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"1984, nous y voilà": ce que pense l'écosystème crypto de l'euro numérique

La BCE et la Commission européenne ont tenu ce lundi une conférence sur l'euro numérique. Les contours de ce projet inquiètent l'écosystème, notamment sur la question des données personnelles.

La Commission européenne (CE) et la Banque centrale européenne (BCE) ont organisé ce lundi une grande conférence sur l'avenir de l'euro numérique, intitulée "vers un cadre législatif permettant un euro numérique pour les citoyens et les entreprises". La Commission européenne a notamment confirmé qu’elle allait faire une proposition législative au cours du premier trimestre 2023 sur cette une version digitale de la devise de la zone euro.

"J'attends avec beaucoup d'impatience" cette proposition législative, a déclaré la présidente de la BCE, Christine Lagarde, lors de la conférence. Pour cette dernière, une telle proposition enverrait un "signal fort de soutien politique " aux projets de la BCE.

Inscrire "l'euro numérique dans la loi"

Cela fait plusieurs mois que la BCE et la CE examinent déjà les questions politiques, juridiques ou encore techniques sur un euro numérique. Cette proposition "inscrira l'euro numérique dans la loi et réglementera ses aspects essentiels", a indiqué Vladimir Dombrovskis, le vice-président exécutif de la CE.

L'euro numérique ne viendrait pas remplacer les autres systèmes de paiement (cash ou paiement numérique), précise la BCE. Par ailleurs, l'euro numérique "doit être principalement utilisé comme moyen de paiement et ne pas devenir un instrument d'investissement financier". Enfin, il serait "gratuit" et utilisable par tous au sein de la zone euro.

Pour l'Europe, un euro numérique serait "mieux" que les cryptos

Malgré cette réunion en grande pompe, ce n'est qu'en octobre 2023 que l'Europe décidera d'avancer ou non sur un tel projet, qui ne verrait le jour qu'en 2026 voire 2027 après plusieurs tests. D'ici là, l'écosystème crypto, très critique vis-à-vis de ce projet, aura tracé sa route.

Dans une rubrique question/réponse sur ce projet, la BCE a posé cette question insolite: "pourquoi un euro numérique serait-il mieux que les stablecoins et les crypto-actifs?". Et sa réponse l’est tout autant lorsque l’on connaît l’attachement de l’écosystème crypto à la vie privée.

"L'euro numérique serait une monnaie de banque centrale. Cela signifie qu'il serait soutenu par une banque centrale, conçu pour répondre aux besoins des citoyens: il serait sans risque et respecterait la vie privée et la protection des données", peut-on lire.

Les réactions de l'écosystème à la suite de cette réunion ne se sont pas faites attendre. Le discours de Vladimir Dombrovskis n'est pas "rassurant", estime Alexandre Stachtchenko, cofondateur de Blockchain Partner et directeur blockchain et cryptos chez KPMG France.

"La pente glissante"

"Nous allons avoir une discussion sur un objet qui est présenté comme indispensable par la Commission européenne alors qu’il n’est même pas défini et que nous n’aurons aucune info de faisabilité avant 2025-26. Le fait que le seul pays à avoir retenu ce format de monnaie soit la Chine devrait nous alerter sur la pente glissante que nous prenons malheureusement, sous prétexte d’une urgence de numérisation de la société", estime ce dernier.

De son côté, Gilles Cadignan, le co-fondateur de Woleet, rappelle que le projet d'euro numérique s'était inscrit en réaction au projet de cryptomonnaie Libra de Meta (anciennement Facebook). "Mais Libra a été tué dans l'œuf assez facilement par cette même UE pour la simple raison qu’une initiative de monnaie privée émanant d’un acteur centralisé, aussi puissant soit-il, est facilement contrable par des Etats souverains", précise ce dernier.

"L’UE avait (à tort) beaucoup plus peur de Libra que de Bitcoin, mais aujourd’hui les banques centrales et la BCE en premier commencent à se rendre compte que Bitcoin est une sérieuse menace qu’il faut quand même considérer. L’euro de banque centrale se veut être l’alternative institutionnelle à Bitcoin et sa crypto-anarchie monétaire, mais comme la BCE ne peut pas vraiment l’exposer comme tel, les annonces peinent à expliquer le véritable enjeu ou même l’utilité de cette MNBC [monnaie numérique de banque centrale, NDLR] quand déjà la majorité des euros que nous manipulons sont sous forme numérique", indique-t-il.

Pour ce dernier, un problème réside aussi dans l'atteinte à la vie privée des utilisateurs. "Contrairement au cash, on pourra avec les monnaies digitales de banques centrales savoir qui utilise l’argent et pourquoi ! 1984 a eu un peu de retard mais nous y voilà pour de bon". De son côté, la BCE entend être claire sur la question de la vie privée des utilisateurs.

"L'Eurosystème n'a aucun intérêt à collecter des données de paiement auprès des utilisateurs individuels, à retracer le comportement de paiement ou à partager ces données avec des agences gouvernementales ou d'autres institutions publiques", peut-on lire dans les questions/réponses de la BCE.
Pauline Armandet