O-Ren Ishii (jouée par Lucy Liu) dans Kill Bill. L'oeuvre de Kamimura ne saurait toutefois être réduite à cet unique manga. Décédé à 45 ans des suites d'un cancer, il produisait chaque mois, avec l'aide de cinq assistants, plus de 350 pages d'histoires! Pour la première fois en France, 150 planches de cet auteur sont présentées. Un événement.

"Kamimura s’est beaucoup attardé sur la condition des femmes du Japon d’après-guerre et sur la pression sociale qui était exercée sur elles. C’est un homme qui a grandi entouré de femmes et qui haïssait probablement son père", explique Stéphane Beaujean: "Kamimura communique avec une très grande sensibilité la pression sociale et l’horreur du quotidien que pouvaient connaître les femmes divorcées ou les jeunes femmes qui n’avaient pas encore assez d’argent pour se mettre en couple. C’est vraiment un auteur universel, qui offre une porte d’entrée unique sur la culture japonaise d’après-guerre."

Stéphane Beaujean conseille à ce titre la lecture du Club des divorcés, subtil portrait d'une femme qui cherche à se reconstruire après un divorce, dans le Japon machiste des années 1960.

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- © Will Eisner - FIBD

"Will Eisner, génie de la bande dessinée américaine", musée de la Bande dessinée, 121 rue de Bordeaux, du 26 janvier au 15 octobre 2017.

Célébré aux Etats-Unis, le dessinateur Will Eisner reste peu connu en Europe. A l’occasion du centième anniversaire de sa naissance, le FIBD lui consacre une copieuse exposition pour mettre un coup de projecteur sur une oeuvre qui, depuis sa création, n’a pas pris une seule ride. "Eisner est le cas presque unique d’un auteur de BD qui est traversé par deux grandes périodes de créativité où il a été très innovateur", explique Jean-Pierre Mercier, commissaire de l’exposition. Ce n’est donc pas un hasard si l’équivalent américain du Grand Prix d’Angoulême se nomme... les Eisner Awards.

Will Eisner a créé en 1940 le personnage du Spirit. C’est lui, cet étrange personnage en costume bleu marine sur l’affiche de l’exposition. "C’est un héros assez inattendu", indique Jean-Pierre Mercier. "Contrairement à Superman, Le Spirit ne voit pas à travers les murs. C’est un détective laissé pour mort par des malfrats qui devient un justicier masqué. Si son dessin doit beaucoup aux films noirs avec Humphrey Bogart, Eisner écrit le plus souvent des récits très drôles, truffés de second degré. Comme Eisner publie Le Spirit dans les journaux, et non dans des comics, "il se permet des innovations formidables", poursuit Jean-Pierre Mercier. "Sa grande spécialité était les pages d’ouverture, mises en scène avec une incroyable inventivité: le titre apparaît comme des feuilles qui volent au vent ou au fond d’une ruelle sur une affiche éclairée par un bout de lampadaire…" Si la série n’est pas disponible dans son intégralité en France, cela pourrait changer grâce à l’expo, glisse Jean-Pierre Mercier.

Will Eisner arrête en 1952 Le Spirit. 25 ans plus tard, il découvre les dessinateurs de l’Underground américain (comme Robert Crumb ou Art Spiegelman, l’auteur de Maus). "Il comprend qu’ils sont en train d’inventer une nouvelle forme de BD", précise le spécialiste. "Puis, un jour, Eisner tombe sur le terme 'roman graphique'. Cela le frappe. Et il décide d'en faire un: ce sera Un Pacte avec Dieu, qui sort en 1978". Le succès d’estime rencontré par ce livre le pousse à poursuivre: Fagin le Juif, Voyage au coeur de la tempête, La Valse des Alliances, Le Rêveur

Autant d’albums dont Jean-Pierre Mercier recommande la lecture et qui ont prouvé que la BD n'était pas uniquement du divertissement, mais un véritable Art. 

Jérôme Lachasse