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Interview

Pour l'anarchiste crypto Julien Guitton, le bitcoin "redonne le pouvoir aux gens"

Julien Guitton, fondateur et dirigeant de Condensat Technologies. Il s'est pris en photo devant le numéro 3 de la rue Legouvé à Paris, où une peinture de l'artiste Ludo montre le logo du Bitcoin au-dessus des tombes des monnaies traditionnelles, comme le dollar et l'euro.

Julien Guitton, fondateur et dirigeant de Condensat Technologies. Il s'est pris en photo devant le numéro 3 de la rue Legouvé à Paris, où une peinture de l'artiste Ludo montre le logo du Bitcoin au-dessus des tombes des monnaies traditionnelles, comme le dollar et l'euro. - Julien Guitton

INTERVIEW Partisan du mouvement des cypherpunks, le Français Julien Guitton considère que seul le bitcoin permet de protéger sa vie privée. BFM Crypto l'a rencontré.

En 1988 paraît le "Manifeste crypto-anarchiste" de Timothy May, qui entend redonner aux individus le contrôle de leur vie privée grâce à la cryptographie. Quelques années après, en 1993, Eric Hugues publiait "Le manifeste d'un cypherpunk". Ces textes fondateurs, qui sont des références pour les individus se disant "crypto-anarchistes", ont donné un véritable sens au bitcoin, apparu en 2009.

BFM Crypto a rencontré l'un d'entre eux, le Français Julien Guitton. Aujourd'hui, il est un fervent défenseur de ce mouvement en France. Il a d'ailleurs réalisé une traduction en français du manifeste d'Eric Hughes, qu'il envoie aux personnes lui en faisant la demande, et dont voici un extrait.

"La vie privée est nécessaire pour une société ouverte dans l’ère électronique. La vie privée n’est pas un secret. Une affaire privée est ce qu’un individu ne veut pas que le monde entier sache, mais une affaire secrète est ce qu’un individu ne veut que quiconque sache. La vie privée est le pouvoir de se révéler sélectivement au monde", explique "Le manifeste d'un cypherpunk" d'Eric Hugues, selon la traduction de Julien Guitton.

Ce pro de l'informatique de 42 ans nous a expliqué l'importance du bitcoin pour protéger sa vie privée. Pour lui, le bitcoin n'est d'ailleurs pas une cryptomonnaie: c'est une monnaie.

BFM Crypto: Quand avez-vous découvert le bitcoin?

Julien Guitton: J'ai d'abord connu le mouvement des cypherpunks, puis découvert le bitcoin, autour de fin 2011. Ensuite, j'ai découvert la communauté française de Bitcoin via le slack de CryptoFR. A cette époque, je m’interrogeais beaucoup sur l’économie et la finance, notamment après la crise financière de 2008. C’est à ce moment-là que j’ai découvert l’univers de la finance, et notamment ce qu’est une monnaie au sens d’Aristote. A la base, je ne suis pas de l'univers financier, j’ai écrit mon premier programme informatique à 9 ans et j’ai travaillé dans l’informatique dès 19 ans. J’aime bien la machine, elle est parfois plus plaisante que l’être humain.

A cette époque, on ne parlait pas de la blockchain, dont le terme est arrivé plus tard en 2013. On parlait du minage, de la "preuve de travail" (proof of work), de la double dépense, de la lutte contre la censure. On parlait plus de la technique qui permettait d’avoir des systèmes où la tierce partie n’était pas nécessaire. Il y avait un aspect monétaire mais il n’y avait pas du tout d’écosystème blockchain comme il est développé aujourd’hui.

Comment avez-vous appréhendé le bitcoin?

Je ne suis pas un trader, je ne suis pas un bon joueur de poker (rires). Quand je me suis intéressé au bitcoin, j’ai relu ce que les cypherpunks ont écrit avec un angle sans doute un peu plus politique. C’était impossible de croire à ces manifestes avant l’apparition de bitcoin. Ce sont des manifestes qui disent depuis les années 80 que l’Etat n’a aucune marge de manœuvre dans le cyberespace. Pour moi, ces manifestes sont presque des documents législatifs. Code is law. Les cypherpunks nous ont expliqué les conditions de l’exercice de la vie privée au 21ème siècle. De mon côté, je reste plus politisé que les cypherpunks, et je me considère comme crypto anarchiste.

C’est-à-dire?

Dans un sens, l’Etat ne veut pas que l’on ait une vie privée, mais j'ai une vie privée grâce au bitcoin. Je n’ai pas envie que les gens sachent comment je gère ma vie financière. Alors certes, je ne vais pas tout payer en bitcoin, je vais aussi utiliser la monnaie fiat. Mais je vais préférer le cash à la carte bancaire, je vais utiliser ma carte bleue pour certains services, mais si je veux prendre le train, voyager ou autre, je préfère rester discret et le bitcoin est une solution. Quand j’entends une certaine députée européenne dire qu’avoir des clés privées, c’est une régression par rapport au système bancaire actuel, je suis abasourdi.

Bitcoin pour moi, c’est une monnaie, ce n’est pas une cryptomonnaie. Bitcoin reprend les principes de l’unité de compte, de la réserve de valeur et du moyen d'échange au même titre qu’Aristote définit la monnaie. Par ailleurs, il faut que le bitcoin soit pseudonyme (quand j’achète un magazine, le vendeur n’a pas besoin de savoir qui je suis), il faut que le bitcoin soit incensurable (quand je veux faire une transaction je ne peux pas en être empêché de la faire) et il faut que le bitcoin soit immuable (personne ne peut tricher avec, changer la valeur ou augmenter le nombre d’unité ou trafiquer le protocole). Le bitcoin, c’est la roue de secours de l’humanité pour éviter de se faire avoir par l’Etat.

En l’espace de quelques années, les autorités françaises comme européennes se sont penchées sur le bitcoin, cherchant à mieux l'encadrer. Qu’en pensez-vous?

Je pense que le bitcoin relève de la sphère privée et redonne le pouvoir aux gens. En réalité, la France tout comme l’Europe ne sont pas concernées par le bitcoin, car les cryptos ne sont pas dans leurs juridictions. En fait, toute volonté de légiférer sur le bitcoin reste inutile. MiCa veut faire en sorte que l’ancien monde reste en place (MiCa pour Market in crypto asset, règlementation européenne qui doit rentrer en vigueur en Europe en 2024, NDLR). MiCa veut contrôler un marché qui leur échappe et qu’il ne pourrait plus taxer, on veut que les gens ne puissent pas sortir de ça. Il va falloir que l’Europe rate tous les MiCa avant de comprendre que ça ne marchera jamais.

De même, l’Europe veut lancer sa propre monnaie numérique de banque centrale (MNBC) d’ici 2026, mais quel serait l’intérêt pour un citoyen de choisir entre le bitcoin qui permet d’être libre et une monnaie numérique qui peut s’utiliser que selon certaines conditions? MiCa va aboutir d’une souris, tout le monde l'ignorera et les Etats-Unis en premier. Tous les acteurs en Europe déménageront dans les zones où ce sera plus plus simple, ça fera comme internet. L’Europe est encore une fois en train de rater le virage d’une révolution, ici monétaire.

Pour autant, un Etat pourrait très bien décider d’interdire le bitcoin, non?

Oui, ces scénarios sont déjà envisagés par des cypherpunks dans la sécurité informatique. Ils pratiquent la pensée adverse qui ressemble faussement à de la paranoïa. Je pense que ces gens qui participent à la communauté auront toujours dix trains d’avance sur ce que peuvent faire les Etats. Le seul Etat qui pourrait interdire bitcoin, ce sont les Etats-Unis, à cause du statut de monnaie de réserve (du dollar, NDLR). Vouloir interdire le bitcoin, c’est comme vouloir interdire le dollar. Même la Chine ne le fait pas.

Si un Etat voulait interdire le bitcoin, il pourrait le faire et s’en féliciter, mais les gens pourront toujours être sur la blockchain, ils pourront même s’envoyer des transactions bitcoins par des pigeons, oui c’est possible. En fait, dès qu’un Etat choisira d’interdire le bitcoin, des cypherpunks inventeront une nouvelle ligne de code pour contourner cela. La vérité, c’est que grâce à bitcoin nous sommes libres.

Pauline Armandet