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Dans les coulisses des couleurs de Valérian et Laureline

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- - Christin Mézières Dargaud 2017

PAROLES DE COLORISTES (1/3) - Trois jours avant le début du Festival de la BD d’Angoulême, le 26 janvier, BFMTV.com vous propose de découvrir le parcours d’une figure méconnue du 9e Art. Aujourd’hui Évelyne Tranlé, coloriste de Valérian et Laureline, se dévoile.

Sans elle, Valérian et Laureline n’aurait pas la même allure. Depuis 1967, Evelyne Tranlé est la coloriste attitrée de cette série imaginée par Christin et Mézières et désormais adaptée au cinéma par Luc Besson. Également coloriste pour Jean Giraud (Blueberry), Fred (Philémon) et Uderzo (Astérix), elle s’est battue dans les années 1970 pour que ce statut soit reconnu à sa juste valeur. Aujourd’hui, elle se rend de temps en temps à Quiberville, près de Dieppe, pour apprendre aux enfants à dessiner à l’aide d’un petit scénario. Evelyne Tranlé a reçu BFMTV.com chez elle, où elle planche sur le nouvel album de Valérian et Laureline. Juste avant le début de notre échange, elle nous invite à la tutoyer.

Quel est ton premier souvenir de BD?

J’ai découvert la bande dessinée très jeune avec mon frère Jean-Claude [Mézières], qui a deux ans de plus que moi, et qui dévorait les Tintin. Je me souviens qu’il m’en faisait des lectures à haute voix. C’était le jeudi après-midi, chez nos parents. Le premier album de Tintin qu’il a eu était Le Lotus Bleu. L’histoire était formidable. C’était comme un film.

Est-ce que la BD t'intéressait?

Nous n’avions pas beaucoup le choix… C’était un peu la seule distraction que nous avions. Je n’étais pas une grande lectrice. J’ai été paresseuse parce que Jean-Claude me les lisait. Lui adorait la BD et dessiner. Je me souviens que lorsqu’il avait un morceau de fromage dans son assiette, il prenait son couteau et il sculptait une tête de cow-boy.

Comme es-tu devenue coloriste de BD?

Dans les années 1960, je faisais du dessin de textile dans un atelier. Puis j’ai eu mon premier enfant. Je voulais travailler chez moi pour l’élever en même temps. Jean-Claude, qui travaillait chez Dargaud, m’a dit qu’ils cherchaient un ou une coloriste pour un Astérix, Le Bouclier Arverne (1967). J’ai demandé à faire un essai et j’ai été choisie! Comme j’avais fait des dessins de tissu, la gouache et le pinceau n’étaient pas une nouveauté. Et j’avais un peu travaillé auparavant avec Jean Giraud sur un Blueberry. A cette époque, Jean-Claude travaillait sur Valérian. Il commençait à prendre du retard, si bien qu’au milieu du premier épisode - Les Mauvais Rêves (1967) - je suis venue l’aider. Ça s’est bien passé et on a continué.

Evelyne Tranlé dans son atelier, le 6 janvier 2017
Evelyne Tranlé dans son atelier, le 6 janvier 2017 © Jérôme Lachasse

Comment s’est déroulée la collaboration avec Uderzo?

(Elle souffle). Aucune indication. Les personnages, c’était facile puisqu’ils étaient habillés comme ils le sont à chaque fois. Ce qui m’a intéressée à faire dans cet Astérix, c’était les décors, les montagnes, les intérieurs. Une fois ce travail achevé, je devais m’occuper des personnages. Et ça me barbait! J’aurais voulu avoir - déjà! - un ou une assistante pour colorier les personnages. C’est extrêmement rare d’avoir des gros plans dans Astérix. C’est toujours des petits personnages qui courent dans l’herbe. Et c’est un peu répétitif…

C’est à cette époque que tu rencontres aussi Fred pour Philémon?

Tout de suite après Le Bouclier Arverne, Fred m’a demandé de faire Le Naufragé du “A” [prépublié en 1968 dans Pilote, ndlr]. En même temps, je devais travailler sur Valérian. C’était impeccable, Philémon. Le rêve. Je faisais ce que je voulais. La vareuse bleue de Philémon, c’est moi. Idem pour les îles en forme de lettres.

Détail de l'intégrale tome 1 de Philémon de Fred
Détail de l'intégrale tome 1 de Philémon de Fred © Fred - Dargaud

Tu utilises souvent des demi-teintes.

Oui. Je n’aime pas quand ça crache, quand les couleurs sont trop fortes, parce que ça écrase le dessin. La couleur est là pour rehausser le dessin. Pierre Christin a dit un jour: 'Le dessin au service du scénario et la couleur au service du dessin'. C’est exactement cela. Je ne fais pas de la couleur pour faire de la belle couleur. Il faut donc y aller doucement. C’est en tout cas ce que je fais. Les albums dont Fred s’est occupé lui-même des couleurs sont d’ailleurs beaucoup gueulards.

L’univers de Philémon est très coloré. Quelles ont été tes influences?

Nous étions en 1968-1970. C’était très flashy. On s’habillait avec des pantalons jaune ou rose avec une veste verte! Alors j’ai utilisé ces couleurs flashy, mais toujours avec un pied sur le frein pour que ce ne soit pas gueulard. J’y arrivais avec la gouache, en mettant un peu de brun dans le bleu.

Evelyne Tranlé en train de colorier une planche.
Evelyne Tranlé en train de colorier une planche. © Jérôme Lachasse

Après Fred, Jean Giraud a fait appel à toi pour Le Spectre aux balles d’or (1972).

C’est toujours une histoire de temps. Il était en retard. Faire les couleurs pour une BD, c’est assez long. Cela demande des heures. Un dessinateur, s’il veut avancer un album, a intérêt à déléguer les couleurs; Jean Giraud ne donnait pas d’indications, lui non plus. J’ai pris cet album en cours de route. Il a dû faire les cinq premières pages. Je me suis appuyée sur La Mine de l’Allemand Perdu, que Jean avait dessiné avant. C’est un maître, notamment pour les rapports de couleur entre le premier plan et l’arrière-plan. C’est ça le plus difficile: déterminer d’où vient la lumière. Après cet album, j’ai aussi travaillé sur Ballade pour un cercueil, Nez Cassé et La Longue Marche. 

Ton nom ne figure pas dans les Philémon et les Blueberry. Pourquoi?

J’aurais pu demander des droits d’auteur. Alors, c’était balayé. Le premier à m’avoir donné des droits d’auteur est Gérard Lauzier avec qui j’ai travaillé sur Lili Fatale. Puis Jean-Claude Mézières et Pierre Christin m’ont donné une part de leur droit d’auteur sur Valérian.

Comme se déroule la collaboration avec Mézières?

Lui, il me donne des indications. Ce document donne une idée de ce qu’il me demande.

Planche 36 de Valérian et Laureline 19, Au bord du Grand Rien (2004) avec des indications de Jean-Claude Mézières.
Planche 36 de Valérian et Laureline 19, Au bord du Grand Rien (2004) avec des indications de Jean-Claude Mézières. © Evelyne Tranlé

Après, j’utilise les couleurs qui me semblent bonnes. Et je fonce. Le grisé sur le visage de Laureline est une valeur, et non la couleur que je dois utiliser. Jean-Claude écrit “ambiance jaune”. Mais quel jaune? C’est à moi d’interpréter.

Au début, chaque album de Valérian et Laureline raconte l’exploration d’une planète. A partir du diptyque Métro Châtelet direction Cassiopée et Brooklyn Station Terminus Cosmos, la série revient sur Terre.

La réalité, c’est plus difficile. Le métro… Le trench-coat de Valérian… Ce n’était pas très amusant de le voir habillé comme ça! Mais avec des photos de Paris, c’est bon. Ce qui m’intéresse toujours, ce sont les ombres et les lumières.

Quel est ton album préféré de Valérian et Laureline?

Je ne sais pas… Je sais qu’il y en a un que je n’ai pas aimé, Sur les terres truquées, où il y a la Guerre de 14. J’en ai rêvé la nuit une fois! Les costumes de militaires c’est toujours très embêtant! Je préfère m’occuper des couleurs d’un vaisseau.

Sur les terres truquées de Christin et Mézières
Sur les terres truquées de Christin et Mézières © Christin Mézières Dargaud 2017

En dehors des albums, est-ce que tu peins?

Non! C’est une question que l’on me pose souvent. Je préfère faire du vélo ou aller nager!

Mise en couleur originale peinte par Evelyne Tranlé sur une case en noir et blanc de Jean-Claude Mézières.
Mise en couleur originale peinte par Evelyne Tranlé sur une case en noir et blanc de Jean-Claude Mézières. © Copyright Les Auteurs An 2016
Jérôme Lachasse