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BD: la rivalité "loufoque" entre Chirac et Sarkozy passée au crible dans Le Grand et le trop court

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- - ©Barré/Krassinsky Casterman 2017

ENTRETIEN - Le biographe de Jacques Chirac et le dessinateur Krassinsky racontent 20 ans de rivalités politiques entre les anciens présidents de la Vème République.

Le 9ème Art s’invite dans la présidentielle. L’écrivain et historien Jean-Luc Barré, biographe de Jacques Chirac, et le dessinateur Jean-Paul Krassinsky proposent à cette occasion Le Grand et le trop court (Casterman), une comédie politique retraçant 20 ans de rivalité politique entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy et dont quatorze pages sont disponibles en exclusivité sur BFMTV.com. Peint à l’aquarelle, cet album évoque les arcanes de la vie politique française: les coups bas de Sarkozy, les bons mots de Chirac, ainsi que son grand appétit légendaire. Rencontrés dans les locaux parisiens de leur éditeur, Jean-Luc Barré et Jean-Paul Krassinsky ont accepté de répondre aux questions de BFMTV.com

Comment est né le projet? Comment vous êtes-vous rencontré?

Krassinsky: C’est à l’initiative de Benoît Mouchart [directeur éditorial des éditions Casterman, NDLR], qui nous a présentés. Il m’a parlé du projet, que j’ai trouvé original: beaucoup de BD politiques ont une valeur documentaire. Ici, l’approche était un peu plus narquoise, tout en étant rigoureuse. Je me suis dit que l’on tenait quelque chose que l’on avait peu lu jusqu’à présent.
Jean-Luc Barré: Je connais bien Chirac pour avoir travaillé avec lui, je m’intéresse beaucoup à la politique et je ne me suis jamais caché d’être un peu agacé par le personnage de Sarkozy. Quand j’en ai parlé à Benoît, il m’a dit que cela ferait une BD formidable. Il y avait quelque chose de très romanesque, de très loufoque chez Chirac et Sarkozy que je ne pouvais pas traiter en tant qu’historien. C’est une comédie politique. Aujourd’hui, on vit moins cela. Tout est sévère, tendu, violent. Il y avait de la violence entre Chirac et Sarkozy, bien sûr, mais aussi un jeu politique assez drôle entre eux. Ils menaient une espèce de guerre dont ni l’un ni l’autre n’étaient dupes.

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- © ©Barré/Krassinsky Casterman 2017

C’est une BD politique ou un divertissement?

JLB: J’ai pris d’emblée le parti d’être entre la fiction et la réalité. Ce qui m’a amusé, c’est d’imaginer, derrière les mots et les scènes connus, les arrière-pensées des uns et des autres. Dans Le Grand et le trop court, tout n’est pas vrai, mais tout est authentique. Ce que je veux dire, c’est que je suis sûr que Chirac a tenu ou aurait pu tenir les propos que je lui prête.
K: Ce qui m’a vraiment étonné, ce sont ses jeux de mot à la noix.
JLB: C’est un homme qui aime beaucoup jouer avec les mots. Il a lâché quantité de formules dans le langage courant, comme "C’est abracadabrantesque" ou "Ça fait pschitt".

Jacques Chirac avait une manière très particulière de parler...

JLB: Chirac a deux façons de s’exprimer: une publique, un peu solennelle, martiale, stéréotypée, avec des formules très installées ; et une privée, un peu comme les personnages de Michel Audiard. J’ai essayé de restituer cela. C’est un provocateur né, avec un sens de l’autodérision inouïe. Dans l’album, il accueille celui qui écrit ses Mémoires en lui disant: "Il paraît que vous savez tout sur tout. Ça tombe bien: moi, je ne sais rien sur rien." Ce n’est évidemment pas vrai. Le titre de l’album, Le Grand et le trop court, est aussi une provocation, qui devrait beaucoup faire rire Jacques Chirac. Je me souviens avoir entendu dans sa bouche la formule "le trop court".
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- © ©Barré/Krassinsky Casterman 2017

Dans une interview accordée à la revue Charles, vous décrivez un Chirac qui ne veut parler que de son passé et non du présent. Dans votre BD, c’est l’inverse, Chirac commence tout de suite par parler de Sarkozy.

JLB: Le Grand et le trop court, ce n’est pas les Mémoires. C’est un exercice libre. Je n’allais pas refaire les Mémoires, sinon cela aurait été ennuyeux. Le thème est Sarkozy et Chirac. Mais c’est vrai que lorsque j’ai rencontré Chirac pour ses Mémoires il a préféré évoquer son passé le plus lointain.

Cette BD est-elle une manière de prolonger les Mémoires de Chirac, de raconter des événements que vous n’aviez pas pu évoquer?

JLB: Je vais le faire dans un livre à paraître, et qui sera une sorte de making-of. Les Mémoires étaient un exercice nécessairement contrôlé. Contrôlé parce que c’est un ancien président de la République, parce qu’il y a un entourage, parce que Chirac est un homme pudique - je reviens sur l’idée de pudeur, mais c’est vrai. J’ai passé tellement d’heures avec lui que j’arrivais à lire à travers lui ce qu'il voulait me dire et ce qu'il ne me disait pas. Les Mémoires, évidemment, ne traduisent pas tout ce qu’il a pu me dire.

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- © ©Barré/Krassinsky Casterman 2017

Comment dessine-t-on Chirac et Sarkozy? Krassinsky, vous avez essayé de trouver un équilibre entre réalisme et caricature.

K: Je ne voulais pas aller trop loin dans la caricature, parce que cela peut dévaluer le propos. L’aspect documentaire était important. Je n’ai pas trouvé tout de suite cet équilibre. C’était intéressant. J’ai donc dû recréer graphiquement les personnages. Pour Chirac, par exemple, j’ai changé son nez. Sa bouche aussi.

Pourquoi avez-vous changé son nez?

K: J’ai changé le nez de Chirac pour le rapprocher de la perception qu'en a le public. On a souvent l’impression qu’il a un nez pointu. En regardant bien, ce n’est pourtant pas le cas. Son vrai nez est moins rigolo. J’ai aussi regardé beaucoup de vidéos pour m’imprégner de ses mimiques. Pour Bernadette, c’est pareil. J’ai un peu abusé pour son front et le côté gonflant de sa coiffure, qui est incroyable.
JLB: C’est un vrai personnage de BD. Bernadette est une femme qui peut être extrêmement drôle, mais aussi méchante. Le physique de Bernadette est très bien rendu par Jean-Paul: c’est l’image qu’elle a maintenant: celle d’une femme dure, méchante, rabrouant les gens, disant du mal de son mari.

Sarkozy a un vrai physique de méchant dans l’album.

K: J’ai beaucoup aimé le dessiner. C’est souvent les méchants qui sont les plus marrants à illustrer. Sarkozy a les sourcils très foncés, les yeux qui tombent, il est toujours en tension.

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- © ©Barré/Krassinsky Casterman 2017

Pourquoi avoir eu recours à l’aquarelle pour cet album?

K: Il y a beaucoup de vertus à l’aquarelle. Elle permet d’installer très vite des ambiances très précises. Comme on balaie quarante ans de vie commune entre Sarkozy et Chirac, cela me permettait de bien distinguer les différentes scènes. L’aquarelle permet aussi un décor un peu plus flou que les personnages, comme dans un dessin animé. Ça fonctionne très bien dans les scènes de bureau, qui auraient pu vite être très ennuyeuses visuellement. Cela accentue la visibilité: nous nous adressons à un public assez large. Ce n’est pas un album pour spécialiste de la BD.

Le Grand et le trop court, Jean-Luc Barré (scénario) et Jean-Paul Krassinsky (dessins), Casterman, 80 pages, 14,90 euros.

Jérôme Lachasse