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"Un discours qui instrumentalise les femmes": Buzyn désapprouve le plan contre l'infertilité de Macron

L'ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, à Paris le 25 septembre 2023. Photo d'illustration

L'ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, à Paris le 25 septembre 2023. Photo d'illustration - JOEL SAGET / AFP

L'ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn interviewée par Le Figaro, affirme notamment qu'il ne faut pas "répondre à la baisse démographique par une médicalisation à outrance".

Emmanuel Macron est revenu le 8 mai dernier dans une interview à Elle sur son "grand plan" contre le "fléau" de "l'infertilité" annoncé en janvier dernier. Le chef de l'État a réaffirmé sa volonté de "générer une natalité dynamique" en promettant d'améliorer l'accès à la procréation médicalement assistée (PMA) et en instaurant un "chek-up fertilité" remboursé par l'Assurance maladie autour de 20 ans.

Des propos avec lesquels l'ancienne ministre de la Santé et des Solidarités Agnès Buzyn a pris ses distances ce dimanche dans les colonnes du Figaro.

"Il convient de s’attaquer avant tout aux facteurs de risque, et à leur prévention, plutôt que de vouloir médicaliser la question de la démographie", a-t-elle déclaré. "Il n'y a pas une épidémie d’infertilité mais des causes exogènes".

Elle cite notamment les grossesses plus tardives des femmes pour des questions d'études, de difficultés locatives, de carrière professionnelle ou encore la consommation dans la population de tabac, d'alcool et la complexité des "rapports hommes/femmes".

Une évaluation bénéfique-risque

Cette ancienne présidente de la Haute Autorité de santé se dit "étonnée" par l'idée d'un "chek-up fertilité" sans qu'aucune "évaluation" de cette mesure n'ait été faite au préalable.

"On ne décide pas de mesures de santé publique sans qu’elles ne soient validées scientifiquement, en fonction de critères précis internationalement reconnus", souligne-t-elle.

Avant d'ajouter: "Il faut évaluer les bénéfices attendus et les risques encourus notamment psychologiques et éthiques. Il faut aussi tenir compte de leur efficience, c’est-à-dire du coût pour la Sécurité sociale en fonction, par exemple, du nombre de vies sauvées".

Soulignant que la "réserve ovarienne varie en fonction de facteurs exogènes (régime alimentaire, tabac, surpoids, etc.)" et que "l'infertilité d’un couple relève parfois d’autres facteurs, notamment psychologiques", elle affirme que seules les "circonstances" d'une telle évaluation doivent médicalement être interrogées.

"Certains voient dans la congélation d’ovocytes un marché lucratif"

Pour réduire les délais d'attente à la procréation médicalement assistée (PMA), le président de la République a fait part de son intention "d'ouvrir aux centres privés l'autoconservation ovocytaire", "jusqu'ici réservée aux établissements hospitaliers".

Agnès Buzyn tire alors la sonnette d'alarme: "Il faut faire attention à ne pas détricoter les barrières que nous avions instaurées dans la loi de bioéthique".

Elle explique qu'en 2021, "le Parlement a choisi de limiter cette activité au secteur public car l’éthique à la Française repose sur des principes fondamentaux dont la non-marchandisation du corps humain".

Étant donné que selon l'ancienne ministre nous "assistons actuellement à une financiarisation de la santé, très difficile à réguler", il faut "craindre des dérives à terme", d'autant plus que "certains voient dans la congélation d’ovocytes un marché lucratif".

"Le seul moyen de régulation est de réserver tout ce qui concerne les fragments de corps humain - greffes d’organes, ovocytes ou embryons - à un secteur qui n’en tire aucun bénéfice marchand", affirme-t-elle précisant que "pour faire face à la demande" de PMA, il vaudrait mieux "mettre de l'argent dans le secteur public".

"C’est un discours qui instrumentalise les femmes"

La professeure d’hématologie considère que contrairement à ce que laisse entendre Emmanuel Macron, "ces mesures" ne sont pas "féministes".

"C’est un discours qui instrumentalise les femmes, en leur faisant payer d’une certaine façon leur autonomie retrouvée, et en les essentialisant", estime-t-elle.

La "généralisation" de la congélation d’ovocytes - devenue un "droit" dans la loi de bioéthique de 2021 et non "un devoir" - fait "peser sur les femmes une charge mentale supplémentaire" et "ne rend pas compte des combats féministes d’égalité femme/homme qui doivent porter avant tout sur la place des femmes dans la société".

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"La réponse à la baisse démographique ne peut pas être une médicalisation à outrance de la fécondité des couples", assure l'ancienne présidente de l’Institut national du cancer.

"Ces propos ne sont pas féministes"

À un mois des élections européennes "si l’objectif est de rallier les voix féministes", Agnès Buzyn le répète, "ces propos ne sont pas féministes". "Au lieu d’interroger la place de la femme dans la société, ils la ramènent à son rôle de procréation", précise-t-elle s'inquiétant de "l'utilisation politique de tout ce qui touche à la procréation" pouvant amener "à des dérives".

Elle ajoute: "Si la démographie doit être une préoccupation collective et donc politique par essence, la fonction de procréation doit rester une préoccupation individuelle, de l’ordre de l’intime".

Dans son interview à Elle, le chef de l'État a aussi précisé les contours du futur congé de naissance qui viendrait remplacer le congé parental. Ce nouveau congé serait de "trois mois pour les mères, trois mois pour les pères, cumulables durant la première année de l'enfant et indemnisé à hauteur de 50% du salaire jusqu'au plafond de la Sécurité sociale", soit 1.900 euros.

Cette mesure devrait entrer en vigueur en août 2025, et une concertation va être lancée par le gouvernement dès ce mercredi 15 mai à ce sujet entre les syndicats, le patronat et les associations.

Juliette Brossault