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On a retrouvé le premier journaliste français à avoir écrit sur l’ancêtre du bitcoin en 1995

Antoine Champagne écrit sur les monnaies virtuelles dès les années 1990. A la fois techno-enthousiaste et techno-critique, il porte un regard singulier sur l’écosystème actuel des cryptomonnaies.

Antoine Champagne est ce genre de journaliste qui sait avoir un coup d’avance. Aujourd’hui âgé de 54 ans, il est le co-fondateur du site Reflets.info, un journal d'investigation en ligne spécialisé dans le numérique et le hacking. En 1989, alors âgé de 22 ans, il fait ses premiers pas en tant que journaliste au service macroéconomie à L'Agefi avant de couvrir le secteur des banques et des assurances. Très rapidement, il décide d'enquêter sur les systèmes de paiement qui émergent avec la création d'internet, au début des années 1990.

"Quand internet est arrivé, j’ai commencé à voir des banques américaines se connecter au réseau. Je savais que les réseaux bancaires étaient sécurisés car la matière première des banques ce n’est pas l’argent, c’est la confiance. Du coup je me suis dit que s’ils ouvraient des portes sur des réseaux avec des technologies nouvelles, j’avais besoin de comprendre comment ces réseaux marchaient", confie Antoine Champagne à BFM Crypto.

Le jeune journaliste va suivre de près l'émergence de projets de monnaie électronique, des Cyber Bucks (sorte de dollars virtuels) de David Chaum le fondateur de DigiCash en 1989, en passant par le projet Kléline de BNP Paribas au SET (pour "Secure Electronic Transaction") lancé par Visa et Mastercard en 1996.

"On retrouve les mêmes angoisses des banques"

En 1995, alors âgé de 28 ans, il écrit un papier sur L'Agefi intitulé "l'argent électronique voit le jour aux Etats-Unis", en référence aux Cyber Bucks de David Chaum. Il avait rencontré ce dernier à cette occasion. Ce cryptographe de haut vol était considéré à l'époque comme une sorte de "professeur nimbus" et était très peu accessible. "C'était l’une des interviews les plus dingues de ma vie. David Chaum n’avait que très peu de temps pour me parler, donc l'interview avait été faite dans un taxi", se souvient Antoine. David Chaum était l'une premières personnes à avoir concrétisé l’idée de l’argent liquide électronique avec son projet de "Cyber Bucks", une sorte de dollar virtuel. Ce projet avait une spécificité: il était beaucoup moins traçable que les cryptomonnaies actuelles (grâce, à ce jour, à la technologie blockchain).

"Quelques banquiers avaient accepté de faire des tests avec DigiCash, mais d’autres étaient inquiets et pensaient que les banques centrales auraient du mal à mesurer la masse monétaire en circulation avec un projet d'une telle ampleur. DigiCash a donc disparu en 1998, de nombreuses raisons ayant été évoquées à l’époque: des problèmes de gestion en interne au barrage des banques centrales. Si l’on fait un parallèle avec les cryptomonnaies aujourd’hui, on retrouve les mêmes angoisses du milieu bancaire. Les banques centrales font des allers-retours assez irréguliers, aujourd’hui par exemple avec leurs projets de monnaie digitale", explique Antoine Champagne.

Si ce type de projet reste éloigné de l'écosystème actuel des cryptomonnaies, et notamment du bitcoin puisqu’il ne s’agit pas de la même technologie, ils rejoignent néanmoins le mouvement dit des Cypherpunks, apparus à la fin des années 80, qui voulaient protéger la vie privée des utilisateurs grâce à la cryptographie.

"A l'époque, les Cyber Bucks étaient considérés comme révolutionnaires"

"A l’époque, les Cyber Bucks étaient considérés comme révolutionnaires. En fait, on peut être le plus crypto enthousiaste du monde, on occulte le fait qu’il y a des gens très puissants qui ont droit de vie et de mort sur votre projet, ce sont les Etats, en disant que les monnaies ne sont plus convertibles. L’histoire de DigiCash illustre assez bien cette problématique-là. Je n’ai pas vu depuis 15 ans de grande révolution dans l’évolution d’internet et les cryptomonnaies", considère le journaliste.

Que ce soit le projet DigiCash comme les autres projets de monnaie électronique dans les années 1990, tous ont disparu quelques années après leur création. Malgré cela, ils ont probablement constitué une source d'inspiration pour les projets actuels de cryptomonnaies. C'est notamment après avoir couvert tous ces projets qu'Antoine Champagne se définit comme étant à la fois techno-enthousiaste et techno-critique, portant un regard singulier sur l’écosystème actuel des crypto-actifs.

"Soit un jour tout le monde accepte les cryptomonnaies comme moyen de paiement et elles commencent à avoir un vrai pouvoir libératoire, soit on continue comme aujourd'hui, soit les banquiers centraux vont stopper les projets. Il ne faut pas considérer que c’est totalement impossible que le bitcoin meurt au même titre que DigiCash. Si vous ne pouvez plus convertir vos cypto-monnaies en dollars ou en euros, vous allez simplement 'jouer à la marchande' avec vos amis qui en ont aussi", considère ce dernier.

Il découvre le bitcoin dès sa création

Le journaliste, qui lisait beaucoup d’articles sur les technologies naissantes liées à internet, découvre le bitcoin dès sa création en 2009. Mais il décide de ne pas en acheter. "Je n’ai jamais essayé de tirer des bénéfices de mes découvertes sur internet", admet-il. Aujourd’hui, il continue de couvrir ces nouvelles technologies au point de toujours "traîner" avec des hackers. Lui qui connaît les systèmes de paiement en ligne depuis leurs prémices porte un regard critique sur certaines dérives associées à ces technologies.

"Il y a beaucoup de choses qui m’inquiètent pour le développement des sociétés humaines. On ne peut pas prédire, lorsque l'on crée une technologie, ce qu'elle va générer comme conséquences dans 10 ou 20 ans. Je le vois par exemple avec ce qui se passe sur les réseaux sociaux: aujourd’hui, ils monétisent les données humaines. Par ailleurs, aujourd'hui, des humains codent des algorithmes (en insérant leurs propres biais dans le code) et à leur tour, les algorithmes, en préparant et en choisissant (à notre place) le contenu que nous lisons, réencodent l'humanité à son insu", souffle-t-il.

"On n'est pas à l'abri d'une blague comme ça"

Dès 2013, il publie un article annonçant la mort du bitcoin. Pour lui, les cryptomonnaies ne valent quelque chose que tant que les banques centrales acceptent la conversion de ces cryptomonnaies dans une monnaie fiat.

"Si demain une banque centrale décide que plus aucun acteur ne peut transformer du bitcoin en dollar ou en euro, on peut dire au revoir à ces projets. Les Etats peuvent très bien faire une loi en disant par exemple que plus aucune plateforme d’échanges ne peut permettre de convertir ses bitcoins dans une monnaie fiat. On n’est pas à l’abri d’une blague comme ça. Est-ce qu’ils pourraient tuer les cryptomonnaies en faisant cela? Je pense que nous sommes encore dans la période de balbutiement des cryptomonnaies. Au départ il y avait quelques personnes qui minaient du bitcoin, maintenant c’est tata simone qui va acheter du bitcoin sur une plateforme d’échange de cryptomonnaies. Tout cela peut encore largement évoluer, demain qui sait?", glisse-t-il.

"D’un projet Cypherpunk au départ, on est arrivé à quelque chose qui ressemble plus à une action"

S'il n'est pas opposé au principe même des cryptomonnaies, il regrette l'utilisation actuelle du bitcoin, qui reste loin du projet évoqué par Satoshi Nakamoto dans son white paper en 2008. Il a observé de près les deux derniers crypto-krachs vécus par l'écosystème.

"Dès qu’il y a un sujet qui buzze à mort, je regarde avec un pas de côté. Je ne pense pas que les cryptomonnaies sont une monnaie. Si demain vous arrivez avec votre portefeuille bitcoin dans une boulangerie en France, vous ne pourrez pas payer votre baguette de pain, c’est un fait. Les gens pensent que c’est une monnaie mais c’est un actif financier: d’un projet Cypherpunk au départ, on est arrivé à quelque chose qui ressemble plus à une action. Maintenant, les gens spéculent dessus. C’est comme si on spéculait sur un billet de 50 euros en disant 'le tien est plus beau, je l’achète 150 euros' mais personne ne se pose la question pour les cryptomonnaies. Il y a un truc qui ne colle pas, donc c’est normal que ça s’écroule si on spécule sur un produit. En fait, le projet d’une cybermonnaie décentralisée était une super idée au départ. Mais ce qui en a été fait, notamment par les spéculateurs, c'est tout à fait autre chose", estime ce dernier.
Pauline Armandet