De la Vigne aux Platines: quel vin associer avec quel album?

Deux amis se sont lancés un pari un peu osé: trouver pour 50 albums de pop-rock un vin idéal à déguster pendant leur écoute. Et ont invité plusieurs artistes à se livrer à l'expérience, puis à partager leurs impressions. En résulte un livre d'expériences et de découvertes, aussi bien œnologiques que musicales.

Accorder du mieux que l'on peut un plat avec une bonne bouteille, c'est presque habituel. Chercher à marier un album de rock avec le breuvage adéquat, ça l'est beaucoup moins. C'est ce que propose De la Vigne aux Platines, sorti le 24 octobre aux Editions de l'Épure. Loin de se présenter comme un guide du vin et de la musique, le livre offre une méthodologie qui invite à la découverte et aux expérimentations. Avec modération. Un projet un peu fou, lancé comme tant d'autres, au cours d’un moment bien arrosé par deux amis. Et qui a déjà le mérite d'être arrivé à son terme.

Quand le vin "monte à la bouche"

Pour bien saisir et apprécier le concept, il faut se pencher sur son histoire. Tout commence par une étonnante sensation ressentie par Fabien Korbendau, l'un des deux auteurs. Alors qu'il apprécie un bon album de rock, l'une de ses passions, il a l'impression "d'avoir le vin qui lui monte à la bouche".

"Un sentiment très intime, que j'ai longtemps gardé pour moi, de peur d'être pris pour un malade", en rigole-t-il aujourd'hui. Puis à l'occasion d'une soirée chez Christophe Mariat, son beau-frère, ils communient au son de L'Imprudence d'Alain Bashung.

Au détour d'une conversation sur cette oeuvre, Fabien fait part de cet étrange phénomène qui survient à chaque écoute d'un bon album. C'est une vraie révélation, son ami se reconnaissait totalement dans les symptômes ici décrits. Les deux hommes ont alors une idée: répertorier les meilleurs couples "album-vin" possibles. Une quête naît, trois ans de travail démarrent.

De Bowie à Radiohead, en passant par Bashung et Foals

Première étape: sélectionner 50 disques, entre classiques de la musique pop rock et sorties plus confidentielles. De David Bowie à Radiohead, en passant par Alain Bashung, Foals, et Noir Désir. Pour chaque album, les deux potes se lancent dans une écoute attentive, complète. Ils notent alors tous les termes que leur évoque la musique et isolent les mots qui pourraient se rapporter au monde de l'œnologie, comme "suave", "boisé", "minéral", "litchi"...etc. Certains évoquent une texture, d'autres un parfum ou un goût.

Une fois les listes établies, une pour chaque artiste, Fabien et Christophe contactent des amis calés en vins et des cavistes. Leur mission: trouver des bouteilles qui pourraient correspondre à leurs recherches. "Au début certains nous ont pris pour des doux-dingues, car il y avait trop d'adjectifs. On a affiné un peu car certains critères n'étaient pas compatibles entre eux. Puis nous sommes arrivés pour chaque album à une liste de termes homogènes et cohérents pour qu'on nous propose des vins."

Une expérience évidemment subjective

S'enchaînent de nouvelles séances d'écoutes, avec ce coup-ci des dégustations, bouteille après bouteille, album après album. A chaque fois accompagnés de proches et d'amis, les deux auteurs ont le plaisir de voir que leur expérience fonctionne.

"Qu’ils aient été de prime abord très enthousiasmés par notre idée, ou plus sceptiques, voire totalement étrangers au projet, nos invités ont finalement eu la même perception que nous."

Si la démarche est personnelle, les participants arrivent à se mettre d'accord et les couples album-vin sont ainsi créés, "démocratiquement", quasiment à l'unanimité.

50 auteurs différents ont participé au projet © Les éditions de l'Epure

50 auteurs, 50 expériences

Pour donner un certain écho au rituel qu'ils viennent de mettre en place, Fabien Korbendau et Christophe Mariat décident d'initier 50 auteurs à leur démarche. Arthur H, Gaëtan Roussel, Christophe Conte, Enki Bilal, CharlElie Couture... Si certains sont des figures bien connues du monde artistique ou du journalisme, d'autres ne le sont pas du tout.

"C'est un livre d'auteurs qui nous touchent particulièrement, de proches et d’amis, amis au sens large", se réjouit Fabien, qui confie avoir noué de nouvelles amitiés au fur et à mesure que leur travail avançait.

Il est ainsi proposé aux artistes et connaissances approchés de choisir l'un des 50 couples album-vin, puis de laisser libre cours à leur inspiration une fois l'écoute et la dégustation réalisée. La majorité d'entre eux livrent un texte, quelques-uns choisissent le dessin, tous sans exception se révèlent conquis par l'expérimentation et ses effets. Ce sont ces créations qui composent la première partie du livre. De quoi susciter une irrémédiable envie de se prêter au jeu.

Certains artistes ont choisi le dessin pour exprimer leurs sensations. © Editions de l'Epure

Une expérience offerte à tout le monde?

Si l'idée est plaisante et le résultat infiniment intriguant, le procédé suggéré par De la Vigne aux Platines est-il à la portée de tout le monde? "Oui", affirme sans sourciller l'instigateur du projet. "Le rock est accessible à tous, le vin aussi. La bouteille la plus chère est à 60 euros, les autres sont globalement beaucoup plus abordables, la moins chère coûte 7 euros." Il faut juste s'organiser un petit peu pour trouver le cru conseillé dans l'ouvrage, les coordonnées des vignerons étant à ce titre indiquées. Quant aux disques, ils se trouvent partout.

Mais l'essentiel n'est pas forcément là. "Derrière ce livre, on attend surtout des échanges", confie Fabien Korbendau. "C'est forcément subjectif, alors on invite les lecteurs à nous faire part de leurs couples album-vin, notamment sur Facebook." De quoi se lancer dans un deuxième tome avec les idées suggérées? "Pourquoi pas", conclut, tout sourire, l'auteur.

Jérémy Maccaud