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Culture

Cannes: Matteo Garrone change de registre avec un conte cruel

Matteo Garrone(à gauche), accompagné des acteurs Loredana Simioli et Nando Paone. Après la mafia dans Gomorra, le réalisateur italien a décidé de changer de registre et de s'intéresser au désastre humain que peut causer la téléréalité dans son nouveau fil

Matteo Garrone(à gauche), accompagné des acteurs Loredana Simioli et Nando Paone. Après la mafia dans Gomorra, le réalisateur italien a décidé de changer de registre et de s'intéresser au désastre humain que peut causer la téléréalité dans son nouveau fil - -

par Wilfrid Exbrayat CANNES (Reuters) - Après la Camorra dépeinte sans fard dans "Gomorra", qui lui valut le Grand Prix à Cannes en 2008, le...

par Wilfrid Exbrayat

CANNES (Reuters) - Après la Camorra dépeinte sans fard dans "Gomorra", qui lui valut le Grand Prix à Cannes en 2008, le cinéaste italien Matteo Garrone a décidé de changer de registre pour s'intéresser au désastre humain que peut causer la téléréalité, sans pour autant verser dans la critique sociale.

Comme "Gomorra", "Reality", qui est également en course pour la Palme d'or, a été tourné à Naples, dont les vieilles pierres sont parfois profondément délabrées. Comme va le devenir l'esprit de Luciano (Aniello Arena), qui vit chichement d'une poissonnerie et dont l'épouse apporte un peu plus de beurre dans les épinards par le biais d'une escroquerie aux robots ménagers.

Cédant à la pression familiale, il soumet sa candidature pour participer à "Grande Fratello", version italienne de "Big Brother". Il passe les premiers tests mais l'attente d'être convoqué pour intégrer le fameux loft va peu à peu le pousser dans l'aliénation mentale.

"Après Gomorra, je cherchais un thème qui soit à la même hauteur, de même puissance, je voulais faire un film encore plus surprenant, plus fort", a expliqué Matteo Garrone, vendredi en conférence de presse.

"Peu à peu, je me suis rendu compte que j'allais droit dans le mur et, au bout d'un certain temps, étant toujours à la recherche d'un thème très fort, je suis tombé sur une petite histoire à Naples et j'ai tout de suite pensé que je pouvais en faire un conte simple, sans prétention, une métaphore".

"Reality" est une fable, voire un conte, mais un conte cruel. Il y a la réalité des quartiers populaires de Naples, la gouaille méditerranéenne, qui ne sont pas surfaites.

Et puis, il y a une dimension presque féerique, d'abord dans le vaste travelling en hélicoptère au-dessus de Naples qui vient s'abandonner sur un carrosse, image luxuriante de la Naples baroque.

Il y a le mariage, qui est le lieu de destination du carrosse, et que vient "honorer" de sa présence l'un des lauréats de l'émission de téléréalité. Ce mariage donne lieu à une longue séquence, qui s'étend du jour à la nuit, dans un "palazzo" ancien, symbole là encore d'une époque de raffinement et de merveilleux.

Vient ensuite le rêve de papier mâché symbolisé par ces studios de Cinecitta qui ne sont plus l'antre d'un Federico Fellini mais celui de "Grande Fratello" où une partie des postulants - mais pas Luciano - passe au travers d'une étrange bulle transparente plantée sur la pelouse, sas vers un eldorado quelque peu frelaté.

"PINOCCHIO MODERNE"

Alexandre Desplat a composé la musique de "Reality", tout comme il a créé celle de "Moonrise Kingdom", de Wes Anderson, qui faisait l'ouverture. Les deux films partagent tous deux cette atmosphère parfois féerique et onirique à laquelle la musique de Desplat contribue puissamment.

"Il existe une limite subtile entre réalité et rêve (dans 'Reality') sans perdre néanmoins la vraisemblance de l'histoire car avec un film comme celui-ci, on aurait pu facilement verser dans l'extravagant", explique Garrone.

"Le grand pari de ce film est de réussir à trouver ce lien entre rêve et réalité, entre dimension fantastique et réalité", ajoute le cinéaste, voyant dans le personnage de Luciano un "Pinocchio moderne". Cette réflexion fait référence à une scène durant laquelle Luciano contemple un criquet entré chez lui et y voit un présage de bon augure.

Aniello Arena, l'acteur principal, véritable révélation, n'était pas présent lors de la conférence de presse. Ce dernier, derrière les barreaux depuis un peu moins de 20 ans, est acteur de théâtre depuis 2001. Il a obtenu une autorisation de sortie pour tourner "Reality" mais pas pour venir à Cannes.

Ce souci d'apporter au film la touche d'irréalité d'un conte explique que Garrone n'ait ni voulu faire oeuvre de satire sociale, ni pasticher ses glorieux prédécesseurs de la comédie à l'italienne.

"Nous avons tourné ce film sans aucun esprit de critique (sociale) et nous ne voulions pas davantage d'une histoire qui puisse rappeler le grand cinéma italien (...) Ce n'est pas non plus une histoire qui est représentative de tout un pays", a-t-il affirmé.

"Il y a, en revanche, évidemment un hommage aux grands maîtres du cinéma italien ; j'espère ne pas les avoir plagiés et avoir préservé mon propre regard".

"Reality" sera sur les écrans en France en août.

édité par Patrick Vignal