BFMTV
Culture

Cannes: les limousines inspirent Carax puis Cronenberg

Le réalisateur canadien David Cronenberg (à droite) présente à Cannes le film "Cosmopolis", avec dans le rôle principal, Robert Pattinson (à gauche), une adaptation à l'écran d'un roman de Don deLillo. /Photo prise le 25 mai 2012/REUTERS/Christian Hartman

Le réalisateur canadien David Cronenberg (à droite) présente à Cannes le film "Cosmopolis", avec dans le rôle principal, Robert Pattinson (à gauche), une adaptation à l'écran d'un roman de Don deLillo. /Photo prise le 25 mai 2012/REUTERS/Christian Hartman - -

par Wilfrid Exbrayat CANNES (Reuters) - Se déroulant sur fond de crise financière et de monde en décomposition, "Cosmopolis", un roman de Don...

par Wilfrid Exbrayat

CANNES (Reuters) - Se déroulant sur fond de crise financière et de monde en décomposition, "Cosmopolis", un roman de Don deLillo porté à l'écran par David Cronenberg, n'en est que plus d'actualité.

Coïncidence, voulue ou non par les sélectionneurs du festival, des limousines blanches hypertrophiées, symbole massif de l'argent facile, constituent le point névralgique de deux des films en compétition, "Holy Motors", de Leos Carax, montré mercredi, et donc "Cosmopolis", projeté vendredi.

La plus grande partie de l'intrigue se déroule dans la limousine d'Eric Packer (Robert Pattinson, la star de Twilight), un jeune prodige de la finance dont l'empire s'écroule, comme le monde autour de lui, pour cause de spéculation sur le yuan.

Jusqu'aux tout derniers instants du film, où Packer rencontre, dans un immeuble lépreux, celui qui veut le tuer (Paul Giamatti), c'est le plus souvent le monde extérieur qui, se pliant aux désirs du petit tyran, vient le visiter dans son antre insonorisée, qui une vieille maîtresse (Juliette Binoche), qui un médecin, ou divers collaborateurs de l'empire Packer.

Cette quasi-unité de lieu (la limousine), l'unité de temps (l'action se déroule en 24 heures) et le langage qui apporte sa touche littéraire font presque de "Cosmopolis" une pièce tragique, un rapprochement que revendique d'ailleurs le cinéaste, au moins pour la longue dernière séquence.

La limousine, conçue comme un quartier général aux multiples écrans bleutés, roule au pas dans une ville en état d'insurrection où se croisent les cortèges du président des Etats-Unis et d'un rappeur mort, et les manifestations des indignés du moment. Packer ne fait que quelques brèves haltes dans le monde extérieur.

Pour retrouver par exemple sa jeune épouse (Sarah Gadon), soucieuse de divorcer à présent que son mari est à terre, un barbier qui lui coupe les cheveux depuis l'âge de cinq ans, ou un protestataire venu l'"entarter" (Matthieu Amalric).

"C'était surprenant de tourner dans la journée des manifestations anticapitalistes dans les rues de New York et de lire le soir ce que relatait la presse à propos des 'Indignés', de ceux qui voulaient occuper Wall Street. On s'est dit parfois qu'on faisait un documentaire, mais c'était une pure coïncidence", s'est souvenu David Cronenberg.

POÈME ET CHANSON

Une fois n'est pas coutume, le cinéaste canadien n'est pas à l'origine du projet. C'est le producteur Paulo Branco et surtout son fils Juan Paulo qui ont vu en Cronenberg le réalisateur le plus à même d'adapter le foisonnant roman de Don deLillo.

Cronenberg trouva l'inspiration très vite. Il affirme, dans les notes de production, n'avoir pris que six jours pour écrire le scénario. Don deLillo n'y a pas du tout participé. "C'est sans doute pourquoi le film est aussi réussi", a plaisanté l'écrivain, lors de la même conférence de presse.

Si "Cosmopolis" donne parfois l'impression d'être un film bavard c'est parce que David Cronenberg a retranscrit les dialogues du roman pratiquement mot pour mot puis a articulé le scénario autour d'eux. "Le film est contemporain, quand le livre était prophétique", résume-t-il, dans les notes de production.

Dans les notes de production, toujours, Robert Pattinson confie avoir eu l'impression, en lisant le scénario, d'être pris dans un poème. Lors de la conférence de presse, il a plutôt employé le terme de "chanson" (song) pour évoquer une certaine musicalité de la langue de deLillo.

"C'est comme une chanson de Bob Dylan, on n'en change pas les paroles mais on crée en changeant de rythme, en faisant une orchestration différente", a dit de son côté Cronenberg. "Ainsi, chaque personnage qui monte dans la limousine est comme un chanteur qui rejoint le chour".

Packer est peut-être l'un des maîtres du monde, à l'âge de 28 ans, mais dans "Cosmopolis", il ne l'est déjà plus. Son empire s'écroule, il en éprouve un curieux sentiment de libération. Packer réclame la liberté avec tant de passion qu'il en vient à liquider son propre garde du corps.

"On a l'impression que toute cette journée est pour Eric une quête de libération", explique Cronenberg. "Ce garde du corps l'emprisonne, pour ainsi dire. Il en a conscience et il essaie de fuir cela, de fuir sa propre vie".

La dernière séquence, longue et verbeuse, a une importance toute particulière dans l'esprit du réalisateur. "Pour moi, ces dernières 20 minutes représentent l'essence du cinéma ; cette essence est pour moi un visage qui parle, pas le Grand Canyon, mais un être humain qui parle", a-t-il dit.

"Cosmopolis" sort vendredi sur les écrans en France.

Edité par Gilles Trequesser