BFMTV
Culture

Attentats du 13-Novembre: quand est-ce qu'une victime cesse de l'être?

L'essai "Victimes, et après?"

L'essai "Victimes, et après?" - BFMTV - Gallimard

A la veille du quatrième anniversaire des attentats du 13 novembre 2015 qui ont ensanglanté Paris et Saint-Denis, Arthur Dénouveaux et Antoine Garapon publient chez Gallimard un essai, Victimes, et après?. Une réflexion sur la condition des rescapés, et le cheminement qu'ils peuvent emprunter pour se reconstruire.

A chaque acte de terrorisme, elles sont des illustrations de l'horreur. De par leurs témoignages, leurs souffrances et la difficulté de leurs reconstructions, les victimes accèdent bien malgré elles à un statut particulier. Une nouvelle condition, qui peut-être vécue comme un enfermement et un frein supplémentaire dans la quête si pénible de la guérison.

Arthur Dénouveaux, 33 ans, en sait quelque chose. Ce rescapé de l'attaque du Bataclan signe avec le magistrat Antoine Garapon Victimes, et après? (Tracts / Gallimard, 48 pages), un essai qui livre une définition technique de ce que peut traverser un être humain happé par un attentat terroriste, et de la place qui lui est ensuite allouée dans la société. Ce texte, renforcé par l'expérience du trentenaire, membre actif de l'association Life for Paris depuis quatre ans et qu'il préside depuis la fin 2017, se veut aussi une réflexion sur "l'après de l'après", quand une victime se débarrasse de son statut et retrouve de son humanité. Rencontre, à la veille des quatre ans du 13-Novembre.

> Note de la rédaction: l'auteur de ces lignes était également présent au Bataclan le soir du drame.

  • Les précédents ouvrages publiés par des victimes d'actes de terrorisme accordent une grande place aux récits personnels, aux vécus. C'est beaucoup moins le cas dans votre essai?
Il y a eu des ouvrages très forts rédigés par des victimes ou leurs proches, des livres profondément marquants. Et moi je n'avais pas en moi ce cri qui fait la force d'un témoignage, je ne pensais même pas avoir quoi que ce soit à dire et ça m'allait très bien. C'est en rencontrant des spécialistes, notamment Antoine Garapon, que je me suis rendu compte que j'avais réfléchi d'une manière différente à ce que vivait la victime et que cela valait peut-être la peine d'en parler. Je suis encore tout surpris que Gallimard ait pu trouver ça assez intéressant pour le publier.
  • Devons-nous y voir une sorte de "mode d'emploi" à destination des victimes et de leurs proches?
Je crois, ou j'espère, que c'est avant tout un livre qui parle de la vie. De la vie quand on l'a dépouillée de tout, et du cortège de difficultés qui accompagnent cette nudité. Donc oui il peut parler aux victimes et à leurs proches mais dans l'idéal il devrait parler à tout un chacun de ce qui fait qu'une vie vaut d'être vécue.
  • Victimes, et après? se penche sur le futur des rescapés avec un ton résolument optimiste: il y est question de renaissance, de quête vers le bonheur. Est-ce une réalité pour certains membres de votre association ou doit-on y voir un idéal de reconstruction ?
Etre victime d'un acte de terrorisme, c'est l'horreur absolue, celle qui oblige à partir d'un champ de ruines pour reconstruire sa vie. Et ce qui est partagé par les adhérents de Life for Paris, c'est l'envie de viser le bonheur et l'épanouissement dans cette nouvelle vie. Il ne faut pas nier que cette quête est difficile mais au moins elle forme un idéal qui guide l'après, et qui comme tout idéal n'est pas facilement accessible.
Ce qui est intéressant aussi c'est que c'est un idéal partagé dans notre société et que chercher à l'atteindre permet aux victimes de retrouver des préoccupations proches de celles des non-victimes.
  • Il semble que tous les sentiments mauvais et négatifs, pourtant ressentis par certaines victimes du 13-Novembre, n'apparaissent pas dans votre vision de "l'après". Comment l'expliquez-vous ?
Oui parce qu'en fait je crois que la reconstruction ne s'opère qu'à partir du moment où la destruction est terminée. Et l'attentat est encore destructeur dans l'après, il est notamment destructeur parce qu'il engendre des sentiments de colère, d'abandon, d'aliénation et de rejet extrêmement forts qui se manifestent longtemps après la fin de l'attaque. J'ai vécu ces sentiments, comme une majorité de victimes, certaines les vivent même encore. Ce n'est qu'une fois ces sentiments purgés que débute la vraie reconstruction qui, elle, peut et doit être très positive.
  • Présider une association comme Life for Paris, c'est consacrer énormément de son temps et de sa santé pour les autres. Où en êtes vous, vous, de votre reconstruction?
Cela fera quatre ans en décembre que Life for Paris occupe une partie importante de mon temps, c'est un sprint qui dure... Mais j'ai une femme et une fille en or qui s'assurent de mon équilibre. Et puis cette association c'est avant tout un collectif qui m'aide à me reconstruire et qui m'a fait faire beaucoup de rencontres enrichissantes.
  • Vous écrivez que les associations de victimes doivent un jour ou l'autre être dissoutes, notamment après un procès. Peut-on affirmer que Life for Paris dans sa forme actuelle n'aura plus raison d'être une fois terminé le procès du 13-Novembre, qui doit durer 6 mois en 2021?
Je pense que Life For Paris, l'association loi 1901 et pas la communauté de victimes, a vocation à disparaître quand le moment sera venu et le procès de 2021 pourrait être ce moment. Sauf qu'il peut y avoir appel du verdict et que par ailleurs Life For Paris est toujours potentiellement partie civile dans l'affaire du financement de Daesh par Lafarge, potentiellement car nous avons formé un pourvoi contre notre rejet. Voilà qui repousse donc probablement la fin, qui sera de toute façon décidée collectivement, à 2022 au minimum. Ce qui est sûr c'est qu'on ne laissera personne en arrière.

Victimes, et après?, paru le 7 novembre 2019. "Collection Tracts - Gallimard", 48 pages, 3,90 euros. Tous les droits d'auteur générés par la vente de l'essai seront reversés à l'association Life for Paris.

Jérémy Maccaud