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"Écrire est devenu une question urgente": Salman Rushdie raconte son agression dans "Le Couteau"

L'auteur, visé par une fatwa de la République islamique d'Iran, publie le récit de l'attaque dont il a été victime en 2022 et de son retour à la vie.

"Je ne pouvais écrire sur rien d'autre". C'est ainsi que Salman Rushdie raconte la rédaction de Le Couteau, récit de l'attaque à l'arme blanche qui a failli lui coûter la vie en 2022 et de ses suites. À l'occasion de la sortie de l'ouvrage, ce jeudi 18 avril chez Gallimard, l'auteur Américano-britannique a accordé une longue interview à France Inter:

"J'avais quelques idées pour des livres que j'aurais pu écrire mais elles semblaient bêtes, en comparaison avec ce sujet", explique-t-il.

"J'ai compris rapidement que jusqu'à ce que je m'occupe de cela je ne pourrais rien faire d'autre. C'est devenu une question urgente de le faire."

Une vie sous protection

L'attaque a eu lieu le 12 août 2022, en pleine conférence littéraire au bord des Grands lacs américains au nord de New York. Un homme s'est rué sur Salman Rushdie, couteau à la main, et l'a poignardé à de multiples reprises pendant 27 secondes, le blessant grièvement au visage, au cou et à l'abdomen.

L'écrivain a notamment perdu la vue d'un œil; il n'est plus jamais apparu qu'avec des lunettes dont le verre droit est fumé.

Cette attaque, perpétrée par un jeune Américain de 24 ans d'origine libanaise, sympathisant de la République islamique d'Iran, agit alors comme un douloureux rappel de la fatwa émise par Téhéran en 1989 contre l'écrivain, en raison de la publication de son livre Les Versets satanique. Une condition qui l'a longtemps contraint à vivre dans la clandestinité et sous protection policière, allant de cachette en cachette.

"Depuis plus de 20 ans je vis aux États-Unis. Je n'avais plus à penser à la fatwa et à tout ca. J’ai pu avoir une vie d'écrivain, j'ai écrit beaucoup de livres... et c'est comme si j'étais ramené à mon passé, comme si cet agresseur était un voyageur du temps qui débarquait d'un passé lointain et tentait de m'y faire revenir", confie-t-il.

"Une collision entre les forces de la vie et celles de la mort"

En résulte la rédaction du Couteau, qui l'a d'abord "inhabituellement épuisé" avant qu'il ne trouve "une sorte de flux"; "Le livre s'est écoulé de moi, et c'est devenu de plus en plus facile."

L'auteur s'attarde sur la symbolique de cette tentative d'assassinat: "C'est une attaque très intime, une attaque au couteau. Ça se produit très près de vous (...) J'ai senti que ce qui s'est produit c'était, d'une certaine manière, une figure représentant la mort face à mon visage, qui représentait la vie. Une collision entre les forces de la vie et celles de la mort."

Il parle également du jeune âge de l'assaillant ("Il n'était même pas né à l'époque de la publication des Versets sataniques") et de ses motivations troubles:

"Il a donné une interview très étrange depuis la prison à un journal de New York. Il a dit entre autres qu'il n'avait quasiment aucune connaissance de mon œuvre, il a vu quelques vidéos sur YouTube et ça lui a suffi pour commettre cet acte".

"Très ému par les mots du président Macron"

Et d'avoir quelques mots émus pour les personnes qui n'ont pas hésiter à intervenir au moment de l'attaque pour lui sauver la vie, malgré le danger que représentait l'assaillant:

"Le sujet de ce livre c'est un conflit entre le meilleur de la nature humaine et le pire. D'un côté la beauté, l'amour, l'art, la liberté, et de l'autre côté la violence, le fanatisme, et finalement l'imbécillité. Le livre est devenu comme un portrait de ces deux réalités en conflit l'une avec l'autre."

"J'ai eu beaucoup de soutien (...) Je dois dire que j'ai été très ému par les mots du président Macron."

Cauchemar prophétique

Salman Rushdie parle également de ce rêve prémonitoire, survenu deux jours avant l'attaque, dans lequel "un gladiateur armé d'une lance tentait de (l)'attaquer dans un amphithéâtre romain":

"Je savais que l'endroit où j'allais parler était un espace en forme d'amphithéâtre. Je me suis dit que je ne voulais plus y aller. Puis je me suis dit que c'était un rêve, que j'avais promis d'y aller, que les gens avaient acheté des billets... et j'ai laissé mon rêve de côté."

Devenu malgré lui une figure de la liberté d'expression depuis la fatwa qui s'est abattue sur lui, il conclut: "C'est un mauvais moment pour la liberté d'expression dans beaucoup de parties du monde, parfois en raison de régimes autoritaires, parfois en raison de la bien-pensance progressiste qui s'est mise du côté de la censure. L'attaque vient de toutes sortes de directions, et c'est difficile de défendre ce principe mais c'est nécessaire de le faire."

https://twitter.com/b_pierret Benjamin Pierret Journaliste culture et people BFMTV