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Culture

A Cannes, la presse française plébiscite "La vie d'Adèle"

Léa Seydoux (premier plan) et Adèle Exarchopoulos, à Cannes. "La vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2", d'Abdellatif Kechiche, est largement plébiscité par une partie de la presse et se présente comme le plus sérieux des prétendants à la Palme d'or. /Photo pris

Léa Seydoux (premier plan) et Adèle Exarchopoulos, à Cannes. "La vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2", d'Abdellatif Kechiche, est largement plébiscité par une partie de la presse et se présente comme le plus sérieux des prétendants à la Palme d'or. /Photo pris - -

par Wilfrid Exbrayat CANNES (Reuters) - A la veille du palmarès du 66e Festival de Cannes, "La vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2", d'Abdellatif...

par Wilfrid Exbrayat

CANNES (Reuters) - A la veille du palmarès du 66e Festival de Cannes, "La vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2", d'Abdellatif Kechiche, est largement plébiscité par une partie de la presse et se présente comme le plus sérieux des prétendants à la Palme d'or.

Pour la critique française, dont les appréciations sont publiées quotidiennement par Le Film français, le cinquième long métrage du cinéaste, venu tenter sa chance pour la première fois sur la Croisette, est donné largement favori parmi les vingt films en compétition.

Il devance notamment "Le passé", tourné en français par le cinéaste iranien Asghar Farhadi.

La critique internationale elle a longtemps penché pour "Inside Llewyn Davis", des frères Joel et Ethan Coen. (voir ). Mais la revue Screen, qui compilait quotidiennement ses avis, a mis fin à sa parution spécial Cannes jeudi, le jour de la projection de "La vie d'Adèle".

On ne peut donc avoir une vue d'ensemble de l'appréciation portée par les médias internationaux sur cette chronique des amours lesbiennes entre Adèle (Adèle Exarchopoulos) et Emma (Léa Seydoux), adaptée de la bande dessinée "Le bleu est une couleur chaude" de Julie Maroh.

Mais Kaya Burgess, du Times de Londres, a parlé de "l'une des histoires d'amour les plus belles et les plus discrètement observées jamais vues au cinéma" quand Jordan Mintzer, du Hollywood Reporter, évoquait, au-delà des scènes de sexe explicites, une "histoire d'amour passionnée, dirigée de manière poignante".

Trois heures durant, la caméra de Kechiche explore la naissance, l'évolution, les péripéties et la conclusion de cette relation, aussi bien dans ses moments les plus intimes et les plus passionnés que sur les visages de ses protagonistes, celui d'Adèle surtout, qui ne quitte pratiquement jamais l'écran.

"Le gros plan permet de capter des expressions très fines qu'on ne voit pas toujours dans la vie", expliquait le réalisateur de "La graine et le mulet" jeudi en conférence de presse.

La dernière Palme d'or française remonte à 2008, année où avait triomphé "Entre les murs", de Laurent Cantet. Il faut ensuite remonter jusqu'à Maurice Pialat et au sacre controversé de "Sous le soleil de Satan" en 1987.

"LA PAUVRETÉ NE SE RACONTE PAS"

Pour autant, les préférences de la presse ne préjugent en rien de la décision que rendra dimanche le jury présidé par Steven Spielberg - lequel n'a goûté qu'une fois à la compétition avec "Sugarland Express" (1974).

"A Touch of Sin", du Chinois Jia Zhang-ke, et "Tel père, tel fils", du Japonais Hirokazu Kore-eda ont également reçus un accueil favorable dans la première semaine du festival.

En début de semaine, c'est "La Grande Bellezza", de l'Italien Paolo Sorrentino, qui était venu s'approprier les louanges de la critique.

Voyage mélancolique des illusions perdues et des occasions ratées dans la Ville éternelle, avec pour Cicérone désabusé un écrivain en mal d'inspiration interprété par Toni Servillo, acteur fétiche du cinéaste italien, "La Grande Belleza" balade le spectateur dans des "parties" fin de siècle, des soirée entre amis dégénérant parfois en jeu de massacre, ou encore dans l'intimité inviolée de palais romains.

Il est difficile de ne pas se remémorer le "Roma" et "La Dolce Vita" de Federico Fellini, voire la première partie du "Caro Diario" (Journal intime) de Nanni Morretti dans cette évocation d'une brillante civilisation tombée en pleine décrépitude.

"Pour moi, la pauvreté ne se raconte pas, elle se vit", a dit Paolo Sorrentino, lauréat d'un Prix du Jury en 2008 pour "Il Divo", mardi en conférence de presse, reprenant à son compte la réplique d'un de ses personnages, une religieuse de 104 ans. "C'est pour cette raison que le film ne montre pas une pauvreté matérielle mais le vide. J'ai tenté de regarder ce qui se cache derrière l'appauvrissement apparent de notre pays."

En revanche, aucun des films projetés juste avant ou juste après "La vie d'Adèle" ne semble susceptible, aux yeux de la critique, de remettre en cause son statut de favori, que ce soit le décevant "The Immigrant" (James Gray), le léger "Only Lovers Left Alive" (Jim Jarmusch), l'agréable "Nebraska" (Alexander Payne), le mitigé "Michael Kohlhaas" (Arnaud des Pallières) ou encore "La vénus à la fourrure" (Roman Polanski).

EROS ET THANATOS

La cérémonie de clôture débutera dimanche à 19h00. La Palme d'or sera connue une heure plus tard environ, refermant un festival qui, dès le départ, a été placé sous le signe d'Eros.

Les milliers de festivaliers qui ont franchi les portes du palais des Festivals douze jours durant ont été accueillis par l'icône géante de ce 66e millésime déployée sur ses murs, le couple dans la vie comme à l'écran Paul Newman-Joanne Woodward s'embrassant.

Qu'il soit irradiant et irradié ("Grand Central", de Rebecca Zlotowski), vénal ("Jeune et Jolie", de François Ozon, "Les salauds", Claire Denis), un peu pervers ("La vénus à la fourrure"), homosexuel ("Ma vie avec Liberace", de Steven Soderbergh, "La vie d'Adèle", "L'inconnu du lac", Alain Guiraudie), l'amour a empli la Croisette. En tout cas ses salles obscures.

Compagnon inséparable d'Eros, Thanatos s'est lui aussi invité à la fête cannoise, sous l'apparence de morts parfois extrêmement violentes.

Dès le tout premier jour, le spectateur a ainsi été soumis à des scènes d'une rare brutalité avec "Heli", du Mexicain Amat Escalante. Dans "A Touch of Sin", Jia Zhang-ke, rompant avec ses habitudes, cède lui aussi à la fureur pour mieux rendre un certain état de la société chinoise.

Comme Escalante, le surdoué Nicolas Winding Refn a jugé bon d'imposer une insistante scène de torture, manière radicale de démontrer que seul Dieu pardonne ("Only God Forgives", le titre de son film ultrastylisé).

Comme souvent lorsqu'on les interroge sur la violence, les cinéastes livrent des explications quelque peu contournées. "L'art est un acte de violence. J'ai un peu l'approche d'un pornographe, c'est ce qui m'excite qui compte; je ne peux pas censurer ce besoin", a expliqué le cinéaste danois mercredi.

"Il ne faut pas oublier que notre naissance nous pousse à la violence, c'est instinctif mais au fil des années, elle est plus mentale, et l'Art nous permet de l'exprimer."

Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Henri-Pierre André