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Culture

Cannes: voyage initiatique et poétique d'une vieille dame

Trois ans après "Secret Sunshine", le cinéaste coréen Lee Chang-dong (à droite) revient à Cannes dresser à nouveau un portrait de dame dans son film "Poetry", susceptible de valoir à son interprète Yun Jung-hee (à gauche) un Prix d'interprétation. /Photo

Trois ans après "Secret Sunshine", le cinéaste coréen Lee Chang-dong (à droite) revient à Cannes dresser à nouveau un portrait de dame dans son film "Poetry", susceptible de valoir à son interprète Yun Jung-hee (à gauche) un Prix d'interprétation. /Photo - -

CANNES - Trois ans après "Secret Sunshine", le cinéaste coréen Lee Chang-dong revient à Cannes dresser à nouveau un portrait de dame, susceptible...

CANNES (Reuters) - Trois ans après "Secret Sunshine", le cinéaste coréen Lee Chang-dong revient à Cannes dresser à nouveau un portrait de dame, susceptible de valoir à son interprète un Prix d'interprétation.

Ce faisant l'actrice Yun Jung-hee, une star du cinéma coréen des années 60 qui n'avait plus tourné depuis 16 ans, imiterait sa compatriote Jeon Do-youn, vue à Cannes cette année dans "The Housemaid", qui obtint le Prix d'interprétation féminine en 2007 précisément avec "Secret Sunshine".

"Poetry" mêle une réflexion sur la poésie à l'histoire d'une collégienne qui se suicide après avoir subi plusieurs "tournantes" (viols collectifs).

La poésie "n'est pas seulement une belle petite fleur; pour moi c'est le monde, la vie. Malgré la saleté, la laideur extérieures, il y a toujours quelque chose qui est beau à l'intérieur", a expliqué Lee Chang-dong, qui fut enseignant puis ministre de la Culture de Corée du Sud.

L'un des collégiens violeurs (Lee David) habite chez sa grand-mère Mija (Yun Junghee). Renfrogné, abruti d'images, télévisées ou autre, l'enfant n'est pas particulièrement gentil avec elle.

Mija, qui subit les premières attaques d'Alzheimer, décide de s'inscrire à un cours de poésie, elle qui n'a jamais écrit le moindre poème de sa vie.

La recherche d'une inspiration qui ne cesse de lui échapper l'amène aussi bien à disserter de la symbolique des couleurs des fleurs qu'à se rendre sur le pont d'où la collégienne s'est jetée dans le fleuve, un voyage initiatique que la caméra de Lee Chang-dong se donne le temps de retranscrire.

Plusieurs films de la compétition ont ainsi pris le risque de dilater le temps pour montrer les choses, au risque de ne jamais rencontrer un public de plus en plus habitué à des films au montage effréné.

ASSUMER ET ÉPOUSER

Les trous de mémoire provoqués par la maladie de Mija la transportent parfois hors du monde réel et l'on ne sait jamais vraiment si ses absences sont d'ordre médical ou tiennent à une perception de la réalité qui devient peu à peu poétique.

Dans le même temps, les parents - des pères exclusivement - des collégiens se réunissent et contactent Mija, pour adopter une position commune et tenter d'étouffer le scandale. Ils comptent sur cette présence féminine pour convaincre la mère de la collégienne d'accepter un dédommagement financier.

"Poetry", en plus de mettre en valeur l'actrice principale, présente des similitudes avec "Secret Sunshine". Il y a la mort d'un enfant dans les deux films - mais c'est un garçon dans "Secret Sunshihe" - et le christianisme, assez développé en Corée du Sud, est présent dans les deux longs métrages.

Il traverse la route de la mère de l'enfant défunt dans "Secret Sunshine". Il est la religion de la collégienne dans "Poetry". Toutefois, il y a aussi une différence fondamentale.

"'Secret Sunshine' parle de la souffrance des victimes alors que 'Poetry' évoque aussi la souffrance des bourreaux (...) et le sentiment de culpabilité", a expliqué le cinéaste.

Les bourreaux et leurs proches ne manifestent nulle honte et nul remords, encore moins de compassion. Cette compassion, c'est Mija qui l'exprime, lorsqu'elle pleure à chaudes larmes au sortir d'une réunion de son club de poésie.

Son ouverture à une sensibilité subtile, poétique, du monde l'expose par contrecoup à assumer pour autrui la culpabilité d'un acte atroce et à épouser pareillement les souffrances de la jeune suppliciée.

Edité par Sophie Louet