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Affaire conclue: comment la brocante de France 2 est devenue un phénomène

Sophie Davant sur le plateau de Affaire Conclue, sur France 2

Sophie Davant sur le plateau de Affaire Conclue, sur France 2 - Gilles Scarella - FTV

En à peine un an, l'émission animée par Sophie Davant sur France 2 a réussi un étonnant pari. Quels sont les ressorts du succès d'Affaire conclue?

Brigitte parviendra-t-elle à vendre son billard? Combien Hélène obtiendra-t-elle de son vase Art-déco? Quel acheteur repartira avec le casque de pompier de Philippe? Chaque jour, ces épineuses questions et bien d'autres passionnent plus d'un million de téléspectateurs entre 16 et 18 heures sur France 2 à l'heure d'Affaire conclue

Des particuliers viennent y faire estimer des objets plus ou moins anciens par un expert et essayer de les vendre à des antiquaires, sous l'oeil bienveillant de Sophie Davant.

Le programme a débarqué, un peu en catimini, le 21 août 2017, sur France 2. L'animatrice et sa bande de brocanteurs professionnels se sont installés dans la case laissée vacantes par les Visites privées de Stéphane Bern, de 16h20 à 17h10, dans un premier temps. L'animateur avait tourné le pilote de l'émission, mais renoncé la présenter. 

"J'ai senti que la mayonnaise prenait"

Et puis la magie a opéré. Les 343.000 téléspectateurs se sont multipliés comme des pains. L'émission a vu ses parts d'audience grimper de façon exponentielle, passant de 4% à plus de 17% de parts d'audience aujourd'hui. Elle occupe depuis le début de l'année une seconde tranche, de 17h10 à 17h55.

Sans compter les replay. "On est une des émissions de flux les plus consommées en replay en France. Nos épisodes font régulièrement 50.000 téléspectateurs de plus en replay", assure Jean-Louis Blot PDG de Warner Bros France, qui produit l'émission.

Affaire conclue est inspiré d'un programme allemand de la ZDF, l'équivalent de France 2 outre-Rhin, intitulé Bares für Rares (De l'argent pour une pépite), qui séduit 20% des téléspectateurs germaniques tous les après-midis à 15 heures.

"Je savais que c'était un immense succès en Allemagne, nous explique Sophie Davant. Je ne pensais pas que ce serait un succès comme celui-là, mais je savais qu'il y avait les ingrédients nécessaires à une bonne émission. Et puis dès les premiers tournages, j'ai senti que la mayonnaise prenait. Un tel succès, je n'ai jamais connu ça. Mais je crois que peu de gens ont connu ça."

Picasso, Voltaire et Goldorak

Les audiences ont commencé à décoller dès septembre 2017. Aujourd'hui le programme flirte chaque jour avec le million de téléspectateurs. Vendredi 12 octobre, ils étaient encore 1,32 million à suivre l'émission entre 17 et 18h. Mais pourquoi cette émission plaît-elle tant? D'abord, le Français est chineur dans l'âme. 

"On est le miroir d'une pratique française, celle d'aller dans les vide-greniers, les brocantes, négocier marchander des objets pour la déco ou des collections. On est pas très loin du succès du Bon coin" analyse Jean-Louis Blot.

Mais la passion pour la brocante ne peut à lui seul expliquer l'attrait qu'exerce Affaire conclue sur le public. Famille de brocanteurs, mêlant antiquité et téléréalité sur TF1 et programmé cet été à un horaire similaire, n'a pas rencontré le succès escompté.

Pour Sophie Davant, le succès d'Affaire conclue relève d'"abord d'une bonne mécanique". Il y a "du suspense, avec cette histoire d'enchères. Est-ce que les gens vont vendre au prix qui a été estimé?".

Et puis "on apprend des choses. Les gens regardent la télé sans avoir le sentiment de perdre leur temps, puisqu'ils nourrissent leur culture, ils enrichissent leurs connaissances, sur l'histoire des objets, sur l'histoire de France, l'histoire de l'art".

"Il y a une dimension d'encyclopédie. On apprend des choses sur des objets qu'on ne connaît pas et on a une sorte de leçon par le commissaire-priseur", confirme le sociologue François Jost, auteur notamment de Comprendre la télévision et ses programmes. "C'est la seule émission où on peut parler de Picasso du style Voltaire et de Goldorak", résume Jean-Louis Blot.

"L'effet Fort Boyard"

Ajoutons à cela un côté ludique et un indéniable effet "Madeleine de Proust". C'est un programme "concernant", avance ainsi François Jost. On y retrouve "des objets proches de ceux qu'on a et qui ont souvent un ancrage familial". "Il y a aussi ce que Georges Perec aurait appelé Je me souviens. Un public un peu âgé peut y retrouver des éléments de sa jeunesse".

L'émission joue aussi à fond la proximité avec public. Tout le monde a la possibilité de pouvoir passer à la télé, seuls les objets sont castés. Les candidats qui souhaitent vendre quelque chose contactent la production. "On reçoit certains jours 100, 200 appels, parfois un peu moins", explique Jean-Louis Blot. Pour alimenter l'émission, "on recherche aussi des objets sur Le Bon coin ou d'autres sites de vente, et on propose aux propriétaires de venir participer à l'émission."

Pierre-Jean Chalençon, dans "Affaire Conclue".
Pierre-Jean Chalençon, dans "Affaire Conclue". © Gilles Gustine - FTV

"Les téléspectateurs deviennent acteurs, souligne François Jost. Le sociologue y voit là les limites de l'émission: lors des prime time, les invités n'étaient pas plus des gens "ordinaires", mais des people venus vendre des objets au profit d'associations. C'est ce qu'il appelle "l'effet Fort Boyard", émission qui a "commencé avec des profanes et fini avec des vedettes. S'ils allaient trop vers cela, ça deviendrait contradictoire", analyse-t-il.

"Voir l'envers du décor"

Un des ressorts de l'émission est en effet celui de "charité directe". "On donne aux gens de l'argent en direct et en billets. C'est d'ailleurs un peu étonnant: à l'époque de Money Drop, le producteur s'était interrogé sur le fait de montrer des billets, rappelle François Jost. Là on en montre sans aucun problème".

En dehors du plaisir d'apporter un objet, les candidats ont envie de voir l'envers du décor d'une émission. "Et puis ils ont envie de me rencontrer, ils le disent en tout cas. C'est assez sympa. Il y a ce lien qui s'est installé pendant des années avec le public", ajoute Sophie Davant, qui a longtemps confessé les téléspectateurs dans Toute une histoire et Mille et une vies. "Sophie a Davant a amené beaucoup de choses, c'est une animatrice très populaire, et c'est aussi quelqu'un qui est dans la proximité, dans la vie quotidienne des gens", assure Jean-Louis Blot.

Une relation d'intimité

"On passe un bon moment, on se marre", décrit Sophie Davant. Les professionnels, qui achètent les objets des candidats ne sont pas étrangers à cette bonne ambiance. A l'image du charismatique Pierre-Jean Chalençon, grand collectionneur d'objets et oeuvres de l'époque napoléonienne - il est surnommé "l'Empereur" à Drouot, qui arbore un look à la Polnareff. Ces acheteurs sont "devenus des personnages", souligne François Jost. "Ce ne sont pas seulement des acheteurs froids. C'est de plus en plus fort. Il y a une relation d'intimité qui se crée. Les gens qui viennent vendre connaissent leur caractère, leur marché."

La popularité de l'émission ne se manifeste pourtant que très peu sur les réseaux sociaux. En témoignent un compte Instagram, suivi par 2.500 abonnés, ils sont 11.000 sur Facebook (et 1.700 sur la page des fans de l'émission). "Ce n'est pas une émission qui peut donner lieu à beaucoup de choses sur les réseaux sociaux", argumente Jean-Louis Blot. La production n'encourage pas non plus les clubs, comme ce qui existe autour des Chiffres et des Lettres et qui contribue à la longévité de l'émission. Sophie Davant y voit plutôt la remise en jeu d'un fragile équilibre: "Ce qui fait le succès d'Affaire conclue, c'est le mélange de tous ces ingrédients. S'il manque un ingrédient, je ne suis pas sûre que ça marcherait".

Magali Rangin
https://twitter.com/Radegonde Magali Rangin Cheffe de service culture et people BFMTV