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Corto Maltese fête ses 50 ans avec un nouvel album

Couverture du nouveau Corto Maltese, Equatoria.

Couverture du nouveau Corto Maltese, Equatoria. - Canales Pellejero Casterman 2017

Le célèbre marin revient. BFMTV a pu rencontrer les successeurs de Hugo Pratt, Ruben Pellejero (dessin) et Juan Díaz Canales (scénario).

Pour ses 50 ans, Corto Maltese, le célèbre personnage imaginé par Hugo Pratt, revient avec Equatoria, une nouvelle aventure qui le conduit de Venise à l'actuel Soudan du Sud. Si Corto a déjà 50 ans, ce deuxième album réalisé par le duo Ruben Pellejero (dessin) et Juan Díaz Canales (scénario) n’est que le quatorzième album de la série.

"Il faut se souvenir que Corto est né lorsque Hugo Pratt avait déjà quarante ans. Ce n’était pas la fin de sa vie, évidemment, mais Pratt n’était déjà plus un jeune homme et il avait déjà pas mal voyagé", rappelle Juan Díaz Canales. "La publication des aventures de Corto a elle aussi été mouvementée: il y a des histoires courtes, d’autres plus longues". Et il a fallu attendre 2015, soit vingt ans après la mort de Pratt, pour que sorte un nouvel album, Sous le soleil de minuit.

Pour ses 50 ans, Canales a glissé dans la bouche de Corto une phrase très malicieuse: "Je ne vois aucun intérêt à devenir un aventurier de papier". "C’est un clin d’œil aux histoires de Pratt, qui maintiennent en permanence une frontière floue entre la réalité et la fiction”, explique Canales. Equatoria s’ouvre d’ailleurs avec la vision d’une girafe en liberté dans les rues de Venise. Un hommage aux Hommes-léopards du Rufiji, une aventure de Corto se déroulant aussi en Afrique.

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- © Pellejero Canales Casterman 2017

Un récit moins onirique et plus engagé

Si l’onirisme est présent dès la première planche, il est rapidement mis de côté pour un récit dénonçant les exactions de la colonisation britannique en Afrique. Alors que certaines reprises des classiques de la BD, comme Blake et Mortimer, misent sur la nostalgie et la carte postale historique, le choix peut étonner. "Je ne crois pas", répond Canales. "On a peut-être un souvenir déformé, parce que les deux derniers albums de Corto - Les Helvétiques et Mû - étaient très oniriques. On a tendance à oublier qu'avant ça, beaucoup d’histoires, comme Les Celtiques ou Les Ethiopiques, étaient très engagées politiquement".

Sur la trace d’un trésor qui n’existe pas, Corto assiste trois femmes: Aïda, une journaliste, Ferida, une exploratrice qui recherche son père disparu et Afra, une ancienne esclave. Canales et Pellejero tournent le dos aux mythes des grands explorateurs. Ils n’ont pas cherché à effacer le sexisme et le racisme de l’époque. Ils l’affrontent, en écornant ces Blancs qui donnent aux Noirs des noms avilissants, et la bêtise des contemporains. L’histoire se situe en 1911. De passage à Alexandrie, Corto croise un Winston Churchill très imbu de lui-même. "Ça m’étonnerait que cet homme aille beaucoup plus loin en politique", glissent plusieurs personnages à Corto.

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- © Canales Pellejero Casterman 2017

"Le plus difficile à dessiner, c’est les yeux de Corto"

Canales et Pellejero tournent aussi le dos au mythe de Corto, qui troque sa célèbre vareuse contre une saharienne à la moitié du récit. "Il se change parce qu’il voyage: quand tu voyages, tu utilises plusieurs vêtements", rigole Pellejero. "Corto a plusieurs manières de s’habiller. Dans Corto en Sibérie, il a par exemple un manteau de fourrure. Et il ne peut pas voyager en Afrique avec son vêtement de Venise!"

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- © Canales Pellejero Casterman 2017

Quand il s’agit de dessiner Corto, le plus difficile n’est pas de choisir sa tenue. "La chose la plus difficile à dessiner, c’est les yeux de Corto Maltese", révèle Pellejero. "Ils changent beaucoup et il faut faire attention aux petites variations. J’ai fait des recherches. j’ai beaucoup dessiné Corto pour trouver l’esprit de Pratt". Lorsqu’il le dessine, il commence toujours par les yeux.

Selon Pellejero, il est important aussi de "laisser la main libre, pour que le trait soit spontané": "cette spontanéité, c’est la chose la plus importante dans une histoire de Corto Maltese. Il est important que le trait soit spontané quand on dessine son visage". L’édition noir et blanc d’Equatoria permet de découvrir la finesse du trait de Pellejero, tout en ajoutant au récit une dimension plus mystérieuse.

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- © Canales Pellejero Casterman 2017

L’esprit d’Hugo Pratt

Reprendre un personnage aussi culte que Corto suppose aussi d'être capable d’inventer un monde graphique qui ressemble à celui d’Hugo Pratt tout en proposant des idées personnelles. "Cet équilibre vient d’une manière assez naturelle", assure Canales. "Nous étions des grands amateurs de Pratt. Nous avons intériorisé beaucoup de choses de lui. Dans l’équilibre des dialogues, c’est évident. J’ai toujours aimé sa manière de faire parler le personnage avec une certaine ironie. On était déjà dans le monde de Hugo Pratt avant d’avoir commencé la reprise”.

Si Pellejero a cherché à reproduire fidèlement le style des onomatopées ou des mouettes de Hugo Pratt, le dessinateur a innové en réalisant, à la fin de l’album, une séquence très impressionnante se déroulant sous une pluie torrentielle. "Pratt ne fait pas beaucoup de pluie", indique Pellejero. "Si dans Les Celtiques, il en a fait un peu, je n’avais pas beaucoup de références". Il a donc laissé son inspiration, et l’esprit d’Hugo Pratt, le guider.

Corto Maltese, tome 14: Equatoria, Ruben Pellejero (dessin) et Juan Díaz Canales (scénario). Disponible en couleur (80 pages, 16 euros) et en noir et blanc (88 pages, 25 euros).

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- © Canales Pellejero Casterman 2017
Jérôme Lachasse