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Blake et Mortimer: un nouvel album très secret aux allures de blockbuster hollywoodien

Détail de la couverture du Dernier Pharaon, le nouveau Blake et Mortimer

Détail de la couverture du Dernier Pharaon, le nouveau Blake et Mortimer - Dargaud 2019

Les célèbres héros de la BD franco-belge reviennent avec une nouvelle aventure spectaculaire teintée de pessimisme où ils apparaissent vieillis mais toujours prompts à sauver le monde.

Entouré d’autant de secrets que le prochain album d’Astérix, le nouveau Blake et Mortimer, Le Dernier Pharaon, suscite l’impatience des fans. Jusqu’à sa sortie, mercredi 29 mai, cette aventure aux allures de blockbuster hollywoodien - un tirage exceptionnel de 230.000 exemplaires, trois éditions différentes, une demi-douzaine d’expositions en France et en Belgique - est resté un mystère.

"C’est un album un peu particulier", confirme François Schuiten, qui s’est chargé du dessin de ce one-shot et a écrit le scénario avec le romancier Thomas Gunzig et le réalisateur Jaco Van Dormael (Le Tout Nouveau Testament). Les couleurs ont été confiées au graphiste et affichiste Laurent Durieux. Contrairement aux précédents albums, figés dans les années 1950, Le Dernier Pharaon se déroule à l’époque contemporaine, évoque notre dépendance au numérique et met en scène une version vieillissante de Blake et Mortimer. Un choix osé pour rajeunir une série créée en 1946 par Edgar P. Jacobs.

"On a pris un certain nombre de risques", poursuit Schuiten, qui imagine dans Le Dernier Pharaon une suite au diptyque culte Le Mystère de la Grande Pyramide (1954), une des inspirations d’Indiana Jones. "On va décevoir un certain nombre de gens qui s’attendent à ce que je travaille dans le style de Jacobs. Il y a une réappropriation qui peut sembler choquante. Il y a tellement de particularités dans ce livre que l’éditeur a voulu le protéger pour ne pas le banaliser."

"Cette œuvre peut renaître de mille et une façons"

En multipliant les événements autour de l'album, François Schuiten veut rendre hommage à "l’extraordinaire modernité de l’œuvre de Jacobs" qui a été récemment "très malmenée" par une sombre affaire de vol et de recel de planches volées. "Il est temps que l’on tourne une page", dit Schuiten. "L’exposition qui aura lieu aux Arts et Métiers à partir du 26 juin, avec Le Dernier Pharaon, est une façon de montrer que cette œuvre peut renaître de mille et une façons."

Blake et Mortimer
Blake et Mortimer © Dargaud 2019

"Maltraité par ses éditeurs qui l’ont souvent mal dirigé", Edgar P. Jacobs a en effet subi diverses épreuves éditoriales: "Ils l’ont poussé à faire un seul album de L'Énigme de l'Atlantide (1955-1956) alors qu’il en fallait deux. On voit bien que le récit manque un peu d’espace. Ce récit est magnifique, mais s’il avait pu prendre son envol, cela aurait été sublime", déplore Schuiten. "Ses éditeurs l’ont ensuite cassé au moment du Piège Diabolique (1960-1961). Lorsque l’album a été interdit en France, ils l’ont poussé à revenir à des récits moins effrayants." Et à s’éloigner des genres où il excellait: la fantastique et la science-fiction.

Violence, ombres et apocalypse

François Schuiten a voulu retrouver cet esprit: "C’était ma préoccupation. Jacobs est un auteur effrayant!" Effrayant par sa capacité à créer des images terrifiantes inoubliables, mais aussi par son statut de géant de la BD. Arriver à la cheville d’Edgar P. Jacobs est une tâche impossible, commente Schuiten: "Il arrive à la BD avec une maturité. Il a 40 ans et une expérience que je trouve idéale: il vient de l’opéra, il a fait des costumes, des scénographies. Il a été acteur, il sait se maquiller, prendre des poses. Il n’a pas d’enfants et va totalement se concentrer sur cette œuvre."

Schuiten a passé quant à lui quatre ans de sa vie sur Le Dernier Pharaon. Chaque image a été confectionnée pour émerveiller le lecteur. Le coloriste Laurent Durieux a travaillé pendant un an pour créer une atmosphère onirique et inquiétante. Le scénario, enfin, a été attentivement travaillé avec Thomas Gunzig et Jaco Van Dormael pour créer "une histoire effrayante, avec des cauchemars, de la violence, des ombres et l’apocalypse."

Blake et Mortimer
Blake et Mortimer © Dargaud 2019

L’intrigue se déroule dans un Bruxelles dévasté, puis dans le palais de justice de la capitale belge. L’endroit, gigantesque, étrange mélange d’architecture moderne et de vestiges égyptiens, est composé à 70% d’espaces inutiles - soit le lieu idéal pour imaginer des histoires et jouer tant qu’il est encore temps avec les personnages favoris de son enfance.

Inspiré par Impitoyable de Clint Eastwood

En vieillissant ses héros, Schuiten a voulu refléter “la part d’amertume" d’Edgar P. Jacobs: "Il était très isolé à la fin de sa vie. Il était sous l’influence de quelques personnes qui ont abusé énormément de sa fragilité. On découvrait au fur et à mesure qu’on réalisait le livre à quel point il a été victime d’une terrible malversation", se désole le dessinateur, qui s’est nourri de ces événements pour l’album: "On ne peut pas séparer les récits de la vie."

C’est pour cette raison qu’Olrik, le grand méchant de la série, est absent du Dernier Pharaon: "Il y en a déjà un dans la vraie vie: Philippe Biermé, le traître parfait", glisse Schuiten en référence à l’héritier de Jacobs inculpé par la justice belge pour "abus de confiance et blanchiment" et soupçonné d’avoir dérobé plus de 200 planches de l’auteur. La vie de François Schuiten s’est elle aussi mêlée à l’album. Il a truffé le récit de références à sa passion pour les trains et a assorti Mortimer d’un chien noir, sosie de son propre chien et de celui Edgar P. Jacobs.

Le clin d’œil est loin d’être anodin. François Schuiten, qui a toujours aimé les personnages vieillissants et solitaires, confronte Blake et Mortimer, toujours capables de prouesses physiques malgré l’âge, aux angoisses de notre temps - l’apocalypse et la mort du numérique. Inspiré par Impitoyable, le western crépusculaire de Clint Eastwood, Le Dernier Pharaon évite l’hommage rétro et nostalgique mais peut sonner, dans un contexte de surproduction de livres, comme un adieu à deux héros d’antan et à une certaine manière de faire de la BD.

Le Dernier Pharaon, François Schuiten (dessin et scénario), Thomas Gunzig et Jaco Van Dormael (scénario) et Laurent Durieux (couleur), Dargaud, 92 pages, 17,95 euros (29,95 euros pour le format à l'italienne. Une édition noir et blanc est prévue pour la fin de l'année.).

Blake et Mortimer
Blake et Mortimer © Dargaud 2019
Blake et Mortimer
Blake et Mortimer © Dargaud 2019
Jérôme Lachasse