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Culture

5 questions autour de la découverte d'un tableau du Caravage

La présentation du Caravage à Paris ce 12 avril 2016.

La présentation du Caravage à Paris ce 12 avril 2016. - PATRICK KOVARIK / AFP

Découvert par hasard, le tableau attribué au peintre Le Caravage est sans doute exceptionnel. Il a été dévoilé à la presse ce mardi et plusieurs experts affirment qu'il s'agit bien d'un authentique.

L'œuvre d'art tombée du ciel. C'est tout à fait fortuitement qu'un tableau du Caravage a été découvert dans un grenier toulousain. Ce mardi, une Judith tranchant la tête d’Holopherne a été présenté à la presse et plusieurs experts sont formels: il s'agit bien d'un authentique du grand peintre italien. 

Nous vous proposons de comprendre cette découvert exceptionnelle en cinq questions.

1. Comment le tableau a été retrouvé? 

L'histoire est belle: c'est au détour d'un dégât des eaux, dans une belle propriété autour de Toulouse que l'oeuvre a été retrouvée dans un grenier en 2014. "Il y a deux ans, j'ai été appelé au téléphone à mon étude pour voir un tableau imposant découvert par hasard dans un grenier. Le tableau avait été sorti d'une soupente du grenier", raconte Marc Labarbe, commissaire priseur à Toulouse.

Si cette oeuvre d'un peintre majeur est restée si longtemps cachée, c'est "peut-être pour sa composition particulièrement violente, pas évidente pour un salon ou une chambre", estime l'expert. "La famille occupe la maison depuis le milieu du XIXe siècle, ignore tout de ce tableau "qui pu être rapporté d'Espagne par un ancêtre officier de l'armée napoléonienne mais aussi être déposé dans ce grenier bien avant", suppose-t-il. 

2. Combien coûte ce tableau (et qui va toucher de l'argent)?

A oeuvre majeure, estimation majeure: Eric Turquin, expert, estime le tableau à près de 120 millions d'euros. Si on est loin de 250 millions de dollars du Joueurs de cartes de Cézanne, le record, il s'agit là d'un tarif très élevé. A titre de comparaison, le Louvre a acheté en septembre dernier un Rembrandt à la famille Rothschild pour 80 millions d'euros.

Le montant s'explique par la faiblesse du catalogue connu du Caravage, une cinquantaine d'œuvres seulement sont authentifiées, et par un marché qui, sur cette période et cet état de conservation, est très ramassé.

Dans ces cas-là, la somme est touchée par les découvreurs de l'oeuvre, puisque le tableau dort dans le grenier depuis plusieurs dizaines d'années. La famille toulousaine donc, dont l'expert a précisé ce mardi qu'elle était "à l'abri du besoin, sans être aisée". Comme il est d'usage, le commissaire priseur touche également une commission sur la vente, généralement un pourcentage du montant final.

3. Le tableau peut-il rester en France?

Pour le moment, le tableau ne peut quitter le pays. Face au risque de voir un authentique Caravage quitter le territoire, le ministère de la Culture a refusé le certificat d'exportation à titre conservatoire, dans l'attente de son expertise officielle. Pour le ministère, qui l'a fait examiner par le musée du Louvre pendant trois semaines, la toile méritait d'être "retenue sur le territoire comme un jalon très important du caravagisme, dont le parcours et l'attribution restent encore à approfondir". Le certification empêchant l’exportation court pendant 30 mois.

Mais il est peu probable que l'Etat puisse réunir 120 millions pour s'offrir le trésor. Le Figaro révèle que le ministère de la Culture formulera toutefois une offre. Mais pas sans avoir des certitudes sur le tableau: un comité international des meilleurs connaisseurs de l'artiste devra alors se prononcer sur l'attribution. 

Du côté des institutions, une offre solide est davantage envisageable. Mais en empêchant l'exportation, l'Etat crée ainsi virtuellement un marché beaucoup plus petit que le traditionnel marché mondial sur ce type d'œuvres et cela pourrait refroidir d'éventuels acheteurs étrangers. Cependant, le statut de "Trésor national" ouvre les voix du mécénat. En permettant la défiscalisation pour l’achat d’œuvres à hauteur de 90%, il rend une transaction plus simple. 

4. Cette oeuvre est-elle si exceptionnelle ? 

Si l'authenticité est validée, Judith et Holophern peut-être une oeuvre majeure. Il est très rare de découvrir des tableaux de cette période, et encore plus d'un peintre aussi important que Le Caravage. 

"Il est d'une qualité exceptionnelle et correspond à la plus grande période du peintre, autour de 1605, moment où il parvient le mieux à traduire en peinture le drame des hommes. Il le fait avec ce Judith et Holopherne comme il l'a fait aussi avec La Mort de la Vierge, qui est au Louvre, ou Les Sept Oeuvres de Miséricorde, qui sont à Naples", précise Nicola Spinosa, spécialiste mondial du Caravage.

Par ailleurs, il n'y a qu'une cinquantaine d'oeuvres connues de ce peintre, contrairement aux près de 400 Rembrandt. Et l'état de conservation est très bon pour un tableau qui a passé des dizaines d'années dans un grenier. 

Il est toutefois possible que cette oeuvre soit "caravagesque", sans être l'oeuvre du maître italien. Elle a pu être réalisée par un élève ou un contemporain du peintre. Certains attribuent le tableau à Louis Finson, peintre flamand (1580-1617), contemporain du Caravage.

5. Comment peut-on certifier l'authenticité du tableau ?

Pour certifier l'oeuvre, l'étude a fait appel à plusieurs spécialistes. Dont l'expert mondialement reconnu du maître italien, Nicola Spinosa, qui a organisé plusieurs rétrospectives du Caravage. Et celui-ci reconnaît formellement le tableau.

Selon l'expert, qui dit l'avoir vu à trois reprises l'an passé, la tableau est passé entre les mains de plusieurs autres spécialistes, dont Keith Christiansen, président du département des peintures européennes au Metropolitan. L'identification d'un tableau du Caravage est d'autant plus difficile que le peintre ne signait pas ses oeuvres et qu'il a été souvent copié.

Ce tableau "est connu des historiens d’arts par des sources anciennes et une copie. La copie est parvenue dans les collections d’une banque napolitaine, attribuée à Louis Finson, tandis qu’en 1607, le tableau est signalé dans une lettre du peintre Franz Pourbus, qui la localise justement dans l’atelier de Finson", explique le site du Journal des Arts. "Le tableau apparaît pour la dernière fois à Amsterdam en 1617 dans l’inventaire après le décès de Finson", poursuit le journal spécialisé. 

Pour l'authentifier en toute discrétion, l’expert a conservé le tableau dans le plus grand secret. Allant même jusqu'à le faire étudier à l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, à l'abri des regards indiscrets. 

Ivan Valerio