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Procès de l'attentat du 14-Juillet à Nice: le témoignage du survivant d'une famille décimée

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Illustration - AFP

Christophe Lyon a perdu six membres de sa famille le soir du 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais.

Seul survivant d'une tragédie qui a emporté six membres de sa famille, Christophe Lyon a livré un témoignage poignant mardi, au procès de l'attentat de Nice en 2016 qui est entré dans sa troisième semaine d'auditions des parties civiles.

Son physique d'avant de rugby ne colle pas avec sa voix brisée par l'émotion. Le soir du 14 juillet 2016 Christophe Lyon, 50 ans, a perdu son épouse Véronique, son beau-fils Michaël, ses parents Germain et Gisèle et ses beaux-parents, François et Christiane quand le Tunisien Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a volontairement foncé sur la foule avec un camion de 19 tonnes, faisant 86 morts et plus de 450 blessés.

Ils déjeunaient en terrasse avant l'attentat

L'ancien adjudant-chef de l'Armée de Terre, polo bleu et cheveux ras, fait diffuser des photos des êtres aimés dans la salle d'audience. Avec délicatesse, il dresse un court portrait de chacun d'eux.

La dernière photo les montre tous en train de déjeuner sur une terrasse ensoleillée quelques heures avant la tragédie. Tous les visages sont souriants. "Il y a souvent des conflits entre les familles, et chez nous, ce n'était pas le cas", dit Christophe dans un murmure.

Après le joyeux déjeuner, la grande famille qui habite l'arrière pays niçois descend en ville pour le feu d'artifice. La suite a été répétée des dizaines de fois à l'audience. Un camion à vive allure qui surgit de nulle part, vise délibérément la foule.

"On marchait en direction du Palais de la Méditerranée quand j'ai entendu un bruit. Je me suis retourné, j'ai vu le camion et j'ai juste eu le temps de me décaler...", dit Christophe. Une pause et il ajoute d'une voix minuscule: "...et de tous les voir" se faire faucher par le camion blanc. Il s'arrête et pleure.

L'ancien militaire met ses parents, les deux seuls qui respirent encore, en position latérale de sécurité. "J'allais de corps en corps. Je n'arrêtais pas de dire que je les aimais", dit-il.

"L'horreur de l'homme"

Encore un silence et une grande respiration et sa voix s'affermit. "Après l'horreur de l'acte, on s'aperçoit de l'horreur de l'homme", dit-il d'une voix sèche. Il raconte les charognards qui prennent des photos plutôt que porter secours aux blessés. Et "des enculés" qui dépouillent les victimes. "Il y en avait un sur ma mère... L'horreur de l'humanité".

La mère de Christophe meurt avant l'arrivée des secours. Son père est "en urgence dépassée". Au CHU, "j'étais comme un zombie. J'errais", dit-il. Puis il a fallu rentrer. Dire aux proches la terrible nouvelle.

Au bout de trois jours, il se souvient que le chien de ses beaux-parents est resté dans la voiture garée au parking. Les vitres étaient restées entrouvertes et la voiture était en sous-sol. Le chien, devenu depuis "la mascotte" de Christophe, est vivant. Christophe s'autorise un premier sourire.

La suite c'est l'hébétude. Le silence, le retrait du monde. Pour reprendre pied, il choisit de se jeter dans le travail à corps perdu. "12 heures par jour y compris le samedi".

Récupération politique

Il découvre aussi la récupération politique et n'a pas de mots tendres pour ceux qui s'y essaient. Il évoque ainsi Christian Estrosi (attendu à la barre le 20 octobre) qui "me court après pour me présenter au président Macron et oublie qui je suis deux minutes plus tard", ou encore l'ex-président Nicolas Sarkozy "qui veut me rencontrer mais qui annule le rendez-vous quand je lui dis que je ne veux pas de journalistes".

Il raconte le choc quand il reçoit le rapport d'autopsie de son père en novembre 2019. Un nouveau choc quand il apprend, à l'audience au début du procès, que les organes de son père ont été prélevés.

"Personne ne nous a jamais rien dit. Quand on allait se recueillir, on pensait que tous les corps étaient entiers. Ce n'était pas le cas. On est retombé dans l'horreur", dit-il.

La culpabilité du survivant le ronge. "Si quelqu'un devait partir ce jour-là, c'était sûrement moi, du fait de mon passé militaire, de mes erreurs de jeunesse", veut-il se persuader.

Quand il regagne le banc des parties civiles, ses soeurs jumelles l'étreignent. La photo du dernier repas de famille s'efface de l'écran.

J.V. avec AFP