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"Je dois rester deux semaines, après, je ne sais pas": des migrants, transférés en Alsace depuis Paris, dans le flou

Evacuation le 17 novembre 2022 d'un campement de migrants installé sous le métro aérien, dans le nord de Paris, qui s'est depuis reconstitué

Evacuation le 17 novembre 2022 d'un campement de migrants installé sous le métro aérien, dans le nord de Paris, qui s'est depuis reconstitué - Christophe ARCHAMBAULT © 2019 AFP

Geispolsheim fait partie des 10 "sas" ouverts en région depuis le printemps 2023 pour désengorger l'Ile-de-France et héberger les nombreux sans-abris qui s'y trouvent. Au total, "3.800 personnes" ont été accueillies dans ces structures, a indiqué fin mars Guillaume Kasbarian, ministre chargé du Logement.

Transférés en Alsace depuis Paris, des migrants sont dans l'expectative, une situation dénoncée par des associations qui redoutent un "nettoyage" de la capitale avant les Jeux olympiques.

Un ancien hôtel au fond d'une zone excentrée de Geispolsheim (Bas-Rhin), petite commune proche de Strasbourg. D'un côté, une rocade bruyante; de l'autre, quelques bâtiments et le calme des rives de l'Ill, un affluent du Rhin.

Geispolsheim, c'est l'un des 10 "sas" ouverts en région depuis le printemps 2023 pour désengorger l'Ile-de-France et héberger les nombreux sans-abris qui s'y trouvent. Au total, "3.800 personnes" ont été accueillies dans ces structures, a indiqué fin mars Guillaume Kasbarian, ministre chargé du Logement.

Le "sas" alsacien est géré par l'association Coallia, qui n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP. Également interrogées, la préfecture du Bas-Rhin et la mairie de Geispolsheim n'ont pas donné suite.

"Marchandise"

Silhouette longiligne, lunettes, Bekir, Soudanais de 24 ans, a des airs d'étudiant. Devant la grille qui ceint le foyer, il explique en arabe son éprouvant périple qui l'a mené jusqu'en Alsace, après avoir quitté "fin 2020" son pays en compagnie d'un cousin.

La Turquie, d'abord, où ils font plusieurs séjours en prison avant de rallier, à leur huitième tentative, la Grèce. Ils y passeront "un an" dans un camp. Bekir ira ensuite au Portugal, qui lui délivrera un titre de séjour "de trois ans" et où il travaillera quelques mois, avant de rejoindre en avril 2023 son cousin qui a préféré aller en France.

Bekir obtient ensuite un logement Coallia à Rennes, puis à Vannes, mais finit par revenir chez son cousin en région parisienne. Le 20 mars, à la préfecture, on lui dit de revenir le lendemain : un car le conduira à Melun où il sera hébergé jusqu'au 26 mars, date de son départ dans un autre bus, cette fois pour Geispolsheim. Une trentaine de personnes étaient avec lui, estime-t-il.

"Je dois rester là deux semaines", explique Bekir. "C'est propre, la nourriture est bonne". La suite? "On m'a dit 'on va vous trouver un logement'. Mais je ne sais pas encore où : à Strasbourg? Ailleurs ?"

Ce système est "très peu transparent", se lamente Nicolas Fuchs, coordinateur pour l'Alsace de Médecins du Monde. "Les personnes restent quelques semaines sans savoir où elles vont aller ensuite", "on perd la trace" de certains, d'autres finissent par revenir à Paris.

Il redoute aussi que certains migrants soient orientés vers le centre d'aide pour le retour de Bouxwiller (Bas-Rhin). Déléguée générale de la Cimade dans le Grand Est, Françoise Poujoulet s'inquiète "que les personnes soient transportées d'un endroit à un autre comme de la vulgaire marchandise".

"Zéro info"

L'absence de communication sur ces "sas" et le manque d'hébergements pérennes sont dénoncés par des élus et des associations, qui redoutent un "nettoyage social" avant les JO de Paris (26 juillet-11 août).

Le maire (ex-LR) d'Orléans, Serge Grouard, a dénoncé fin mars l'arrivée "en catimini" de migrants dans sa ville pour faire "place nette" avant les Jeux, ce qu'a récusé Guillaume Kasbarian: ces transferts n'ont "aucun lien" avec les JO.

"On (a) 'zéro info' et pas de moyens supplémentaires (...) Ca déplace le problème plus que ça ne le règle", s'agace Floriane Varieras, adjointe à la maire écologiste de Strasbourg, chargée de la ville inclusive.

Arrivé en France via la Tunisie et l'Italie, Yves, Ivoirien de 47 ans, souffre d'une maladie chronique. "A la rue" après avoir été "mis dehors" par la personne qui l'hébergeait à Paris, il a été dirigé via le 115 vers des associations, dont Coallia.

Le 26 mars, lui aussi a pris le car pour l'Alsace : "on nous a expliqué (qu'à Paris), c'est saturé" et qu'on allait "nous envoyer à Strasbourg", explique le quadragénaire, qui a déposé sa première demande d'asile après son arrivée à Geispolsheim.

Lui non plus ne sait pas où il ira après Geispolsheim, mais il souhaite avant tout se faire soigner. Bekir, lui, veut apprendre le français, finir ses études d'informatique "et trouver un logement".

C.Bo. avec AFP