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La pénurie de vélos va se poursuivre jusqu'en 2021

Après les grèves, la pandémie, les aides à l'achat, aux réparations et l'explosion des pistes cyclables, un grand nombre d'urbains sont devenus cyclistes. Mais les fabricants peinent toujours à suivre la cadence.

Faire du vélo c'est bien, encore faut-il s'en procurer un ou faire réparer celui que l'on possède, et c'est aujourd'hui tout le problème. Dans les villes, la tendance du deux-roues a démarré il y a déjà quelques années, mais la pandémie a fait exploser la demande à tel point que l'offre ne peut plus suivre. Et la situation n'est pas prête de s'améliorer malgré les tentatives des producteurs de deux-roues de sécuriser leurs approvisionnements en pièces, augmenter leur production, voire en rapatrier une partie en Europe.

Le déconfinement a fait exploser le marché

Toutes les marques sont touchées, même les plus récentes ou les plus hauts de gamme, comme Angell Bike, VanMoof ou Cowboy. Moustache a même du créer une troisième ligne de production dans son usine des Vosges.

Cet engouement avait en fait démarré fin 2019 avec la grève des transports. Depuis, il n'a cessé de s'accélérer, notamment sous l'impulsion du gouvernement.

"La prime de 50 euros [Coup de pouce vélo, NDLR], le beau temps et la 'crainte' de prendre les transports en commun expliquent également cela. Ajoutons aussi que les aménagements de pistes cyclables temporaires ont donné envie à beaucoup de Français d'enfourcher leur vélo pour aller travailler ou faire des courses", explique une porte-parole de Decathlon.

Habituellement, le marché du vélo progresse d'environ 10% par an. C'était le cas jusqu'en 2019 où il a atteint un chiffre de 2,3 milliards d'euros. En 2020, la progression est galopante. Entre mai et juin, les ventes ont grimpé de 117% selon l'Union Sport & cycle.

"Ce niveau de croissance ne faiblit pas", signale à BFM Business Jérôme Valentin, président de l’Union Sport&Cycle (fédération des entreprises de la filière) et également PDG de Cycleurope, l'un des grands fabricants français de vélos qui produit à Romilly-sur-Seine, dans l'Aube, des marques emblématiques comme Peugeot, Bianchi ou Gitane.

Jusqu'à onze mois d'attente sur certains modèles

Même constat chez la Manufacture du Cycle, l'autre grande usine française de vélos. Cette usine basée à Machecoul-Saint-Même (Loire-Atlantique) produit chaque année près d'un demi-million de vélos.

"Les clients vident nos stocks, a déclaré à Ouest France son PDG David Jamin. Les fournisseurs sont sous forte pression mondiale. S’il n’y avait aucune limite de pièces, on vendrait plus de vélos".

Le problème repose principalement sur l’approvisionnement des pièces qui composent un cycle. Elles sont nécessaires pour les vélos neufs, mais aussi pour réparer ceux des particuliers.

Avec l'opération Coup de pouce vélos, 700.000 vélos sont sortis des caves pour être remis en état", rappelle Jérôme Valentin.

Or, il faut un délai d’environ six mois entre la commande d'un vélo et sa livraison. La situation est d'autant plus tendue du fait des revendeurs. Par crainte de manquer, de ne pas pouvoir satisfaire la demande, certains ont passé des commandes trois fois supérieures à la normale. Y'aura-t-il alors assez de vélos pour Noël?

Pour les fêtes de fin d'année, les problèmes seront résolus. Les commandes passées en avril arrivent en ce moment, signale le président l’Union Sport&Cycle en alertant sur la situation en 2021. Mais les délais de livraison ont encore évolué. Il faut parfois jusqu'à onze mois pour être livrés".

Ainsi, un client qui commande un vélo aujourd'hui pourrait devoir attendre septembre 2021 avant de l'enfourcher.

Rapatrier l'industrie du vélo en Europe

Les professionnels du cycle cherchent depuis des années à assouplir les flux en installant en Europe des sites de fabrications de cadres. Decathlon produit ainsi ses vélos en France, mais aussi au Portugal et désormais en Roumanie avec des cadres produits eux en Europe.

98% des vélos assemblés en Europe sont vendus en Europe, ce qui nous permet d'approvisionner les stocks dans de bons délais, explique une porte-parole de l'enseigne à BFM Business. Toutefois, compte tenu de la situation actuelle et de la très forte demande, nous sommes en flux tendu et certains produits peuvent temporairement être en rupture de stock. Il peut y avoir quelques jours d'attente selon les modèles".

Decathlon s'appuie aussi sur les ventes en ligne.

Certains modèles peuvent manquer en magasin, mais sur le site nous proposons la majeure partie de notre offre cycle dans les meilleurs délais actuels en mettant à jour la disponibilité des produits toutes les deux heures".

Et pour tenir la cadence, le groupe a dû "accentuer [ses] capacités de production, d'assemblage et de logistique sur les modèles les plus plébiscités".

Cette volonté de produire en Europe est le fruit d'un groupe de réflexion de la filière qui a même fait pression à Bruxelles pour permettre aux Européens de résister aux fournisseurs asiatiques. Comme le rappelle Le Monde, la Commission européenne a instauré des taxes de 30,6% puis de 48,5% sur les vélos importés de Chine, puis d'Indonésie, Malaisie, Sri Lanka, Cambodge, Pakistan, Philippines et Tunisie. Bruxelles a aussi instauré des droits de douane sur les vélos à assistance électrique (VAE).

C'est ainsi que le Portugal est devenu l'épicentre européen de cette industrie. Sous l'impulsion de Decathlon qui vend environ 4 millions de vélos en Europe, le groupe portugais RTE, ancien constructeur de motos, est devenu le premier assembleur européen de vélos, allant jusqu'à créer sa propre marque.

Avec le site de Timisoara, la Roumanie est en passe de devenir la seconde "bike valley européenne". Pour l'Union Sport&Cycle, cette stratégie européenne est un pari gagnant-gagnant pour l'économie, l'emploi et au final pour les consommateurs.

Si les cadres reviennent, les fabricants de composants auront tout intérêt à s'installer à proximité, comme cela se fait dans l'automobile entre les constructeurs et les sous-traitants", note Jérôme Valentin.

Une seconde vague d'acquisition de vélos?

Cette forte croissance peut-elle durer? Pour l'instant oui, mais Jérôme Valentin reste prudent. "En 2021, les ventes seront meilleures qu'en 2020, c'est certain, mais combien de temps cela va durer? Il faut s'attendre à une normalisation du secteur qui va de fait ralentir la croissance", pointe le patron de Cycleurope.

Il rappelle qu'une crise économique et des licenciements pourraient avoir des conséquences sur le secteur.

Les personnes touchées auront moins de pouvoir d'achat et moins besoin de se déplacer, le vélo en fera les frais, mais impossible de mesurer cet impact", signale Jérôme Valentin.

Sa crainte est que ce phénomène arrive plus vite que prévu et que les stocks ne partent pas aussi vite que les revendeurs ne l'espéraient.

Mais il restera un levier de poids, la lutte contre le vol. A Paris, la préfecture de police a enregistré 6310 plaintes pour vol de vélo en 2019. Entre janvier et août 2020, les plaintes ont progressé de 52%. "La peur du vol et le manque d'espaces sécurisés, dans les résidences ou l'espace public, restent un vrai frein à l'achat et à la pratique du vélo", explique au Parisien Jean-Sébastien Catier, président de l'association Paris en Selle.

Selon un sondage paru en septembre, cette crainte limite encore l'usage du vélo. 77% des personnes non équipées indiquent ne pas avoir l'intention de s'en offrir un. Parmi elles, plus d'une sur cinq cite l'absence de stationnement et 14% la crainte du vol. Ainsi des espaces sécurisés et des dispositifs de dissuasion comme le bicycode -il s'agit d'un marquage permettant d'identifier le propriétaire- pourraient créer une seconde vague d'acquisition de vélos. De quoi rentabiliser les investissements industriels actuellement réalisés par les fabricants.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco