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LA VÉRIF - L'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne peut-elle être accélérée?

L'Ukraine ne cache pas son souhait de rejoindre l'Union européenne. Emmanuel Macron assure qu’une telle adhésion prend des années voire des décennies. Qu'en est-il exactement?

C'est une demande pressante de l'Ukraine: faire partie de la famille européenne. Un souhait exacerbé depuis le début de la guerre enclenchée par son voisin russe. Mais en début de semaine, Emmanuel Macron a douché les espoirs d'une intégration rapide de l'Ukraine à l’Union Européenne. A l'occasion de la journée de l'Europe, le chef de l'État français, en déplacement à Strasbourg, a évoqué ce désir d’adhésion de l'Ukraine à l'Union Européenne. Selon lui, ce processus pourrait prendre des années voire des décennies.

Les autorités ukrainiennes, elles, espèrent une intégration à l'UE la plus rapide possible. C'est ce que ne cesse de dire le président ukrainien. Volodymyr Zelensky a enclenché la vitesse maximale dès le début de l’offensive russe. Quatre jours après, il signait une demande d'adhésion à l'Union européenne. Ensuite, il a rempli les dossiers officiels très rapidement, pour obtenir le statut de candidat.

La Commission européenne compte donner son avis au mois de juin. Elle étudie à toute vitesse la candidature déposée par l’Ukraine. Mais ce ne sera que le début d’un long chemin vers une éventuelle intégration de l’Ukraine à l'Union Européenne.

• Oui, le processus d'entrée dans l'UE est long

Est-ce vrai que le processus d'intégration à l'Union prend du temps... des années voire des dizaines d’années comme le dit Emmanuel Macron?

D'après Christian Lequesne, professeur à Sciences Po et spécialiste de l'Europe, cela prendra "plusieurs années bien sûr. Plusieurs décennies? On ne le sait pas. Entrer dans l’Union Européenne, ce n’est pas quelque chose que l’on peut régler en 24 heures ou en 3 mois".

Examinons les délais qui s’écoulent entre le moment où un pays fait sa demande d’adhésion, et le moment où il rejoint effectivement l’Union Européenne. Pour la Croatie, dernier Etat à avoir intégré l'union, cela a pris 10 ans.

Avant elle, pour la Roumanie et la Bulgarie, le processus a pris 12 ans. C’est 10 ans pour la Hongrie et la Pologne.

"Jusqu’à présent, il a toujours fallu au minimum 3 ans entre le moment où on dit à un pays 'on accepte votre candidature' et le moment où il rentre. Certains pays sont candidats depuis plus de 10 ans et ne sont toujours pas encore rentrés”, juge Sylvain Kahn, professeur agrégé d'histoire à Sciences Po, spécialiste de l'Union Européenne.

C’est le cas du Monténégro, pays voisin de la Croatie. Il a fait sa demande d’adhésion en 2008, il y a 14 ans, mais le pays n’est toujours pas membre de l'Union Européenne.

Autre exemple: la Turquie a déposé sa candidature en 1987. Il y a 35 ans. Et le pays ne fait toujours pas partie de l'Union Européenne.

• Des critères précis pour entrer dans l'UE

Si ce processus prend autant de temps, c’est parce qu’il faut remplir des critères stricts. La vie du pays candidat doit être conforme aux valeurs et aux modes de vie politique et économique de l’Union Européenne. Cela suppose des négociations, complexes, sur de nombreux sujets.

Les institutions doivent être stables. Le pays doit respecter la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme, respecter et protéger les minorités. Il faut également une économie de marché viable c’est-à-dire une économie dans laquelle il n’y a pas de corruption. Et puis il faut accepter l'acquis communautaire c'est-à-dire adapter sa législation "sur le plan économique, social, environnemental sur des nouvelles normes", explique Christian Lequesne, professeur à Sciences Po.

"L'une des conditions pour entrer dans l'Union Européenne, c'est d'accepter cet 'acquis communautaire' c'est-à-dire tout ce qui existe déjà. Revoir toutes les lois pour les rendre compatible avec ce qui s’est déjà fait dans l'Union européenne [...] pour les pays d'Europe central, rentrés au début des années 2000, il s’agissait d’environ 300.000 pages qu’il a fallu changer”, ajoute le spécialiste de l'Europe.

Remplir ces critères, cela demande du temps aux pays candidats. Et d'autant plus pour un pays en guerre. "En général, on intègre des pays en paix, qui ont le temps de s’adapter, de faire des réformes… Un pays dans une économie de guerre est dans un état qui ne lui permet pas de faire tous ces efforts", estime Sylvain Kahn, professeur agrégé d’histoire à Sciences Po.

• Une procédure accélérée pour l'Ukraine? Une première

Dès lors, serait-il possible de mettre en place, au regard de la situation particulière de l’Ukraine, une procédure accélérée d'intégration à l'UE, comme le souhaiterait le président ukrainien?

Tous les experts que nous avons interviewés nous répondent que 'non'.

"Pour l’instant, la procédure accélérée n'existe pas. Si l'on en croit les prises de positions des 27, il est très peu probable qu’on en invente une pour l’Ukraine", dit Sylvain Kahn.

Emmanuel Macron a fait une proposition cette semaine. En attendant que l'Ukraine puisse intégrer l'Union Européenne, le président suggère qu'elle fasse partie d'une communauté politique européenne. Ce serait une sorte de "salle d'attente", avant d'intégrer l'Union européenne, une première entrée politique dans la famille européenne.

C’est une "manière de dire poliment, avec empathie aux Ukrainiens: votre économie est encore très corrompue, avec beaucoup d'oligarques, un niveau de vie qui représente 30% du niveau de vie moyen dans l’UE… Bref, avant que vous ne puissiez être membre de l'Union Européenne, il y a énormément d’efforts à faire. (...) C’est pour cela qu’Emmanuel Macron imagine une proposition alternative", croit le spécialiste de l’Union européenne Sylvain Kahn.

• Une place "réservée" à l'Ukraine? Aucune valeur légale

Mais cette proposition d’intégrer une sorte d’antichambre de l’Union Européenne ne satisfait pas pleinement les Ukrainiens... Le président Zelensky en demande plus.

"Nous ne pouvons pas rester dans cette incertitude constante. C’est comme une table où toute la famille est invitée mais on ne t’a pas mis de chaise", a déclaré dans un langage imagé le président ukrainien cette semaine.

Dans la foulée, le ministre des affaires étrangères ukrainien a demandé qu’une place soit réservée à l’Ukraine au sein de l’Union.

"On entend très souvent que l'Ukraine appartient à la famille européenne, et à présent il est très important pour nous de réserver cette place à l'Ukraine même si les négociations doivent durer longtemps", a-t-il dit à la télévision allemande.

Réserver une place à l’Ukraine au sein de l’Union n’a pas de valeur légale ou juridique. C’est une déclaration politique. Mais qui a son importance pour les ukrainiens. Il s’agirait d’un message fort envoyé à la Russie.

"Si la Russie comprend bien que l'Europe ne mène pas de politique ambiguë et mystérieuse quant aux perspectives de l'Ukraine de devenir membre de l'Union européenne, elle rejettera les efforts visant à rendre l'Ukraine (à la Russie). Car l'une des raisons pour lesquelles la guerre a commencé, c'est la conviction de Poutine que l'Europe n'a pas besoin de l'Ukraine”, considère le ministre ukrainien des Affaires étrangères.

Céline Pitelet avec Sofiane Aklouf