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Culture

Coluche serait-il censuré aujourd’hui ?

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Un film revient sur la candidature de Coluche aux élections de 1981. L'occasion de redécouvrir les textes de l'humoriste, crus et choquants. Peut-être même trop pour la société de 2008...

« Coluche, l'histoire d'un mec » est bien sorti en salle ce mercredi. La cour d'appel de Paris a débouté l'ancien agent de Coluche, Paul Lederman, qui réclamait la modification du titre. Il a été condamné à verser 3 000 euros de frais de justice aux 3 sociétés de productions assignées. Le film réalisé par Antoine de Caunes et interprété par François-Xavier Demaison sort dans 480 salles, 20 ans après la disparition du comique.

Coluche a souvent pris pour cible, pendant toute sa carrière d'amuseur public, les différentes facettes de la société. La plupart du temps, sans pitié, avec des mots crus et des propos choquants, comme aimait aussi à le faire Pierre Desproges, dans un autre registre. Depuis il semble que, si la société s'est libérée, les textes des sketchs sont plus « politiquement corrects » au final. En 2008, Coluche et son ton « méchamment aiguisé » aurait-il encore sa place dans la société ? La question se pose...

Des textes autorisés en 2008 ?

Si l'on reprend certaines citations de Coluche (sur scène ou lors de ses émissions de radio sur Europe 1 ou de télé sur Canal +), elles feraient sûrement aujourd'hui scandale et pourraient déboucher sur des plaintes d'associations.

Jugez par vous-même :

« Mais non t’es pas moche, Gugusse. (…) Y’a pas de quoi se flinguer… enfin je veux dire, tu fais ce que tu veux. Et puis, t’as de beaux yeux, individuellement les uns des autres. Et puis, regarde, t’es marrant, t’en connais beaucoup toi des mecs qui ont les yeux rouges ?... »
Pour voir le sketch de Gugusse en entier, cliquez ici.

« Il dit toujours "le changement, c’est quand on prendra les arabes en stop". Il est pas arrivé, l’pauv’mec ! » (…) Ahmed il dit toujours "le français, je le parle très mieux que vous, et je vous merde"… »
Pour voir le sketch en entier, cliquez ici.

« Bon, à part les juifs, sans ça, tous les autres sont égaux… »
Pour voir le sketch du CRS arabe, cliquez ici.

« C'est l'histoire d'un mec… normal. Un blanc, pas un juif, ni un noir... normal, quoi. »
Pour voir le sketch, cliquez ici.

« Les catholiques existent pour acheter au détail ce que les juifs n'achètent qu'en gros »

« Les homosexuels ne se reproduisent pas entre eux et pourtant ils sont de plus en plus nombreux »

« Les étrangers devraient comprendre une chose : il vaut mieux être en bon état de santé qu'en mauvais état d'arrestation »

« Tu sais comment on appelle un Noir avec une mitraillette, en Afrique du Sud ? On l'appelle Monsieur »

« En Algérie, les gens réclament du pain - il n'y a que des Beurs. Ils sont emmerdés pour les tartines »

« L'âge ingrat, chez les filles, c'est quand elles sont trop grandes pour compter sur leur doigts et trop petites pour compter sur leurs jambes »

Philippe Boggio, l'auteur du livre « Coluche, l'histoire d'un mec » publié en 2006 chez Flammarion, explique qui attaquerait aujourd'hui Coluche en justice : « les femmes, les homosexuels, les lesbiennes, les juifs, les arabes, les catholiques, les protestants, les partis politiques... Et j'en oublie ! Je ne sais pas si le jeu l'amuserait encore. On vit dans une société qui a tout vu, il y a une sorte d'auto-usure, de lassitude. Coluche dirait peut-être « On n'a qu'une vie et je retourne dans mon île ».

Interrogé sur le fait que Coluche aurait pu être censuré aujourd'hui, il a répondu : « Je pense surtout à ses successeurs. Pour eux, je crois que c'est beaucoup plus difficile parce qu'ils sont à peu près tous les enfants d'une société de l'autocensure. Même s'il n'y avait pas de procès, aujourd'hui on ne se lancerait pas sur scène avec des sketchs de cette sorte. Les producteurs ne vous produiraient pas et la presse ne vous louerait sans doute pas ».

Déconstruction des préjugés et pas incitation à la haine

SOS Racisme a déjà porté plainte contre des humoristes, Dieudonné récemment. Mais selon son président Dominique Sopo, « le but que Coluche recherchait est plutôt un but de déconstruction des préjugés. Coluche est une personne qui était parrain de l'association SOS Racisme dès ses débuts et qui donc n'était pas suspect de vouloir attiser la haine raciale ou de renforcer les clichés. L'humour de Coluche est un humour certes grinçant mais qui en aucun cas ne renvoyait à des logiques de confrontation ou de haine envers tel ou tel groupe ».

Pour Jean Michel Vaguelsy, proche de Coluche, qui l'a suivi pendant 12 ans en étant notamment son secrétaire pendant sa campagne présidentielle de 1981, « si on parle des histoires de religion, aujourd'hui la société est beaucoup plus sensible. La société a changé : avant, au moment de cette campagne (ndlr : 1981), on a connu une censure politique. Aujourd'hui c'est une censure de la société. Une censure des forces d'argent, une censure des intérêts particuliers. On est dans un monde où, dès qu'on dit quelque chose, on risque de prendre un procès. Dans les années 80, on est à la fin de mai 68 dans l'état d'esprit et on est encore dans une vision un peu fraternelle des choses. Aujourd'hui les gens pensent essentiellement à eux et à leurs enfants ».

La rédaction et Christophe Bordet-Bourdin & Co