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L'attaque à Annecy va-t-elle peser dans les débats autour de la future loi immigration?

Éric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau le 5 avril 2023

Éric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau le 5 avril 2023 - Thomas SAMSON / AFP

Après l'attaque au couteau, la droite est bien décidée à reprendre la main sur le texte immigration, sur lequel elle discute avec Gérald Darmanin depuis plusieurs semaines.

Une tragédie qui téléscope des discussions déjà très mal engagées. Si Gérald Darmanin tente de trouver un accord avec la droite pour faire aboutir le projet de loi immigration, l'attaque au couteau d'Annecy pourrait changer la donne. En effet, le profil du suspect a rapidement été commenté par la droite et l'extrême droite: cet homme de nationalité syrienne, qui avait demandé l'asile en France, s'était vu récemment opposer un refus en raison de son statut de réfugié déjà octroyé en Suède.

De quoi bouleverser les négociations entre la macronie et Les Républicains et arrêter net le chemin de ce futur projet de loi?

"On est dans le temps de l'épreuve. Mais ce qui est sûr, c'est que ce drame jette une lumière douloureuse sur le traitement de l'asile. On ne peut pas faire comme si rien ne s'était passé", assume la députée LR Annie Genevard auprès de BFMTV.com.

Une position maximaliste

Dans un contexte de majorité relative, la macronie ne peut pas se passer de la droite. Bien consciente de la situation, la majorité lui avait d'abord fait les yeux doux au Sénat qui s'était emparé d'une première version de ce texte en commission des Lois, mais les débats sont au point mort depuis le recours au 49.3 pour adopter la réforme des retraites.

Après des atermoiements, Élisabeth Borne a lancé de nouvelles négociations pour pouvoir présenter un projet de loi à l'Assemblée à l'automne. Se sachant en position de force, la droite a adopté une position maximaliste ces dernières semaines.

Primauté du droit français sur le droit européen en matière migratoire, un référendum sur l'immigration, éloignement des étrangers qui "représentent une menace", rétablissement du délit de séjour clandestin... Dans les colonnes du JDD, Olivier Marleix, Éric Ciotti et Bruno Retailleau avaient défendu "un big bang migratoire" en mai.

Ces propositions étaient "à prendre ou à laisser", avaient même lancé les ténors de la roite.

"Et ça, c'était avant Annecy. Là, ils vont se sentir pousser des ailes", soupire un collaborateur ministériel.

La droite aux avants-postes des réactions

Les ténors de la droite ont d'ailleurs très vite dégainé jeudi après l'annonce du drame, sans attendre les premières communications officielles des autorités judiciaires.

"Encore une tragédie effroyable, et sur des enfants! Combien de temps allons-nous encore perdre à bavasser plutôt que de prendre les mesures indispensables pour protéger les Français?", a écrit sur son compte Twitter Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR.

Même tonalité pour Éric Ciotti, qui a appellé, lui, à "tirer toutes les conséquences (de cet acte) sans naïveté, avec force et en lucidité".

"L'enquête déterminera les conditions, mais il semble que l'auteur ait le même profil que l'on retrouve souvent dans ces attaques", a-t-il lancé depuis l'Assemblée, avant que l'on apprenne que le suspect s'était présenté comme un "chrétien de Syrie" dans sa demande d'asile et qu'il avait crié "au nom de Jésus Christ" au moment de l'attaque.

Le patron des LR devait dans la foulée tenir une conférence de presse au Palais-Bourbon, finalement annulée. Son rendez-vous prévu avec Gérald Darmanin pour échanger sur le texte immigration est cependant bien maintenu la semaine prochaine.

"On doit se saisir de l'occasion"

"Il y a un évènement qui est terrible mais il ne faut surtout pas jouer la carte de la récupération", prévient François-Noël Buffet (LR), le président de la commission des Lois au Sénat. "Ce serait vraiment s'appuyer sur le côté déplorable de la politique sinon."

Son collège Marc-Philippe Daubresse, ex-ministre de Nicolas Sarkozy, reconnaît que son parti est sur "une ligne de crête". "On doit évidemment se saisir de l'occasion sans sembler faire de la récup", estime-t-il.

"On ne va pas sortir de nouvelles propositions de notre chapeau en 24 heures. Mais celles qu'on a faites me semble plus appropriées que jamais", défend de son côté un député de droite.

Des propositions "inapplicables"?

Gérald Darmanin avait pourtant fermé la porte à certaines propositions jugées "inapplicables", tout particulièrement celles liées à Bruxelles, tout en tendant la main à d'autres.

Le locataire de la place Beauvau se disait ainsi prêt à conditionner les visas à la mise en œuvre de politique de développement ou encore un contrôle "à 360 degrés" des demandes de titres de séjours.

"On voit bien qu'on doit arrêter avec cette stratégie de la gestion migratoire au fil de l'eau qu'on nous propose. Il faut plus que jamais réexaminer les conditions du droit européen", espère pourtant François-Noël Buffet (LR).

L'assaillant présumé de l'attaque au couteau était arrivé en Suède en 2013, où il avait obtenu le statut de réfugié et reçu un permis de séjour, même s'il a plusieurs fois échoué à obtenir la nationalité suédoise depuis. Il était en France de manière régulière.

Parmi les propositions des LR, seule une, celle sur la primauté du droit français sur le droit européen pour resteindre l'accès aux personnes étrangères en situation régulière, aurait pu concerner directement sa situation. Cette possibilité semble cependant extrêmement compliquée à déployer puisqu'elle nécessiterait la sortie de la France des traités européens et donc de l'Union européenne.

"Vraiment pas sérieux"

Dans le camp de la majorité, on continue de défendre les propositions déjà faites par l'exécutif, en rappelant que les discussions entre la droite et la majorité présidentielle se basent sur la version des sénateurs adoptée en commission des Lois.

Ce texte donnait déjà un très sérieux tour de vis aux propositions gouvernementales. Pas question donc d'aller encore plus, drame d'Annecy ou non.

Soucieux de faire redescendre la pression politique, Olivier Véran a d'ailleurs fait passer le message. Le porte-parole du gouvernement a dénoncé ce vendredi matin "le jeu malsain" de LR et du RN "alors qu'on est dans le temps de l'émotion et du choc".

"On peut bien prendre de nouvelles mesures à chaque drame mais ce n'est pas sérieux. Et puis les LR voulaient accueillir les Chrétiens d'Orient (l'auteur présumé se dit "chrétien de Syrie" NDLR) et maintenant, on nous dit que c'est mal ?", tance un conseiller ministériel.

Renaissance ne veut "pas tout remettre en cause"

Il faut dire que la majorité présidentielle ne doit pas se fâcher en interne. Après de fortes crispations en 2018 sur le projet de loi asile-immigration dans son propre camp, la macronie comptait bien initialement défendre un projet de loi qui se voulait équilibré.

Gérald Darmanin avait ainsi défendu à de nombreuses reprises la création d'un titre de séjour pour les travailleurs sans papiers dans des métiers en tension déjà présents sur le territoire français. Mais la droite en avait fait très vite un casus belli.

"Le problème, c'est que déjà, avant Annecy, la droite voyait les migrants comme responsables de tous les méfaits. Malgré la gravité des faits qui se sont produits, on ne peut pas tout remettre en cause et sûrement pas un projet de loi qu'on souhaite juste", explique le député Renaissance Ludovic Mendes.

Autant dire que le calendrier annoncé par Élisabeth Borne semble plus que jamais hors d'atteinte. Un projet de loi devait être présenté en Conseil des ministres en juillet mais le ministre de l'Intérieur a présenté un autre agenda fin mai, évoquant "un consensus, possible, trouvé avec les groupes des assemblées" fin juin, puis des débats au Parlement en octobre.

"Le consensus, on n'y est pas. Si on continue comme ça, je crains qu'il n'y ait jamais de projet de loi", répond clairement Ludovic Mendes.

Marie-Pierre Bourgeois