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Volkswagen ne s'appellera pas Voltswagen: canular ou vrai coup de com'?

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Voltswagen - VW

Après quelques jours de flottement, Volkswagen a finalement confirmé que son changement de nom, annoncé aux Etats-Unis pour refléter son virage dans l'électrique, était un poisson d'avril. Mais que cache ce qui reste avant tout une opération de communication?

Volkswagen ("la voiture du peuple") change de nom pour Voltswagen ("la voiture des volts") afin de refléter son virage décisif vers l'électrique. Crédible pour les uns, impensable pour les autres, cette annonce surprenante, sur le fond comme sur la forme, s'est révélée finalement être un canular, un porte-parole de Volkswagen aux Etats-Unis confirmant qu'il s'agissait bien d'un poisson d'avril.

Deux jours de doute

La fin d'un doute d'environ deux jours: lundi 29 mars en Europe, on apprenait que le communiqué de la filiale américaine de Volkswagen venait de "fuiter". Daté du 29 avril 2021, il présentait le changement de nom pour Voltswagen de manière très sérieuse. Il est retiré du site officiel de la marque pour les médias aux Etats-Unis, laissant se propager la rumeur, avant de réapparaître le lendemain, cette fois-ci bien daté du 30 mars 2021.

En coulisses, c'est l'incompréhension. La communication en Europe ne semble pas être vraiment au courant de l'opération du changement de nom qui, si elle reste cantonnée aux Etats-Unis, n'en demeurait pas moins importante pour un groupe présent au niveau mondial. Surtout en pleine campagne de lancement de l'ID.4, le SUV électrique de nouvelle génération proposé par Volkswagen. Si le communiqué a d'ailleurs une nouvelle fois été dépublié du site américain, il ne restait plus, ce mercredi 31 mars, que la page de présentation du véhicule pour porter encore la marque de cette plaisanterie qui cachait bien son jeu.

Présenté finalement comme un poisson d'avril, le changement de nom était encore présent sur la page de présentation de l'ID.4 ce mercredi 31 mars.
Présenté finalement comme un poisson d'avril, le changement de nom était encore présent sur la page de présentation de l'ID.4 ce mercredi 31 mars. © Volkswagen USA

Plusieurs indices laissaient toutefois penser qu'il s'agissait bien d'une "blague". Cette communication "ratée" semblait incohérente avec l'enjeu que représente un changement de nom pour une marque comme Volkswagen, bien que le communiqué très sérieux laissait tout de même planer le doute et que les grands groupes ne sont pas à l'abri d'un tel bug.

Quelques comptes Twitter avaient changé de nom (dont le compte @VW qui compte plus de 600.000 abonnés), confortant la rumeur. Sans parler du fait de faire un poisson quelques jours avant la date du 1er avril, et ne pas attendre cette date pour le démentir.

Posté mardi 30 mars, le post ci-dessous fait référence à l'année de naissance de Volkswagen of America, sa filiale créée en 1955 et qui fête cette année ses 66 ans: "un âge inhabituel pour changer de nom mais nous avons toujours été jeunes dans notre coeur", ironise le message.

Difficile aussi de croire à ce changement de nom, qui devait concerner tous les modèles, alors que l'ID.4 est la seule voiture 100% électrique au catalogue américain actuellement (Arteon, Atlas, Atlas Cross Sport, Golf, Golf GTI, ID.4, Jetta, Jetta GLI, Passat et Tiguan). On aurait pu plutôt penser à une sous-marque dédiée à l'électrique, à l'instar de Hyundai avec Ioniq ou de Polestar chez Volvo.

Parler de l'électrique, clé de la survie de Volkswagen

Comme toujours, les poissons d'avril des grandes entreprises visent bien sûr à communiquer, ou "faire le buzz" comme on dit plutôt de nos jours.

Que la communication autour de l'ID.4 (le nouveau SUV électrique de Volkswagen) soit centrée autour de ce nom, cela reste une bonne idée en termes de message publicitaire, souligne Frédéric Fréry, professeur de stratégie à l’ESCP. Cela reste cohérent avec l'historique de la communication de Volkswagen, qui repose en partie sur la dérision et le second degré."

Difficile de juger de l'efficacité de cette stratégie auprès du grand public mais d'un strict point de vue médiatique, ce vrai-faux changement de nom a donné lieu à de nombreuses reprises dans les médias, aux Etats-Unis mais aussi en Europe.

En Allemagne, le quotidien économique Der Spiegel se demandait ainsi, entre ironie et inquiétude, "Volkswagen deviendra-t-il vraiment Voltswagen?", actant notamment la mort programmée du moteur thermique, "fierté des ingénieurs allemands".

Même s'il devinait que l'opération cachait plutôt une expérience marketing, l'article trouvait ainsi l'idée plutôt bonne, sachant que l'unité de tension électrique, le Volt, fait référence au scientifique, pionnier de la pile électrique, Alessandro Volta (1745-1827), comme un écho à un certain Tesla qui a emprunté son nom à Nikola Tesla (1856-1943). D'autres changements de nom étaient aussi suggérés, comme BBW, pour "Bayerische Batterie Werke", avec un B à la place du M de Motoren, moteurs en allemand, de BMW.

Mais derrière cette communication débridée, Frédéric Fréry rappelle que Volkswagen traverse actuelement une période assez délicate de son histoire:

Il ne faut pas oublier que c'est l'entreprise la plus endettée au monde, 192 milliards de dollars en 2019, soit davantage que la dette publique d'un Etat comme l'Afrique du Sud! C'est la conséquence notamment des amendes liées au scandale du Dieselgate et le plan d'investissement de 46 milliards d'euros dans l'électrique."

Pour lui, cet endettement record est en partie lié au statut d'entreprise "too big to fail" que revêt Volkswagen en Allemagne: en cas de pépin, l'Etat allemand viendra sauver l'entreprise "trop importante pour faire faillite". Mais c'est la structure des résultats du groupe Volkswagen qui semble aussi inquiétante pour Frédéric Fréry:

Malgré un bénéfice net de 8,8 milliards d'euros en 2020, la structure de ces résultats reste fragile. La marque Volkswagen représente aujourd'hui 31% des volumes des ventes mais seulement 4% du résultat d’exploitation. A l'inverse, Porsche c'est 3% des volumes mais 38% du résultat d’exploitation. Les autres principaux contributeurs au bénéfice du groupe l'an dernier étaient Audi et les services financiers. Aujourd'hui, Volkswagen c'est en quelques sortes un colosse aux pieds d'argile, qui vit grâce à Porsche, à Audi et aux crédits!""

Ironie de la situation, c'est le Dieselgate de Volkswagen aux Etats-Unis, qui aura finalement précipité la mort annoncée du moteur thermique, et cette communication étonnante autour d'un changement de nom.

"Volkswagen est aujourd'hui obligé de se racheter une virginité, en particulier aux Etats-Unis ou le scandale des moteurs truqués a éclaté en 2015. C'est grâce, ou à cause d'eux, selon ce point de vue, que l'industrie automobile est en train de se convertir à l'électrique avec le durcissement des réglementations antipollution. Volkswagen a d'une certaine manière une responsabilité vis-à-vis de l'ensemble du secteur: ils ont cassé le jouet de l'industrie automobile thermique et rentable."

"Faire le buzz façon Tesla", à ses riques et périls

Au-delà du virage dans l'électrique, Volkswagen chercherait aussi à imiter Tesla dans une communication très moderne, capable de séduire les actuels et futurs convertis à l'électrique.

C'est ce qu'on peut retenir de cette vrai-fausse annonce de changement de nom, initiative a priori des équipes de Volkswagen aux Etats-Unis, sans réel relais de communication (plus) traditionnel.

Le patron du groupe Volkswagen, Herbert Diess, s'est récemment rapproché de celui de Tesla, Elon Musk. Or, ce dernier a pour habitude de mener directement la communication de l'entreprise, depuis son compte Twitter notamment, où il publie de manière très "libre".

Herbert Diess le président du directoire de Volkswagen AG et Elon Musk en septembre en Allemagne. Elon Musk avait essayé l'ID.3.
Herbert Diess le président du directoire de Volkswagen AG et Elon Musk en septembre en Allemagne. Elon Musk avait essayé l'ID.3. © Herbert Diess

Si ce n'est pas le compte Twitter personnel d'Herbert Diess qui a annoncé le changement de nom, Volkswagen pourrait toutefois regretter son "expérience marketing".

Un article de Fortune explique en effet que le cours de Bourse de Volkswagen a grimpé de 5% ce mardi, dans ce contexte de changement de nom, exposant l'entreprise à une sanction de la SEC, le gendarme boursier américain, puisque l'information qui a pu jouer sur cette prise de valeur se révèle fausse.

De quoi établir un lien avec le fameux tweet d'Elon Musk posté en 2018, dans lequel le patron de Tesla évoquait un retrait de la Bourse de l'entreprise et que les fonds étaient sécurisés pour cette opération, ce qui s'est révélé faux, donnant lieu à une amende de 20 millions de dollars.

Des médias vexés

Des agences de presse comme l'AFP ont également estimé avoir été trompés par des porte-paroles de Volkswagen, qui leur avaient confirmé l'information du changement de nom, suite à la "fuite" du communiqué.

"Nous comprenons quand un porte-parole n'est pas en mesure de confirmer ou de commenter une information. Mais nous n'avons jamais pensé qu'ils puissent faire de fausses déclarations", a déploré l'AFP dans une lettre adressée mercredi au groupe Volkswagen.

"Nous pensons fermement que des journalistes et médias rigoureux ne devraient pas être utilisés par des entreprises comme Volkswagen à des fins de marketing et de publicité. Pour nous, il s'agit d'un abus de confiance très grave qui ne doit pas se reproduire", souligne ce courrier.

Aux Etats-Unis, où a éclaté le Dieselgate, l'affaire tourne encore plus au vinaigre.

"Ce n'était pas une blague. C'était une tromperie. Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, nous avons un problème de désinformation dans ce pays. Maintenant, vous en faites partie (...)", a ainsi tweeté un journaliste économique du journal USA Today Nathan Bomey.

Le titre d'une tribune publiée par le magazine Automotive News résume bien la situation: "VW a menti pour vendre des diesels, maintenant ils mentent pour vendre des voitures électriques".

https://twitter.com/Ju_Bonnet Julien Bonnet Journaliste BFM Auto